07/11/2024 - #Ferrari , #Man , #Fiat , #Toyota
TOYing around à Chypre
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous emmène à découvert, à la découverte motorisée d’une charmante île méditerranéenne.
De la domination coloniale britannique, Chypre a notamment gardé la prise électrique de type "G" avec trois broches à section rectangulaire et la conduite à gauche.
Si j’ai pris contact -c’est le cas de le dire- avec la première en arrivant à l’hôtel, c’est dès la sortie de l’aéroport de Larnaca que je me suis vu rappeler la deuxième, surpris par la voiture venant de droite sur la rue que je m’apprêtais à traverser pour me rendre au parking. Là, j’y retrouvai la Citroën C3 de troisième génération et de loc que j’avais réservée, dont j’ouvrais aussitôt la mauvaise portière pour constater l’absence de volant à la place du passager. Un modèle que j’avais pourtant choisi non seulement pour son prix abordable, mais aussi pour aller jusqu’au bout à la conduite inversée grâce à sa boite mécanique.
En échange, je me suis "tapé" le trois cylindres 1.2 Puretech dans sa version atmo 83 ch, dont j’ai vainement cherché le couple à très bas régime, sans forcément le rencontrer malgré de fréquentes incursions près de la zone rouge du compte-tours, très au-dessus des 2.750 trs/min promettant l’intégralité des 118 Nm. Impossible donc de décoller l’auto au seul lever de pied gauche ni de reprendre en deuxième en sortie de ralentisseur ou de courbe à angle droit sans provoquer de désagréables vibrations. Au moins ai-je pu en profiter pour exercer la main gauche, dont il m’a cependant été difficile de déterminer la part de responsabilité dans la sensation d’imprécision de la commande de boite. L’anémie de sa mécanique ne m’a pour autant pas empêché d’apprécier le confort de la petite Citroën, qu’il s’agisse des sièges ou d’une suspension particulièrement tolérante lors d’excursions hors asphalte.
Il n’empêche que je me suis bien amusée de l’autre côté du miroir, même si on ne contrarie une trentaine d’années d’habitudes au volant sans une constante vigilance, à laquelle invitent les nombreux panneaux "drive on the left" disposés à l’intention du touriste de service. C’est dans les phases de transitions qu’il convient de prêter particulièrement attention, qu’il s’agisse des nombreux ronds-points que le gouvernement local semble avoir adopté avec la même ferveur que le nôtre, ou les intersections plus classiques. Et je mentirais si je n’avouais pas deux ou trois mauvais réflexes -particulièrement au début- alertes sans frais qui m’ont incité à "intellectualiser" ma conduite en me répétant à l’avance la manœuvre à effectuer à l’approche d’un croisement. Heureusement, le style de conduite des Chypriotes est plutôt tolérant, entre nonchalance méditerranéenne et flegme britannique. Si ceux-ci n’imposent pas d’usure prématurée aux clignotants et pratiquent volontiers la double file pour les arrêts rapides, ils ne démontrent en revanche aucune agressivité, et concèdent volontiers le passage à qui le sollicite.
Tout ça, c’est la faute de mon ami Oscar.
C’est lui qui m’a vanté les charmes de l’île et de ses presque 1,3 million d’habitants, où il a résolu de prendre une retraite qui n’en n’aura visiblement que le nom tant l’homme n’est pas du genre à rester inactif. Un choix privilégiant la douceur de vivre après avoir résidé -entre autres- à New York, Dubaï et Bruxelles, à moins de 300 km à vol d’avion d’un Liban duquel il est en partie originaire, dont de nombreux ressortissants se sont installés sur place, y bénéficiant d’une quiétude malheureusement impensable dans leur pays d’origine. Il faut dire qu’Oscar m’a pris par les sentiments, même si contrairement à ce qu’il affirme en plaisantant, c’est surtout pour le rencontrer que j’ai choisi la destination de mes dernières vacances en date. "Tu conduiras ma voiture sur les petites routes de l’arrière-pays", m’a-t-il promis au téléphone.
Quand il m’a envoyé les photos de sa Toyota MR-S peu après l’avoir acquise, j’avoue qu’Oscar m’a un peu surpris. Tel que je l’imaginais, l’homme circulait plutôt à l’arrière de berlines, du genre avec un lumineux sur le toit. Ce n’est peut-être d’ailleurs pas faux, mais le cahier des charges entre navettage dans les rues d’une capitale du nord de l’Europe et balade à Chypre n’étant pas tout à fait le même, c’est sur la case "convertible" que celui-ci a coché dans la zone de recherche de "bazaraki.com", équivalent local d’une certaine marketplace bien connue.
Mais de son propre aveu, ce n’est pas forcément un roadster de chez Toyota qu’il s’attendait à découvrir en jouant de la souris.
Il faut dire que la MR2 troisième du nom est sans doute une auto un peu oubliée, même si je me souviens avoir eu l’opportunité de la conduire quelque part entre 1999 et 2007 quand elle fut produite. L’appellation MR-S traduisant son origine japonaise, puisque le modèle était connu comme MR2-Roadster en Europe et MR Spyder en France et en Belgique (si vous vous demandez pourquoi, répétez son petit nom originel à voix haute). De fait, les autos en provenance de l’archipel nippon dans leur définition d’origine sont légion sur l’île, y compris plusieurs modèles de "kei cars" limitées en taille et puissance moteur, mais aussi des engins plus gros arborant pour certains les caractéristiques rétroviseurs en bout d’aile.
