Publicité
Publicité
12/12/2024 - #Audi , #Alfa Romeo , #Jaguar , #Land Rover , #Lexus , #Nissan , #Ford , #Tata

Poussif Cat

Par Jean-Philippe Thery

Poussif Cat
Bleue et roses : les voitures genrées de Jaguar (Crédit : JLR)

Aujourd’hui, je vous parle à nouveau d’un chat qui voudrait percher dans le très haut de gamme…

Puisque les paillettes du lancement sont retombées, je vous propose de revenir sur Jaguar. Je sais, deux chroniques en trois semaines sur la même marque, ça fait beaucoup, mais n’était-ce précisément pas l’effet recherchée par cette dernière avec un certain teasing qui a fait couler beaucoup d’encre virtuelle ? (y compris la mienne avec Copy (not) cAt).

J’imagine que tout monde a ici saisi l’allusion au "reveal" de la Jaguar Type 00 qui s’est produit lors de la journée inaugurale de la "Miami Art Week 2024", manifestation que 90% d’entre nous aurons probablement découverte à cette occasion. Il faut dire que depuis quelques années, il est de bon ton chez les constructeurs de tenir salon en dehors des salons automobiles, à tel point que le prochain qui aura l’idée extravagante de révéler un nouveau modèle à l’occasion d’un motorshow passera pour furieusement disruptif.

"Tout ça pour ça" fut cependant ma première réaction en découvrant des photos fuitées -dont on se demande toujours qui les a lâchées dans la nature électronique- quelques heures avant l’évènement officiel. Reconnaissons néanmoins à ce dernier d’avoir généré une proportion de commentaires positifs sans doute plus importante que pour le teaser dégenré du 25 novembre dernier. Même si ce n’est pour autant pas le moindre des paradoxes que ce dernier ait "fait le job" en braquant les projecteurs sur deux autos aux couleurs évoquant autant de faire-part motorisés, entre le bleu layette et le rose girly.

N'ayant pas eu les honneurs d’une invitation, j’ai dans un premier temps eu l’impression d’avoir affaire à des photos de synthèse, avant confirmation que l’objet était bien réel, même s’il est évidemment ici question de concept-cars. La garde au ras du sol qui ferait passer un sport-proto pour un SUV et nombre d’autres détails renseignant sur l’inaptitude de l’objet à l’homologation routière, on le considèrera donc comme l’équivalent d’une tenue haute couture. Autrement dit, un truc totalement importable dans la vie réelle, mais pas moins supposée nous renseigner sur les tendances stylistiques du prêt-à-rouler, en l’occurrence une GT quatre portes attendue pour 2026.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est du brutal. La masse -terme en l’espèce particulièrement approprié- supposée s’inspirer des lignes de la type E, se caractérise donc par un capot long comme le 8 cylindres en ligne ou le V16 que l’engin ne recevra jamais, contrastant avec un popotin manifestement propulseur. Bizarrement, c’est à la fois massif et dynamique, la partie haute de la cellule habitable au-dessus de la ceinture de caisse n’étant pas sans rappeler la Nissan GTR, s’agissant notamment des vitrages. Au final, le profil constitue sans doute la partie la plus réussie de l’auto -la moins ratée diront ses détracteurs- même si je m’interroge sur l’usage des codes visuels d’une auto thermique dans leur expression la plus caricaturale, la 00 préférant selon l’inévitable communiqué de presse "défier les conventions des véhicules électriques, avec un long capot, une ligne de toit élancée [et] un profil fastback". Bref, il semblerait que selon la marque, le design de rupture pour une auto à batterie réside dans un style clamant ostensiblement "j’ai un énorme moteur en position centrale avant et des roues arrière motrices".

Si on m’avait présenté son avant débadgé dans un test clinique, j’aurais volontiers évoqué un mélange d’Audi pour sa verticalité et de Lexus pour les optiques, sans penser un seul instant à la marque britannique. On est de fait très loin de la félinité convoyée par son patronyme comme par les lignes tendues de ses modèles historiques, le faciès de la Zero-Zero étant sans doute à l’automobile ce que le brutalisme est à l’architecture. Etant plutôt amateur du genre -heureux moi qui réside à Berlin- je le reçois donc plutôt bien s’agissant de l’objet mi-réel mi-fictif que constitue un concept-car, même si je m’interroge sur sa déclinaison sur le futur modèle de production, dans une version forcément édulcorée.

