26/09/2024 - #Renault , #Bmw , #Hyundai , #Great Wall , #Maserati , #Stellantis
Coupés au carré
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle de deux coupés, fois deux.
Il m’a fallu apprendre à aimer la SM.
Il faut dire que lorsque j’étais ado, non seulement celle-ci était un peu dépassée mais on n’en voyait guère dans les rues que j’avais pour habitude d’arpenter. Et sans doute est-il beaucoup plus facile de la rencontrer de nos jours, maintenant qu’elle fréquente les "rassos" et autres évènements spécialisés. Je me rappelle vaguement mes parents -que l’automobile m’émouvait guère- m’expliquant qu’avec un moteur et une suspensions trop complexes pour eux, les agents de la marque en personne se refusaient à y toucher. Et de fait, j’étais alors plus sensible au look musclé d’une Renault 5 Turbo qu’aux lignes d’une SM déjà ancienne que je trouvais de surcroît un peu étrange, dégingandées même sous certains angles. L’arrière en particulier, qui me paraissait tarabiscoté avec sa juxtaposition de pièces chromées aux multiples découpages environnant les feux et contrastant avec la lissité du reste de la carrosserie, auquel s’ajoutaient les sorties d’échappements proéminentes surgissant tortueusement du soubassement.
Mais il faut parfois laisser le temps au temps, et ses particularismes me font d’autant plus aimer la SM aujourd’hui, un peu comme on a le béguin pour une belle jeune femme avec un léger cheveux sur la langue ou qui affiche une coquetterie dans l’œil. Délicieusement imparfaite, elle est précisément unique. J’en veux pour preuve les presque deux centaines d’euros que j’ai investies dans la très belle maquette produite artisanalement en Ukraine par l’ami Misha, et que je monterai peut-être un jour (voir les photos). Mais pour tout vous avouer, je crois bien que celle que je préfère est la superbe berline 4 portes "Opéra", produite au compte-gouttes par le carrossier Chapron, qui en proposa également un cabriolet (Dis Misha, elle ne t’inspire pas?).
De nos jours, on iconise volontiers rétroactivement. Mais je crois bien que pour ceux de ma génération, les Renault 15 et 17 n’ont longtemps été que de vieilles voitures nous intéressant d’autant moins que celles qui avaient survécu à la corrosion quand l’âge de notre permis approchait enfin, avaient pour beaucoup subi les affres d’une "personnalisation" pas toujours du meilleur goût. Je me souviens tout de même qu’à l’époque des Majorette et Matchbox, je m’amusais à repérer la 17 de la 15 à l’avant grâce à la calandre 4 phares, et la phase II de la phase I par le bandeau translucide rouge courant entre les feux arrière. Mais ce qui m’intéressa très vite, ce fut ce qui différenciait les version GTX et Turbo du reste de la gamme de la Fuego qui lui avait succédé.
La masse de la SM Tribute est parfaitement reconnaissable, ce qu’explique en partie le communiqué de presse publié à l’occasion de sa présentation à l’évènement de "Chantilly Arts & Elegance" du 12 au 15 septembre derniers, lequel insiste sur ses dimensions proches de l’original, avec une longueur augmentée d’à peine trois centimètres et une hauteur de deux. Certes, la largeur se prend 12 cm, mais contribue à "assoir" l’auto sur la route, à une époque où l’on demande de plus aux portières d’assurer en cas de choc latéral. Contribuent également à l’identification du modèle le long capot ainsi que les flancs sans aspérités ou encore le dessin des vitrages incluant le hayon caractéristique. Et présentée de ¾ avant comme je l’ai découverte, je l’ai au prime abord trouvée plutôt convaincante avec une réinterprétation astucieuse de la verrière abritant les optiques par "un écran 3D qui s’allume jusqu’en son centre, encadré par une signature lumineuse composée de trois modules de chaque côté".
