06/05/2021 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Tesla , #Audi , #Bmw , #Dacia , #Honda , #Morgan , #Opel , #Peugeot , #Porsche , #Skoda , #Fiat , #Ford , #Chevrolet , #Ram , #Seat , #Wuling , #Stellantis , #Toyota
Toy Car
Par Jean-Philippe Thery
En automobile aussi, la taille ça compte. Mais en milieux urbains, c’est plutôt à Mies van der Rohe avec son célèbre "moins c’est plus" qu’il convient de se référer. Or l’industrie semble prendre le chemin inverse. A moins que…
"Une Fiat Uno".
La réponse d’Adriana Galisteu parut tellement surprenante à Ayrton Senna qu’il lui demanda à nouveau quelle voiture elle souhaitait recevoir en cadeau. Mais la petite amie du triple champion du monde de Formule 1 n’en démordit pas. Pour la jeune fille issue d’un milieu modeste de São Paulo, la petite Fiat représentait un rêve jusqu’alors inaccessible qu’Ayrton accepta donc de lui offrir, non sans en avoir préalablement rempli l’habitacle de roses. Et quand il sortait avec sa belle amoureuse dans les rues de la mégapole brésilienne, c’est au volant du modeste véhicule que celui-ci s’installait, délaissant la Honda NSX et l’Audi S4 Avant qui étaient pourtant à sa disposition.
De nos jours, après une carrière de top-modèle et de présentatrice télévisuelle, Adriana Galisteu se déplace en Porsche Cayenne et Hummer H3. Mais les deux gros SUV partagent le garage avec l’humble Uno dont sa propriétaire ne se séparerait pour rien au monde malgré les offres mirobolantes qu’elle a déjà reçues.
Avec son 4 cylindres de 994,4 cm³ développant 48,5 cv (sic), la Fiat Uno "Mille" appartient à la catégorie dite "popular" instituée en février 1993 par le gouvernement brésilien, se définissant très simplement par un moteur d’une cylindrée maximale de 1.000 cm³. Avec un IPI (Impôt sur les Produits Industrialisés) très réduit par rapport aux autres catégories, les "populares" connurent très vite le succès, jusqu’à représenter 70% du marché des voitures neuves en 2001, avec des modèles tels que la VW Gol, la Chevrolet Corsa, la Fiat Palio ou les Ford Ka pour n’en citer que les principales. Autant vous dire qu’à l’époque, il ne fut pas trop difficile à mes collègues de la direction plan produit Mercosur de Renault et à moi-même d’obtenir le développement de mécaniques 1.0 pour le lancement de la Clio II qui serait produite localement à partir de 1998. Dénommées D7D et D4D (respectivement 8 et 16 soupapes), celles-ci furent dérivés des blocs D7F/D4F affichant 1.200 cm³ par réduction de la course des pistons.
Evidemment les "populares" n’existent pas qu’au Brésil. Prenez l’exemple des "Keijidōsha" japonaises, plus connues sous l’appellation de "kei cars", dont les dimensions maximales contraintes légalement (3,4 m de longueur pour 1,48 m de largeur et 2,0 m de hauteur) laissent à penser qu’elles procèdent d’un process darwinien d’adaptation de l’espèce automobile locale aux métropoles particulièrement denses du pays. Mais si le rapport entre l’encombrement extérieur et l’habitabilité de nombre des modèles concernés au design cubique parait effectivement cohérent avec la recherche permanente de rationalisation de l’espace qui prévaut sur l’archipel, son origine est pourtant bien économique. Nées en 1949 alors que la plupart de ceux qui avaient la chance d’être motorisés se déplaçaient en deux roues, les kei cars sont aujourd’hui particulièrement prisées des retraités vivant en milieu rural, en raison de leur tarif avantageux et d’un coût d’entretien proportionnel aux 660 cm³ maxi auxquels ont droit leur motorisation. Contrairement à une idée reçue, celles-ci n’ont d’ailleurs jamais exempté leur propriétaire de l’obligation en vigueur dans de nombreuses villes de disposer d’une place de parking pour être autorisé à acheter une voiture.
