02/01/2025 - #Renault , #Alpine , #Bmw , #Dodge , #Hyundai , #Porsche , #Chevrolet , #Ram
Renault (sans) Turbo
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’engins turbinés, dans les airs et sur la route. Ou pas…
Tout ça, c’est la faute des avions.
Parce que l’air se raréfie en altitude et que la puissance des moteurs à pistons en pâtit forcément, on a très vite imaginé comprimer celui qu’on introduit dans les cylindres pour qu’il occupe moins de volume. Par la grâce du rapport stœchiométrique stipulant 14,7 g d’air pour 1g de carburant afin d’obtenir une combustion idéale, il est alors possible de "suralimenter" en essence de pétrole un moulin qui voit ainsi augmenter sa puissance spécifique, mesurée en nombre d’équidés vapeur par litre de cylindrée. Quant au compresseur en (super) charge du job, il tourne soit par liaison mécanique avec le moteur dont il emprunte une partie de l’énergie avant de la restituer sans délai avec intérêts, soit "gratuitement" au moyen d’une turbinette mue par le flux des gaz d’échappement, mais qui prend son temps pour délivrer (le fameux "turbo lag").
C’est aux cousins d’outre-Atlantique qu’on doit d’avoir diffusé la technologie du turbocompresseur durant la Seconde Guerre mondiale, ce dernier équipant notamment les P47 et P38 alors que les européens de tous bords préféraient le compresseur mécanique pour booster les V12 des Spitfire et Messerschmitt Me-109 qui se tiraient la bourre, mais surtout les uns sur les autres. L’histoire a néanmoins retenu que le premier bloc équipé d’un turbo provenait d’ateliers de chez Renault, nous rappelant ainsi que l’entreprise produisit elle aussi des 12 cylindres en V. Quelques exemplaires prototypes du Breguet XIV A2 de reconnaissance bénéficièrent donc du dispositif et de 320 chevaux surexcités, mais très vite à bout de souffle quand la mécanique encore inexpérimentée rendait l’âme par hyperventilation.
Les neveux d’Oncle Sammy furent également les premiers à s’y coller à bord des automobiles, avec les 9.607 exemplaires de l’Oldsmobile F-85 Turbo Jetfire fabriqués en 1962 et 1963. A peu près simultanément, la Chevrolet Corvair voyait son six cylindres "pancake" -donc à plat mais pas fatigué pour autant- boosté à 150 chevaux en s’adjoignant les services d’un turbo, optionnel sur la finition sportive "Monza" des coupés et cabriolets (respectivement 6.294 et 2.574 unités). En Europe, il fallut attendre 1973 pour qu’une version survitaminée de la BMW 2002 exhibe fièrement un autocollant "Turbo" sur le bouclier avant, écrit à l’envers pour mieux remplir le rétroviseur des occupants de la file de gauche sommés de céder le passage. Un gimmick un peu puéril sans doute inspiré des ambulances, dont les mauvaises langues affirment qu’elles recueillirent certains des conducteurs du modèle, lequel montrait apparemment un comportement un tant soit peu délicat. La Porsche 911 Turbo lancée deux ans plus tard n’obtint pas meilleur réputation, même si à l’ostentation adhésive elle préférait un aileron de type étagère montée sur une croupe généreusement élargie.
Mais pour l’ex-fan français des eighties, les icones Turbocompressées provenaient de chez celle qu’on dénommait alors "la Régie", à commencer par la 5 Alpine équipée d’un Garett lui soufflant joyeusement dans le carbu double-corps. Relevant d’une école de pensée autre que celle de la Béhème, celle-ci arborait son marquage "Turbo" dans le bon sens sur la lunette arrière, histoire sans doute de renseigner les malheureuses victimes d’un dépassement du motif de leur humiliation. Pour autant, celle que les gamins de mon âge ont tous en tête -bien que plus rare- était sortie un an plus tôt, la sobriété de la dénomination "5 Turbo" tranchant avec l’exubérance d’une carrosserie bodybuildée aux amphets. Le type de substance dont on soupçonnerait volontiers ses créateurs d’avoir quelque peu abusé s’ils n’avaient appartenu à la très respectable Direction du Produit d’alors, tant l’idée de remplacer la banquette habituellement dévolue à deux braillards par un moteur plus bruyant encore pouvait sembler saugrenue.
Ce véritable Frankenstein mécanique élaboré sur la base d’une modeste éconobox en remontrait pourtant sur l’échelle de la désirabilité à des sportives de marques prestigieuses, alors qu’elle ne disposait que d’un modeste 1.397 cm³ d’à peine 6 CV fiscaux. Mais là résidait précisément la magie du turbo, qui parvenait à en extraire 160 chevaux pour affoler des roues arrière devenues motrices et logées dans des extensions d’ailes aux proportions frisant l’indécence. Des origines roturières donc, mais qui justifiaient au moins en partie l’énorme capital sympathie dont jouissait un engin pas prétentieux pour deux sous, dont le physique caricatural façon BD parlait à tous les enfants, qu’il s’agisse de ceux qui l’admiraient en bord de route ou de celui qui réside immanquablement en toute "tête de pétrole", conducteur-propriétaire compris.
