19/12/2024 - #Renault , #Fiat , #Ram
Tipo Tipo
Par Jean-Philippe Thery
Cette semaine, je vous propose une chronique avec un titre en forme de typo. Ou pas…
Je vous écris du Brésil>
Histoire d’écourter mon hiver berlinois, je suis en effet venu à Rio profiter d’une chaleur excessive, des plages de Copacabana et d’Ipanema, ainsi que de la Caïpirinha et des "churrascos", ces barbecues originaires du sud du pays. Et pour cultiver le cliché jusqu’au bout, je ne manquerai pas non plus de déguster une délicieuse "feijoada", plat emblématique à base de haricots noirs cousin de notre cassoulet, avec lequel il partage de constituer un excellent prélude à une bonne sieste comme à des promesses de régime jamais tenues.
Et bien sûr, je vais aussi retrouver les produits "tipo".
Le "tipo", c’est un peu la version locale du Canada Dry, soda dont les jeunes de mon âge se rappelleront immanquablement qu’il avait pour slogan "Ça ressemble à l’alcool, c’est doré comme l’alcool, mais ça n’est pas de l’alcool". Dans la même veine, on trouve donc au Brésil des fromages "tipo Camembert", "tipo Brie" ou "tipo Gorgonzola", de la mortadelle "tipo Bologna" et des saucisses "tipo Frankfurt" ou encore de la moutarde "tipo Dijon", lesquels proposent une imitation plus ou moins réussie du produit original. Et je ne fais pas ici allusion à des trucs qui se vendent à la sauvette sous le manteau, mais à une appellation tout ce qu’il y a de plus officielle et dûment règlementée par l’Agence nationale de vigilance sanitaire (Anvisa).
Si vous trouvez ça bizarre, dites vous bien que notre Mimolette nationale naquit d’un processus plus ou moins similaire, quand l’Edam devint "caseum non grato" dans l’hexagone en 1672, après que Colbert eut interdit les importations de produits laitiers en provenance des Pays-Bas. Si ce n’est qu’à la différence de nos amis brésiliens, les Flamands de France prirent le soin d’ajouter un colorant à base de graine de roucou, donnant sa couleur caractéristique orange à celle qu’on désignait alors comme "Boule de Lille", puisqu’elle se gardait bien de reprendre l’appellation d’origine du modèle. En même temps, on fabriqua de l’Edam Français dès 1660 en Gironde, et plus récemment du "Meusedam" (appellation contrôlée) dans la Meuse.
Evidemment, tout ça trouve son origine dans le protectionnisme, que ce soit celui du Contrôleur Général des Finances de Louis XIV ou de Brésiliens qui taxent lourdement les produits importés. Un doux venin qui a certes permis à la première économie d’Amérique Latine de créer une puissante industrie, mais qui n’incite ni à la qualité ni à la compétitivité face à des produits étrangers ne livrant plus une vraie compétition, puisque plus ou moins cantonnés au positionnement haut de gamme seul à même de justifier leurs tarifs significativement plus élevés. En conséquence, les biens transformés sont essentiellement destinés au marché local, les rentrées en devises dépendant principalement de commodities.
Et ça concerne également l’automobile, puisque 85% des voitures vendues au Brésil sont fabriquées sur place, alors que la moitié des exportations -lesquelles ne représentent que 17% de la production- sont destinées au voisin argentin avec lequel le pays a signé un accord bilatéral. Quant à l’offre, elle se répartit entre voitures autochtones ou déclinées de modèles originaires d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis, ces dernières faisant tout de même l’objet d’adaptations permettant d’affronter les conditions locales ou les exigences des consommateurs. Certaines d’entre elles, dites "long life" ont même droit à un restylage propre quand l’équation économique ne permet pas de les remplacer et qu’on les prolonge d’une génération.
Et bien sûr, il y a aussi les modèles "tipo".
Par rapport au fromage ou à la charcuterie, ceux-ci restent néanmoins le fait de leur constructeur d’origine, ce qui leur confère une légitimité à laquelle ne peut décemment prétendre un Camembert qui n’a jamais vu la Normandie ou un Brie n’étant passé ni par Meaux ni par Melun. Fabriqué jusqu’à l’année dernière dans l’usine de Curitiba, le Renault Captur brésilien constitue un bon exemple de ces "bitza" locaux, avec une plateforme empruntée au Duster lui offrant un empattement plus généreux que celui de son alter ego européen reposant sur un soubassement de Clio. En son temps, la Fiat Punto ne reprenait qu’en partie la plateforme de la Grande Punto Italienne dont elle arborait pourtant le look, y ajoutant des éléments empruntés aux bases roulantes des Idea, Stilo et même Palio locales. Quant à la nouvelle Citroën C3 tombant des chaines de Resende dans l’Etat de Rio de Janeiro, elle utilise la plateforme CMP développée pour les pays émergents au lieu de la PF1 modifiée du modèle français, accueillant de surcroît le moteur 1.0 Firefly de Fiat dans la salle des machines.
Mais avant tout cela, le Brésil a eu droit à sa Tipo à lui.