Nous nous sommes donné rendez-vous à Ómodos, charmant petit village situé dans les hauteurs de Limassol, deuxième ville de Chypre après la capitale Nicosie. Ensoleillé mais pas étouffant en cette fin d’octobre, le temps est absolument parfait pour goûter aux joies d’un cabriolet, et c’est sans surprise capote baissée qu’Oscar fait son apparition. Avec un faciès de batracien gentiment étonné, la MR-S exprime sans agressivité sa sportivité, par une silhouette ramassée que soulignent à peine des passages de roue discrètement musclés, prouvant qu’il n’est nullement indispensable de recourir aux amphétamines pour dessiner une jolie voiture. L’équilibre visuel des masses ne cache rien de son architecture, avec des prises d’air latérales dont on devine qu’elles alimentent en comburant frais une mécanique située en position centrale arrière, alors que la compacité du postérieur dénonce la disposition transversale de cette dernière.
La première chose que je remarque en montant -ou plutôt descendant- à bord, c’est la courte tige chromée surmontée d’une boule du même métal faisant office de sélecteur de vitesses, se déplaçant dans une petite grille à la Ferrari. L’exemplaire d’Oscar est en effet pourvu d’une transmission séquentielle à 5 rapports présentant la particularité de ne pas disposer de mode automatique, avec passage obligatoire des rapports par une simple impulsion sur le levier, vers l’arrière pour les monter et -devinez- l’avant pour les descendre. Les ingénieurs du constructeur japonais on donc raisonné dans le bon sens, puisque l’action accompagne les mouvements du corps lors des accélérations et freinages plutôt que d’obéir à une logique pseudo-intellectuelle. A noter qu’avec le face-lift intervenue sur le modèle en 2003, une sixième vitesse lui fut ajoutée pour abaisser le régime moteur sur trajet autoroutier, la démultiplication des cinq autres reste inchangée.
Probablement décriée par les amateurs de "vraie" conduite en 2002, cette transmission paraît pourtant logique dans le contexte d’aujourd’hui. Elle s’avère de plus particulièrement adaptée à l’essayeur occasionnel habitué aux "Left Hand Drive", qui voit ainsi sa tâche facilitée sans être privé du plaisir de manager les changements de vitesse, même si ce cas d’usage-là n’a sans doute pas été pris en compte par ses concepteurs. J’ai néanmoins préféré recourir exclusivement au traditionnel levier plutôt qu’aux petits boutons disponibles sur et derrière le volant, non seulement parce que ces derniers sont moins ergonomiques que les palettes actuelles, mais aussi parce qu’il permet de masquer la lenteur relative de la boîte à la montée des rapports en les accompagnant du geste, sans oublier de soulager brièvement l’accélérateur pour lisser les à-coups et -sans doute- préserver l’embrayage. Aucun effort n’est cependant requis au rétrogradage, puisque l’électronique se charge de synchroniser la vitesse de rotation du moteur et de la transmission.
Les premiers tours de roue renseignent sur la qualité des accostages de la marque japonaise, comme sur la rigidité de la caisse. On se surprend en effet à noter l’absence totale de bruits de mobilier sur une voiture ouverte de plus de 20 ans, alors que la baie de pare-brise se tient tranquille même sur les pavés. C’est bien connu, une structure inflexible permet à la suspension de mieux travailler, ce que je vérifie dans la montée serpentant vers Troodos, point culminant de l’île à 1.951 m d’altitude. Il n’est évidemment pas question de pousser la bestiole dans ses retranchements sur route ouverte, mais le rythme est suffisant pour constater que le cliché du kart s’applique parfaitement à la petite Toyota qui vire presque sans s’incliner latéralement, ni sans faire payer la rigueur de son comportement par une dureté excessive. La direction à assistance hydroélectrique se montre très lisible et plutôt directe, alors que les freins ne semblent pas manifester trop de soucis à ralentir efficacement un ensemble qui ne dépasse guère la tonne.
Si je suis donc resté raisonnable, on "sent" tout de même que le popotin ne serait pas contre une mise en dérive en appui, même s’il ne faudra sans doute pas compter sur la mécanique sur le sec pour pratiquer ce genre d’excentricité. Le 1.8 16 soupapes de 140 chevaux se montre certes raisonnablement coupleux à bas régime, mais son appartenance à la famille ZZ-FE traduit sa vocation avec un suffixe signifiant "Fuel Economy" , l’objectif de la marque étant alors de proposer une auto amusante autant qu’accessible tant à l’achat qu’à l’entretien. Et puisqu’on en est aux sigles, le système VVT-i ("Variable Valve Timing with intelligence", traduisible par "distribution variable intelligente") assure des montées en régime linéaires jusqu’au régime maxi de 6.400 trs/min, sans essoufflement prématuré.
Mais assez joué à l’essayeur, parce que le plus important réside sans doute dans le pouvoir évocateur de ce genre d’auto, surtout dans le contexte où j’ai eu le loisir de la conduire. De fait, l’expérience de la Toyota MR-S à Chypre me remémore celle que j’ai connue il y a bien des années au volant d’une Fiat Barchetta dans le sud de la France. Malgré une architecture totalement différente entre son moteur avant et ses roues antérieures motrices, le petit cabriolet italien me semble partager la même philosophie d’une auto-plaisir abordable dans tous les sens du terme, et par conséquent beaucoup plus exploitable qu’une Supercar dont le potentiel est forcément sous-utilisé sur le réseau routier. Avec un usage essentiellement dédié à la balade mais capable de satisfaire les désirs d’une conduite plus dynamique quand les circonstances s’y prêtent, mon ami Oscar a sans doute trouvé avec son auto et dans l’environnement qui est le sien la TOY idéale, à moins qu’il ne s’agisse du jouet ultime…
Alors que je vous écris ça dans la froidure automnale berlinoise, mais l’esprit encore tourné vers une certaine langue de terre en pleine Méditerranée dont on dit qu’elle vit naître Aphrodite, une question me taraude.
Dis Oscar, si je retourne à Chypre, tu me la prêtes à nouveau ?