Très tôt dans son histoire, l’automobile a suscité des vocations chez les entrepreneurs désireux de populariser la mobilité individuelle. On pense bien sûr immédiatement à Henry Ford et à son modèle T, produit à plus de 16 millions d’exemplaires. Mais c’est principalement par le process de fabrication dont elle fut à l’origine que "Lizzie" -comme elle était affectueusement surnommée- se mit à la portée de bourses plus modestes, plutôt que par ses dimensions, même si sa longueur rend 3 cm à la Twingo de première génération. En revanche, la Peugeot Bébé de 1913 comptait bien sur son physique malingre (2,44 m, 330 kg avec les pleins) pour garantir un tarif compétitif de 4.250 francs représentant environ 14.000 euros actuels, ainsi qu’un coût d’usage journalier (TCO en langage actuel) d’à peine un sou (soit 17 centimes d’euros environ). Les quelques 3.000 exemplaires construits semble néanmoins démontrer que la vocation populaire de la toute petite Peugeot ne fut guère reconnue, même si en 1916 lorsque qu’elle fut arrêtée, les autorités françaises étaient sans doute plus préoccupées par la mobilité des troupes que par celle des masses laborieuses.
Peu ou prou à la même époque, un drôle d’engin d’à peine 150 kg avec deux places en tandem baptisé Bédélia inaugurait la catégorie des cyclecars qui devait connaître un certain succès, principalement en France et en Grande-Bretagne où on ne dénombrait pas loin d’une centaine de marques spécialisées dans chacun de ces pays en 1914. Dans l’hexagone, la Loi de Finances du 30 juillet 1920 fixait une taxe fiscale forfaitaire de 100 francs par an pour les véhicules ne dépassant pas les 350 kg et 1.100 cm³ de cylindrée, établissant ainsi une définition officielle de la catégorie. Parmi les fabricants les plus connus du genre, on comptait alors Amilcar ou Salmson, mais aussi Darmont, spécialiste des trois-roues inspirés des Morgan britanniques. Quelques modèles virent également le jour aux Etats-Unis et au Canada, mais Lizzie se chargea rapidement de leur faire un sort avec ses tarifs compétitifs, auxquels s’ajouta un petit coup de pouce d’Henry, qui exhibant dans certains coins stratégiques de Detroit une réplique aux ¾ du modèle T construite tout exprès, découragea ceux qui ne se voyaient pas concurrencer le célèbre constructeur. Le même phénomène se reproduisit de l’autre côté de l’Atlantique avec l’apparition de modèles comme la Citroën Type 5HP en France, ou l’Austin Seven et la Morris Cowley au Royaume-Uni, rendant les cyclecars peu compétitifs. Dès 1925, l’administration fiscale française annulait d’ailleurs l’avantage concédé cinq ans auparavant, alors que les usines du quai de Javel tournait à plein régime pour délivrer les 83.000 exemplaires que devait totaliser la 5HP jusqu’à son arrêt en 1926.
Et comme il n’existe rien de tel qu’un conflit généralisé pour appauvrir les populations qui ont eu la chance de n’être pas décimées, l’histoire se répéta au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec l’apparition des microcars. Si le terme ne vous dit rien, il est en revanche probable que vous connaissiez la plus célèbre d’entre elles, à l’origine de l’expression "pot de yaourt" depuis appliquée à toutes les automobiles de petite taille. Reconnaissable entre toutes avec son accès par l’unique porte située à l’avant, l’Isetta née en Italie sauva de la faillite BMW, qui la produisit sous License. L’Allemagne fut d’ailleurs grande pourvoyeuse de ces "bubblecars" comme on les surnomme également, avec en particulier les modèles produits par Heinkel et Messerschmitt, deux entreprises issues de l’aéronautique qui se trouvèrent donc fort dépourvues quand l’armistice fut venu. Si la définition administrative des microcars variait suivant les pays, elles avaient en commun leur taille riquiqui, un poids mini et une motorisation chiche en cm³, souvent empruntée à l’univers des motocyclettes. Et devinez quoi ? Une trentaine d’années après que les cyclecars aient vécu le même sort, elles furent balayées par les 2 CV, Morris Minor, Fiat 500 et autres Coccinelles.