Je fais bien sûr allusion à la Fiat du même nom, qui fit une entrée remarquée sur le marché national en septembre 1993 avec ses carrosseries 3 et 5 portes, mue par une motorisation unique développant 82 ch de son 1.600 cm³. Le succès aidant, la Tipo 1.6 ie fut bientôt épaulée par une version SLX dont le 2.0 délivrant 109 ch signifia son entrée dans la cour des grands, à l’époque où ce genre de cylindrée "posait" son propriétaire. Et l’Italienne eut même droit à une version sportive "Sedicivalvole" avouant 137 chevaux contre 145 en Europe, non pas que les équidés manquant à l’appel se furent noyés dans l’Atlantique, mais parce qu’il valait mieux les cacher au fond de l’écurie pour des raisons fiscales.
D’abord importée, la Tipo fut "nationalisée" à partir de 1996 à l’usine de Betim dans l’Etat du Minais Gerais, fief brésilien de la marque. Certains estiment qu’elle y perdit l’aura que lui conférait son origine italienne, même si l’indubitable baisse de prestige qu’elle subit fut plutôt la conséquence de faiblesses mécaniques. Aux casses régulières d’un train arrière un peu trop fragile pour le réseau routier local, s’ajouta une propension à l’enflammement spontané les jours de grande chaleur, quand la durite transportant sous pression le fluide de direction assistée se rompait, déversant son contenu inflammable sur le collecteur d’échappement. La baisse des ventes qui s’ensuivit signa la fin de la Tipo sous les Tropiques en 1997, contrastant avec les débuts prometteurs d’une auto qui avait apporté un niveau d’équipement jusqu’ici inconnu dans son segment.
Si tout ça m’est revenu en mémoire, c’est que Fiat a récemment annoncé le retour de la Tipo sur certains marchés européens. Evidemment pas celle de l’époque brésilienne, mais plutôt la "Nuova Fiat Tipo" lancée en 2015, dont la lecture de la fiche technique nous ramène tout de même une quinzaine d’années en arrière avec sa motorisation turbodiesel accouplée à une boite de vitesse mécanique et sa climatisation manuelle. Un étonnant comeback en forme de résurrection, puisque le modèle avait été retiré du marché en 2022 pour cause de mévente, n’ayant semble-t-il pas su s’imposer face à une certaine Logan. Une auto dont même le prix nous fait voyager dans le temps, les 16.900 euros TTC sans condition de reprise nous rappelant le genre d’étiquette qu’on trouvait sur le parebrise de modèles d’expo dans les showroom à l’ère pré-Covid.
A ce tarif-là, on a droit à une carrosserie "tri-corps" exhibant un coffre proéminent, espèce peu commune dans nos contrées alors qu’elle constitue la norme du segment C dans certains pays comme -tiens donc- le Brésil. Plus que suffisants pour emmener les 1.375 kg de l’engin, les 130 chevaux et 320 Nm sont transmis aux roues avant par une boite à 6 rapports qu’il faut engager soi-même de la main droite. Certes, il faut se contenter de jantes tôle de 15 pouces avec enjos plastoc et d’une radio avec écran 3,5 pouces genre calculette, alors que le revêtement du volant comme du pommeau de levier de vitesses donneront envie au propriétaire de s’écrier "j’veux du cuir". Mais notre homme se consolera en songeant au malus de 170 euros à peine, ainsi qu’aux 520 litres de la malle permettant de transporter un nombre appréciable de meules de mimolette. Et puis, moyennant un supplément de 2.000 euros, il reste possible de s’embourgeoiser avec la version City qui propose plein de truc en plus, comme les jantes alu et feux antibrouillard, ainsi qu’un système d’info-diversion avec écran 7 pouces (d’un coup).
Quoiqu’il en soit, quelqu’un de chez Fiat a tout de même eu une drôle d’idée, consistant à proposer aux clients de la marque une voiture dont ils veulent vraiment. Un gars hors-sol, ignorant toute velléité de montée en gamme, snobant l’électrification et qui a eu le culot de penser qu’une voiture alimentée par un carburant gras et puant pouvait encore avoir un avenir. Il se dit même que l’individu privilégiait la lecture des résultats d’études de marché à celle des règlements de l’UE, se référant à des mots bizarres tels qu’"attentes", "consommateur" ou "raisons d’achat". Bref, j’en suis à me demander si quelque part dans les sous-sols de Mirafiori, il n’existe pas une salle dont l’existence est tenue secrète, de laquelle on aurait récemment exhumé un vieux Chef de Produit cryogénisé aux premières heures du Covid afin de préserver l’espèce. Si tel est le cas, notre homme a dû réintégrer son caisson à l’heure qu’il est, histoire d’être disponible pour la prochaine baisse de forme du marché.
Et pendant que notre hibernatus automobilis retrouve le sommeil, nul doute que les services "veille concurrence" de certains constructeurs généralistes installés en Europe se pencheront sur le cas de cette Fiat d’un nouvel ancien type, à moins que ce ne soit l’inverse. Il n’en reste pas moins que sur la page "modèles" de fiat.fr, notre Tipo est bien esseulée dans la rubrique "thermique", alors que les hybrides et 100% électriques ont des copines avec qui papoter. Mais voilà peut-être une façon de rappeler aux marketeux de la bagnole que rien n’empêche de prendre part à l’électrification tout en continuant à proposer des autos pour lesquelles certains ne demandent qu’à signer un bon de commande. On ne peut d’ailleurs que tirer son chapeau de roue aux décideurs de Fiat, qui ont compris le potentiel d’une auto à laquelle on avait pourtant administré les derniers sacrements, même si elle était heureusement toujours produite en Turquie.
Parce qu’en attendant 2035, on pourrait bien avoir encore besoin de voitures "tipo Tipo" en Europe…