08/12/2022 - #Renault , #Alpine , #Chrysler , #Cupra , #Lancia , #Maserati , #Fiat , #Seat , #Stellantis
Ufologie
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’une marque qui voudrait bien renaitre, mais dont ceux en charge de la faire revivre ne semblent pas encore avoir touché terre…
Je crois bien que c’est ce jour-là que j’ai décidé de rouler en Lancia.
Je venais de sortir de chez moi et de mettre le pied rue Exelmans à Versailles quand elle m’est apparue. Aussi belle qu’incongrue dans le trafic des années 90, j’avais reconnu à son volant le président du Lancia Club de France qui résidait à quelques encablures. Et comme il m’avait enjoint de grimper à bord, c’est au son feutré de son V6 que je ralliai la gare Rive Droite. Trajet faisant, j’appris que l’auto avait rallié sans encombre la région parisienne deux jours auparavant, réveillée après un sommeil de plusieurs années. En l’affaire de quelques minutes, c’est donc une Flaminia Berlina qui m’a donné l’envie de posséder moi aussi un modèle de la marque. Ou pas : vous savez comment sont les souvenirs…
Toujours est-il que le LCF est le seul club de marque auquel j’aie appartenu, à une époque où je me déplaçais en Beta HPE 2000 carbu la semaine, et en Fulvia 1600 HF Lusso le weekend. Je ne suis d’ailleurs pas certain de savoir vous expliquer pour quelles obscures raisons j’ai alors jeté mon dévolu sur la marque turinoise, la simple proximité géographique du restaurant où se déroulait les réunions mensuelles de l’association ne pouvant tout expliquer, même si c’était tout de même très commode pour cultiver le sentiment d’appartenance.
Ce que je sais, c’est qu’elle m’apparaissait alors comme une évidence, et que ses attraits me paraissaient plus subtils et moins aguicheurs que ceux de sa voisine milanaise. La preuve, c’est qu’une Alfa s’exhibe volontiers en rouge quand une Lancia se vêt de bleu. Et puis, que refuser à une marque à qui on doit -entre autres inventions- les coques autoportante et carrosseries monocoques, les suspensions indépendantes, le premier V6 produit en série ou encore les vitres teintées ?
Si j’ai depuis appris à ne plus snober les Alfa, je n’en n’ai pas moins gardé pour Lancia une affection toute particulière. Inutile donc de vous expliquer avec quelle impatience j’attendais le "Lancia Design Day" programmé le 28 novembre dernier, dans lequel je plaçais les plus grands espoirs. Après tout, Jean-Pierre Ploué n’a-t-il pas assumé en personne la responsabilité des desseins stylistiques du constructeur en plus de ses responsabilités managériales liées aux marques européennes de Stellantis ?
L’homme qui ébaucha la Twingo et sauva le style de Citroën, et dont on appris en session qu’il avait accepté l’exil en terres piémontaises plutôt que le confort des bureaux de Poissy pour mener à bien cette nouvelle mission rédemptrice.
Mais autant vous le dire tout de suite, la déception fut à la hauteur des expectatives. A tel point que je me demande rétrospectivement dans quelle mesure les petits cubes visiblement inconfortables sur lesquels reposait le séant des quelques rares journalistes "présentiels" n’étaient pas destinés à les maintenir éveillés. Parce qu’en ce qui me concerne, derrière l’écran où j’assistai en ligne à ce qui se révéla constituer un non-évènement, jamais journée de 35 minutes et 27 secondes ne me parut plus longue. Et que le moins que l’on puisse dire, c’est que je m’attendais à autre chose qu’à une maquette d’Ovni.
Mais ne brûlons point les étapes, et reconnaissons en préalable l’arduité de la tâche, dont les très belles images des modèles emblématiques de la marque diffusés tout au long de la séance portent l’aveu implicite. Parce que sauf erreur de ma part, le plus récent de ceux qui nous ont été montrés est la Delta -principalement dans sa version Integrale- dont la production a cessé depuis 1994.