Depuis lors, la motorisation de masse incombe au segment A, regroupant les modèles mesurant de 3,40 à 3,70 m. Et je vous fiche mon billet que certaines de ses intégrantes font partie de votre histoire personnelle, parce qu’il y a forcément dans votre disque dur d’automobiliste ou de passager une Peugeot 104, une Talbot Samba, une Citroën AX, une Ford Ka ou une Renault Twingo. A moins que votre jeune âge ne vous porte plutôt sur une Fiat 500 II, une Peugeot 108 ou une Volkswagen Up. Et que vous rouliez aujourd’hui dans un SUV 7 places, une volumineuse berline germanique ou pas ou une puissante GT, avouez que l’engin en question vous ramène à d’agréables souvenirs, quand le plaisir automobile résidait dans l’agilité plutôt que la puissance, la simplicité plutôt que l’opulence, ou tout simplement le bonheur de se déplacer à n’importe quelle heure du jour et de la nuit sur simple rotation d’une clef dans un barillet, sans dépendre de modes de transport partagés avec des inconnus, aux horaires souvent inconvenants.
Seulement voilà. Les populaires le sont de moins en moins, et les nouvelles générations pourraient bien être privées de l’expérience procurée par celles-ci.
Au Brésil, la catégorie des populares a atteint un seuil historiquement bas en 2016 lorsqu’elle a représenté à peine un tiers des ventes de véhicules neufs. Et l’apparente remontée amorcée depuis (48% de participation en 2020) est trompeuse, puisque due à la généralisation de motorisations 1.0 Turbo affichant jusqu’à 127 cv, et propulsant les versions hautes de modèles n’ayant de populaire que le nom. Par la grâce du downsizing, le moteur d’entrée de la gamme Polo chez Volkswagen est désormais le "gros" quatre cylindres 1.6, alors que les versions haut de gamme s’affichent fièrement -et chèrement- avec leur petit Berlingo turbiné. Décidément, les codes statutaires n’en finissent pas de changer !
Même topo en Europe, où les véhicules du segment A se feront de plus en plus rares dans la rue, puisqu’ils désertent les showrooms. Lorsque Luca de Meo a annoncé en janvier que la Twingo III serait la dernière de sa lignée à sa sortie des chaînes vers 2024, PSA avait déjà sonné le glas des C1 et Peugeot 108. La situation est plus confuse chez VW où la Up a eu droit à une espèce de reboot avec une version 2.0 (dont on aimerait qu’elle fasse allusion à la cylindrée), non sans avoir au passage exécuté sa cousine Citygo chez Skoda, alors que la Seat Mii ne de meut plus guère qu’à l’électricité. D’ailleurs, la famille des toutes petites du groupe allemand n’aura elle non plus pas de descendance thermique, puisque c’est probablement une ID-1 qui prendra sa place. Une transition énergétique déjà entamée chez Fiat, où la nouvelle 500 côtoie encore pour un certain temps la "vieille" thermique légèrement hybridée, mais dont la remplaçante devrait grimper en gamme et probablement en segment avec l’adjonction de portières à l’arrière. Enfin, et parce que vous ne l’avez probablement pas remarqué, je vous rappelle que l’Opel Adam a tiré sa révérence en mars 2019.
Au Brésil et en Europe comme ailleurs, la faute en incombe en premier lieu au législateur. Parce qu’elles doivent intégrer les technologies de plus en plus onéreuses exigées par des normes particulièrement contraignantes en sécurité comme en matière d’émissions, les citadines subcompactes ont vu leur coût de production se rapprocher dangereusement de ceux de la catégorie au-dessus. Mais le consommateur doit aussi assumer sa part de responsabilité, avec une appétence grandissante pour des équipements encore considérés il y a quelques années comme l’apanage de luxueuses limousines. Plus personne n’imagine aujourd’hui ouvrir une vitre latérale pour aérer un habitacle, surtout s’il faut effectuer un mouvement de moulinet avec une manivelle en plastoc pour y parvenir. Et tout ça se traduit par du PRF (Prix de Revient Fabrication) comme on disait chez mes amis anciennement PSA, rendant le bouclage d’un business case de plus en plus complexe.