S’il il y a quelque chose que le concept-car a également bien intégré, c’est l’étrangeté du modèle d’origine. Mais je crains n’avoir pas ressenti la même émotion amoureuse pour cette SM du XXIe siècle que j’admets ne pas totalement comprendre. S’agissant notamment de l’usage de grands aplats noirs dans une tentative de biton supposée rappeler l’âge d’or de la carrosserie française des années 30, pour le moins curieuse quand la SM se montrait quarante ans plus tard résolument tournée vers le futur. Ironiquement, le bandeau qu’ils forment à la base des panneaux de custode n’est pas sans rappeler le profil de la Fuego, peut-être dans une forme d’hommage à Robert Opron qui signa la silhouette des deux modèles. Je m’interroge de plus sur la vocation des évidements pratiqués dans les passages de roue arrière, entre l’évocation de flasques ici disparues, l’allègement visuel des flancs, ou plus prosaïquement un accès permettant de calibrer les pneumatiques tout en ménageant le dos d’un propriétaire affichant probablement l’âge de ses vertèbres. Et je ne reconnais pas dans le panneau arrière noir aux feux réduits à l’épaisseur d’un trait lumineux celui de l’original.
Et puis, je crains que cette SM-là ne remue le couteau de la plaie de l’identité de marque un tant soit peu malmené quand il y a une dizaine d’année, on dispersa les chevrons au nom d’un repositionnement attribuant à Citroën l’entrée de gamme (on ne dit plus "bas de gamme") et à DS automobile le premium (on ne dit plus "haut de gamme"). Bref, on jugea alors qu’au XXIe siècle, la marque d’André ne pouvait plus se permettre le grand écart qu’elle pratiquait quand la 2CV cohabitait dans les showrooms avec la SM. Mais du coup, je ne sais plus comment je dois désigner la Tribute. Parce qu’entre nous, "DS SM" me parait presque aussi bizarre que "BMW XM". Bon, je ne suis pas très sympa, d’autant plus qu’il fallait un certain courage pour s’attaquer à l’un des modèles les plus emblématiques de la production française d’après-guerre. Pour ainsi dire, un courage frisant le SM…
De ce point de vue, la tâche d’Ora Ito avec la 17 Electric s’avérait sans aucun doute beaucoup plus simple. Après Mathieu Lehanneur pour la 4, Pierre Gonzalons pour la 5 et Sabine Marcelis avec la Twingo, le marseillais est le quatrième designer engagé par la marque au losange pour jouer au restomod avec l’une de ses autos. Ce qui signifie qu’une vraie 17 a été sacrifiée dans l’opération. C’est d’ailleurs le reproche le plus grave qu’on aurait pu lui adresser s’il s’était raté, le petit coupé de la marque -pour sympathique qu’il soit- étant assurément le moins emblématique des modèles de cette liste.
Mais Ora –sans aucun rapport avec la marque aux drôles de voitures de Great Wall Motors- s’est à mon sens parfaitement acquitté de sa tâche en s’éloignant suffisamment du modèle d’origine pour le moderniser, sans toutefois le trahir. Avec comme pour la SM, une largeur conséquemment augmentée, bien que le surcroit de muscles ait été intégralement logé dans des extensions d’ailes généreuses , mais aussi une vraie bouille électrique, la face avant aux doubles optiques rectangulaires étirés n’étant pas sans rappeler celle du très réussi concept Hyundai N174. En conséquence, non seulement je pardonne à son créateur le néologisme conceptuel branché de "simplixité" par lequel il explique sa démarche, mais j’arrive même à lui trouver du sens quand il le définit par "simplifier les éléments complexes".