Oubliées donc les Kappa, Lybra ou Thesis ayant suivi, sans même évoquer la triste et récente période des clones de Chrysler, stratégie dont je reste convaincu qu’elle fut adoptée par un Sergio Marchionne n’ayant pas eu le courage de tuer définitivement la marque. Même l’actuelle Ypsilon qui performe encore dignement sur son marché national n’eut pas eu droit de cité. Une façon de nous rappeler que Lancia, c’est l’histoire d’un hiatus d’une trentaine d’années, dont le redémarrage promet d’être beaucoup plus difficile que celui des Flaminia parcourant l’asphalte versaillais.
Ajoutez à cela une notoriété quasi inexistante auprès des automobilistes les moins âgés, et une image des plus confuses pour les autres. A commencer par une dichotomie sport/luxe qui posa déjà problème en 1986, au rachat d’Alfa-Romeo par le groupe Fiat, par l’intermédiaire de la Société Finmeccanica à laquelle fut rattachée la structure Alfa-Lancia Industriale SpA.
A l’époque, la marque au Biscione se vit attribuer le créneau du sport, alors qu’à Lancia (dans le giron Fiat depuis 1969) échut le marché du luxe. Mais alors que les Alfa 164 allaient jouer le haut de gamme dès l’année suivante, la compacte Delta remportait le championnat du monde des rallies de 1987 à 1992, sans que jamais Lancia ne concurrença ses germaines et supposées rivales. Une situation de concurrence interne aujourd’hui exacerbée par l’appartenance à un groupe de 14 marques -dont Maserati- qui me laissa penser que son avènement en 2021 allait sonner le glas de ma marque fétiche.
Et pourtant, Carlos Tavares -comme aux autres marques de Stellantis- a donné 10 ans à Lancia afin de prouver qu’elle était viable. Et ce 28 novembre s’annonçait donc sous les meilleures auspices dans la superbe Galeria Grande de la Reggia di Veneria Reale, palais qui servit autrefois de résidence à la famille royale de Savoie. Luca Napolitano, Brand Chief Executive Officer de Lancia y annonçait d’ailleurs dès la 4e minute de son intervention que cette date marquait rien moins que le début du rinascimento de la marque, promettant qu’elle permettrait de répondre à toutes les questions restées jusqu’ici en suspens, s’agissant notamment de ce à quoi ressembleraient les futurs modèles de la marque.
Jusqu’ici tout allait bien
Puis on a parlé de positionnement de marque, et là les choses sont devenues un peu bizarres. Parce que si personne ne contestera que le thème de l’eleganza italiana sied à Lancia comme une paire de gants de conduite, était-il besoin de définir un concept aussi riche par un mot unique ? Surtout quand le vocable choisi, en l’occurrence "Emozione", apparaît aussi réducteur qu’hors de propos.
Voilà qui nous rappelle d’ailleurs qu’en des temps pré-Cupra, l’expression "Auto-Emoción" fut utilisée avec succès par Seat pour évoquer une sportivité à laquelle Lancia n’a justement plus droit, logiquement interdite de rouler sur les platebandes de Lombardie et d’Emilie-Romagne où siègent les marques voisines. J’aurais donc préféré que l’on développe quelque peu sur l’italianité appliquée à l’élégance et comment la décliner à la Lancia, plutôt que de balancer sans autre forme d’explication des slogans tels que "le nouveau code de l’élégance" ou "l’élégance italienne qui dure et qui enchante", quand il ne s’agissait pas de lâcher des expressions aussi abscondes que "marque classique progressive".
Mais peu importe au fond puisque de design il était question, et qu’on allait rapidement passer aux travaux pratiques avec le nouveau logo, dont on ne peut que se féliciter qu’il n’a pas cédé à la mode du "flat design" en vogue dans l’industrie, même si on ne nous a pas vraiment expliqué pourquoi. En revanche, on s’est étendu de façon un peu laborieuse sur le processus créatif, ayant consisté -si j’ai bien compris- à déconstruire la version de 1957 (là encore, allez savoir pourquoi) pour mieux le reconstruite avec exactement les mêmes éléments.
J’ignore au final si celui-ci exprime "l’essence à deux faces classique et progressive" de la marque, ou encore "l’´équilibre entre le minimalisme et la somptuosité", mais pour un emblème frisant la thérapie pour bipolarisme à force de dissonance cognitive, le résultat m’a paru plutôt réussi. Revisitées également avec succès, la signature de marque et la charte graphique avec une belle police de caractères toute neuve, dénommée "New Ypsilon Progressive Classic". Ne restait donc plus qu’à dessiner 99% des futures voitures de la marque.