Me trouverez-vous affreusement nostalgique si je vous dis que c’est bien dommage ? Parce qu’à l’heure où on parle tant de l’impact carboné de nos déplacements individuels et de l’empreinte au sol des véhicules en ville, il m’apparaît pour le moins paradoxal que des règlements de plus en plus drastiques contribuent à tuer les modèles les plus frugaux et les moins encombrants. D’autant plus s’ils doivent être remplacés par des véhicules plus gros et/ou d’occasion, avec les effets que l’on peut imaginer sur les émissions de tout poil. Sans compter que ces petites voitures-là procurent un plaisir de conduite qui leur est propre, et qu’on ne retrouve pas dans celles des segments au-dessus. Par l’agilité que leur confèrent des dimensions raisonnables et un poids contenu, les populaires constituent sans contexte les voitures les plus amusantes à conduire en milieu urbain, où se concentrent l’essentiel des trajets motorisés d’un grand nombre d’automobilistes, du moins tant qu’on ne le leur en interdit pas l’accès. D’ailleurs, qui sommes- nous pour dire le contraire lorsqu’Ayrton Senna lui-même choisissait une roturière berline 3 portes de 3,64 m pour se balader avec Adriana dans les rues de São-Paulo ?
Alors, no future pour le segment A en Europe ? A moins que l’avenir des toutes petites citadines n’y prennent les traits de la Wuling Hongguang Mini EV. Si vous croyez à une succession de fautes de frappe, laissez-moi vous rappeler qu’avec 120.000 unités, l’engin en question a été la deuxième voiture électrique la plus vendue dans le monde l’année dernière la Tesla 3. Et comme elle n’a été lancée qu’en juillet, elle pourrait bien monter sur la plus haute marche du podium dès cette année, surtout si sa version européenne prochainement fabriquée en Lituanie par la Société Dartz y contribue de façon significative avec son tarif annoncé inférieur à 10.000 euros. Si ça vous intéresse, nul besoin de mémoriser son petit nom, puisqu’elle sera vendue dans nos contrées sous le doux vocable de Nikrob FreZe (toujours pas de typo). En revanche, rappelons à ceux qui ne seraient pas convaincus par la Wuling/Dartz et ses 13 kW, que Dacia propose depuis peu sa Spring à partir de 12.000 euros, avec un surpuissant moteur de 33 kW (soit tout de même 44 cv), et que Fiat nous promet dès 2022 sa Panda inspirée du concept Centoventi présenté à Genève il y a deux ans.
Quoique… Il semblerait qu’il existe un constructeur qui croie encore au potentiel du moteur à combustion interne dans le segment A. Alors que PSA (devenu Stellantis), son partenaire historique, a déserté l’usine tchèque de Kolin d’où sortaient les Citroën C1 et Peugeot 108, Toyota a décidé de poursuivre seule l’aventure de l’Aygo qui y était fabriquée avec ses cousines françaises. Le constructeur japonais l’annonce avec l’Aygo X Prologue, un concept car prometteur dont les géniteurs proclament de façon insistante qu’il a été conçu en Europe, au Studio de Design ED2 de Sophia Antipolis. C’est d’ailleurs son directeur Ian Cartabiano qui nous explique pourquoi son employeur persiste à proposer sa petite citadine, en déclarant : "C’est pour nous une icône, particulièrement dans le sud de l’Europe. Ce serait insensé pour nous de quitter le segment. La nature des villes européennes ne change pas. Les espaces y sont toujours réduits".
L’analyse est irréfutable, même si on se demande comment les stratèges de Toyota arriveront à boucler l’équation économique. Mais réjouissons-nous surtout de ce que le segment A ne sombre pas -du moins pas encore- dans le tout électrique, tout en formulant un vœu à l’intention des ingénieurs responsables de sa mise au point : S’il vous plaît les gars, assurez-vous que la conduite de la prochaine Aygo soit aussi fun que son look de gros jouet Tonka le laisse à supposer.
Bref, faites-nous une vraie Toy Car.