Surtout qu’Ora -l’auteur des bouteilles de Heineken en aluminium pour ceux qui ne l’auraient pas situé- s’est véritablement surpassé dans l’habitacle. A commencer par sa très belle interprétation de l’instrumentation du modèle d’origine en Phase 1, avant qu’elle ne soit remplacée par celle beaucoup plus banale chipée à la Renault 30. A l’instar des optiques, les quatre compteurs individuels à visière individuelle évidemment convertis au digital sont "rectangularisés", traitement géométrique également appliqué au volant façon quadrature du cercle, qu’un conducteur d’Austin Allegro ne renierait pas. Quant aux sièges pétales délicieusement réinterprétés dans une harmonie bi-matière et biton beige/marron très seventies, ils donnent immédiatement envie de s’y accommoder pour prendre la route. Impossible enfin de ne pas évoquer la dalle centrale dont l’entourage en alu satiné évoque avec humour les téléviseurs d’alors, écran bombé en moins.
Evidemment, ces deux show cars-là sont à batteries. Pour la 17 Electric c’est même écrit dessus, même si on aurait pu se passer de l’anglicisme pour un mot reconnaissable dans toutes les langues, d’autant plus qu’"électrique", c’eut été "very chic". Pour le reste, cette conversion ne me parait pas gênante, considérant que les motorisations d’origine nous rappellent surtout qu’il fut une époque ou les coupés n’étaient guère plus que la déclinaison deux portes profilée d’une simple berline familiale. La plupart des 17 se contentaient ainsi d’un 1.556 cm³ qui affichait 90 chevaux, alors que même la Gordini récupérait le 1.605 cm³ 108 ch d’une TS pas vraiment sportive.
En revanche, j’ai plus de mal avec la SM électrique dont la moitié du nom évoque la mécanique d’origine Maserati qui la propulsait, certes problématique mais tout de même prestigieuse et pourvoyeuse de performances en phase avec sa vocation Grand Tourisme. Et ce n’est pas le moindre des paradoxe que la Tribute en soit dépourvue, alors que la marque au Trident fait désormais partie de la constellation Stellantis. A moins bien sûr que sous la peau, la SM nouvelle mouture ne cache une base de Folgore, vocable dont on rappelle qu’il désigne les électriques du constructeur bolognais.
Je vous écrit tout ça derrière le même écran qui m’a permis de découvrir la SM Tribute et la 17 Electric Restomod, puisque sans doute comme la grande majorité d’entre vous, il me reste à les observer "in the flesh", ce que je ferai à l’occasion du prochain Mondial de Paris où elles seront bien sur exposées. Mais je doute honnêtement qu’aucune des deux -même s’agissant de celle qui a ma préférence- ne me permette de ressentir le coup de cœur que m’avait procuré en son temps l’adorable Fifties, laquelle avait fait revivre le temps du Salon de Genèvre 1996 celle qu’on surnommait affectueusement la "puce de la Régie", autrement dit la Renault 4CV.
D’autant plus que reproduire ce qui se faisait il y a déjà 28 ans me rend un peu perplexe, alors qu’on aurait pu imaginer que de nos jours, la tendance néo-rétro serait elle-même devenue obsolète plutôt que de continuer à jouer avec. Mais le fait est que pour trouver aujourd’hui un coupé chez les constructeurs français, c’est vers le passé ou bien le futur recomposé qu’il faut désormais se tourner. Et je me demande si nous avons à ce point besoin d’être rassuré pour puiser ainsi en permanence dans un "avant" réinventé pour mieux l’idolâtrer. Et s’il n’existe pas d’alternative au souvenir pour faire avaler la pilule bleue de l’électrique à des acheteurs de véhicules neufs, certes majoritairement en âge d’avoir vu dans la rue la version originale de celles auxquelles on prétend rendre hommage.
A tout prendre, je préfère la démarche de BMW qui avec la nouvelle "Neue Klasse" ne réutilise de l’ancienne "Neue Klasse" que le nom et la démarche conceptuelle. Non pas que les exercices de style de Renault ou Citroën -pardon, je veux dire DS- me déplaisent, mais sans doute serais-je plus à même de les apprécier s’ils m’inquiétaient un peu moins...