Et ça tombe bien, parce que le clou de l’évènement était la Pu+Ra Zero. Bon, faites comme Jean-Pierre et dites "Pura", pour "Pure" et "Radicale". Un quasi-acronyme dont on peut se demander s’il ne constitue pas un hommage transalpin caché à Alpine, puisque reprenant le nom des première et dernière versions de l’A110 contemporaine. Quoiqu’il en soit, un objet de la plus haute importance, puisque présenté comme rien moins que "le Manifesto de la marque pour les 100 prochaines années".
Voilà un message qui ne manque donc pas d’ambition et sans doute au moins en partie destiné à Carlos Tavares et à ses 10 ans de période probatoire. A moins que celui-ci ne s’adresse à David Vincent, le gars qui les a vus (les envahisseurs), lequel aura probablement reconnu dans l’étonnant prototype l’incarnation moderne de la soucoupe volante. A ma connaissance, la dernière fois qu’un constructeur nous a fait le coup de l’objet volant fictif, c’était Renault avec le concept Reinastella de 1992. Une voiture imaginaire mais bien réelle, puisque sa maquette fut exposée pendant 10 ans à l’entrée de l’une des attractions du Parc Disneyland Paris.
Rien de tout cela avec la Pu+Ra Zero, révélée à la 25e minute du show, qui représente selon JPP "l’expression ultime du design pur et radical de Lancia", avec des allusions à la ligne de pavillon de l’Aurélia ou aux feux arrière de la Stratos, ainsi qu’au "calice" ornant la calandre des véhicules de la marque. Un motif dont j’ignorais qu’il était ainsi désigné, redessiné sur la Pu+Ra Zero afin de signifier le futur zéro émissions de Lancia, qui devrait se décliner en trois modèles électriques.
J’ai bien sûr un peu résumé, même si à la minute 27, la présentation de l’engin était pliée. Jean-Pierre et Luca se sont serré la main et on est passé à l’évocation de ce que serait l’intérieur des futures Lancia, confiée à un autre Luca. En l’occurrence au Sinor Fuso, CEO de la marque de meubles Cassina, dont j’ai appris en la circonstance qu’elle collabore avec Lancia pour la conception de ses futurs habitacles. Permettez-moi de vous éviter le discours sur les "valeurs communes" qui ont contribué à rapprocher les deux entreprises, lesquelles vous donnent de toutes façons rendez-vous à la "Milano Design Week" qui se déroulera du 17 au 23 avril prochain.
Lancia a donc fait dans l’ufologie pour nous parler du style de ses modèles à venir. N’étant pas expert en la matière, j’ignore s’il s’agit d’une pratique commune des designers de l’automobile, mais je veux bien admettre qu’un objet comme la Pu+Ra Zero revête une importance significative dans le processus créatif, même s’il échappe quelque peu à ma compréhension.
De la même façon que les bizarreries qu’on voit parfois sur les podiums des défilés de haute-couture constituent semble-t-il une source d’inspiration pour des tenues plus mainstream. En revanche et pour ce qui est de l’exercice de communication, il me faut bien avouer ma perplexité.
De fait, je suis ressorti de ce "Lancia Design Day" avec plus de questions que de réponses, et le sentiment que la marque disposait surtout de quoi faire de très jolis magazines, ou que le responsable des produits dérivés se ferait un plaisir de concevoir une souris d’ordinateur haut de gamme reprenant la silhouette de la Pu+Ra Zero. Alors je n’ai sans doute rien compris, mais le passionné de la marque que je suis se permet tout de même d’adresser le message suivant à Jean-Pierre, Luca, Luca et les autres : S’il s’agit de faire revivre Lancia, assurez-vous que celle-ci rencontre enfin le succès.
Parce que si tel n’était pas le cas, mieux vaudrait sans doute éviter l’acharnement thérapeutique et qu’à la lueur de son histoire récente, la dernière chose qu’on peut souhaiter, c’est de voir Lancia boire le calice jusqu’à la lie.