Qu’elle ait perdu ses ouvrants et pavillon en alu ainsi que son intérieur futuriste signé Bertone au premier tiers de la production n’y changeât pas grand-chose, puisque pour bien des ados alors dépourvus d’écran-magique-qui-dit-tout, le vocable "Turbo 2" qu’elle gagnât dans ce decontenting semblait au contraire désigner une forme d’évolution magique dont les ingrédients leur échappaient. Ajoutez à cela de nombreux succès en compétition, souvent face à des concurrentes mieux dotées sur le papier, et vous comprendrez qu’il était impossible de ne pas aimer la 5 Turbo !
Et voilà que quatre décennies plus tard, Renault nous refait le coup de la 5 Turbo… sans Turbo. Un concept pas vraiment nouveau, puisque dès les années 80, le salon de coiffure du coin comme certains déodorants, robots de cuisine ou bombes de mousse à raser empruntaient volontiers l’appellation, qui s’affranchissait de son origine technique pour valoriser des caractéristiques "turbinée". Après avoir "changé de braquet" pendant des années, on s’est donc habitués à "mettre le turbo", en insistant non plus sur l’objet mais sur les performances qu’il permettait.
Pour revenir à l’automobile d’aujourd’hui, c’est ainsi que Porsche -après avoir semé une certaine confusion en dotant les 911 non-turbo d’un turbo tout en conservant la Turbo- n’a pas hésité à désigner les versions hautes de son électrique Taycan "Turbo", "Turbo S" et "Turbo GT". Un truc de marketeux qui n’a pas manqué de faire grincer les dents de certains passionnés, même s’il y a bien longtemps que les constructeurs recourent au bidule à ailettes sans que le moindre signe extérieur ne vienne signaler sa présence. Il y a d’ailleurs fort à parier que de nos jours, de nombreux conducteurs "roulent turbo" sans même s’en douter.
Alors foin de bégueulerie, et faisons preuve à l’égard de la 5 Turbo 3E -sa désignation officielle- d’un esprit ouvert, d’autant plus que la bête a tout de même une sacré gueule. Malgré ses peintures de guerre jaune et noir faisant explicitement référence aux voitures naguère engagées en rallies, celle-ci m’évoque plutôt la "Le Car Turbo" du Championnat américain IMSA 1981 à l’aspect résolument bestial, mais qui ne dura malheureusement que le temps de quelques courses, puisque son pilote Patrick Jaquemart se tua à son volant. Gageons qu’avec une superstructure de carbone aussi légère que résistante, la 5 Turbo 3E protégera en cas de crash les amateurs passionnés qui feront l’acquisition des quelques exemplaires disponibles.
Annoncée de façon inédite par le documentaire "Anatomie d’un comeback" diffusé sur Prime Vidéo, la Turbo nouvelle mouture promet des performances époustouflantes – avec notamment un 0 à 100 km/h abattu en 3 secondes- grâce à 500 chevaux disponibles aux roues arrière. Ou plutôt dans les roues arrière, puisque -si j’ai bien compris le communiqué de presse- c’est apparemment dans leurs moyeux que seront logés les deux moteurs électriques chargés de mouvoir l’auto, une technologie qui nous ramène à la Lohner-Porsche Electromobile de 1898, ou aux Rovers abandonnés sur la Lune par la Nasa, à l’égard de laquelle j’avoue nourrir une grande curiosité, s’agissant notamment de la gestion des masses non suspendues sur une voiture à hautes performances.
Mais le vrai défi de la 5 Turbo 3E me semble résider ailleurs. Parce que, performances exceptionnelles ou pas, la vraie sportive électrique reste de mon point de vue encore à inventer. "Hyundai Ioniq 5N" me répondront sans doute ceux qui l’ont essayée, ou "Dodge Charger Daytona 2024" ceux qui suivent l’actualité. Si ce n’est que ces deux-là jouent la carte du mimétisme thermique, en reproduisant par artifices interposés le son d’une voiture mue par un moteur à combustion interne et/ou les ruptures de charges consécutives aux changement de rapport. Même si c’est peut-être très réussi, j’y vois s’agissant des véhicules électriques, l’aveu implicite de caractéristiques fondamentales antinomiques à l’idée qu’on se fait de la sportivité. Qu’il s’agisse du poids embarqué ou d’une "courbe" de couple aux antipodes de celle des motorisations turbo d’antan, quand le pic visible sur le papier se traduisait dans la vraie vie par un déferlement jouissif de Newton-mètre à l’écrasement de l’accélérateur, après un retard certain à l’allumage.
Si la nouvelle 5 (sans) Turbo parvient à résoudre cette équation , nul doute qu’elle inaugurera une nouvelle ère pour une voiture qui ne manquera assurément pas d’air. Elle méritera alors pleinement son appellation "Turbo", quand bien même devenue symbolique.