Pour ce qui est de l’arrière, on est probablement allé chercher son designer au Département HVAC (Heating/Chauffage, Ventilation et Air Conditionné) de l’ingénierie, à moins qu’on ait procédé par recrutement externe chez General Electric. Comment expliquer autrement cet énorme panneau parfaitement rectangulaire à persiennes, dont on s’attend à ce que les lamelles pivotent sur l’injonction d’une télécommande ? Si ce n’est peut-être par de très, très gros besoins en refroidissement, justifiant cette énorme superficie d’extraction des flux d’air. C’est le software de gestion thermique des batteries qui doit être content…

En comparaison, l’habitacle paraîtrait presque sage avec un volant ovalisé déjà-vu, sur une planche supportant une dalle-instrumentation-comme-tout-le-monde dupliquée à l’identique pour le non-conducteur, très pratique pour décliner les versions en conduite à gauche ou à droite. On note tout de même une bizarrerie avec la séparation entre conducteur et passager à la Jaguar Type D, dissuadant les contacts physiques entre les occupants. Dans la Jag façon XXIe siècle, on ne met apparemment plus la main sur le genou de la passagère en conduisant, ni l’inverse d’ailleurs. Au final, l’innovation intérieure semble résider dans l’emploi de cuivre, tissu et travertin, dont Wikipedia indique à propos de ce dernier qu’il s’agit d’"une roche sédimentaire calcaire continentale à aspect concrétionné, grossièrement litée, de couleur blanche quand elle est pure, ou tirant vers le gris, le jaunâtre, le rougeâtre ou le brun, selon les impuretés qu'elle renferme". Un caillou noble donc, puisqu’utilisé entre autres dans la construction du Colisée, avec lequel on semble vouloir renouer avec la tradition de recours à des matériaux de qualité, même si bien différents des peaux de bête et placages boisés.

Au final, la phase 2 de l’opération Buzz à la Jaguar a parfaitement fonctionné, du moins si l’on s’en tient au nombre de clics. C’est plus complexe s’agissant de l’engagement puisque l’objet s’avère pour le moins segmentant, les réseaux sociaux voyant s’opposer les traditionnalistes en mal de motorisations multicylindre et ronce de noyer aux "disruptifs" qui les prennent de haut sur le mode "t’as rien compris". Et comme j’ai un peu de mal à me positionner entre ces deux groupes-là, permettez-moi plutôt que me prononcer péremptoirement, de m’essayer au "reverse-marketing" un peu comme on le fait en ingénierie quand on démonte un objet pour essayer de reconstituer son processus de fabrication.

C’est qu’au fil du temps, Jag est un peu devenue l’équivalent britannique d’Alfa Romeo. Autrement dit une marque qu’on aime tous, mais que très peu achètent. Depuis que je suis en âge de m’intéresser à l’automobile (quelque part dans le dernier quart du siècle dernier), l’Italienne est en état de Renaissance permanente, alors que Jaguar n’a eu cesse de ressurgir de ses cendres depuis sa privatisation en 1984 (après une intégration malheureuse au sein de British Leyland), avant sa prise en main par Ford en 89 suivie de son intégration dans le Groupe Premier du géant américain dix ans plus tard, pour finir par rejoindre le giron de Tata en 2008. Il n’en reste pas moins que malgré les efforts du groupe indien, la gamme du fauve montre de sérieux signes de vieillissement s’agissant notamment de berlines remontant aux calandres grecques, avec un lancement datant de 2015 pour la XE et même de 2007 pour la XF. Même si je ne doute pas que la littérature marketing de l’époque évoquait déjà à leur sujet quelque chose comme "le renouveau de la marque".

Un état de fait qui a dû provoquer pas mal de scarifications sur le cuir chevelu des têtes pensante de l’Abbey Rd à Whitley, quartier sud de Coventry où siège JLR. Au prix sans doute d’interminables tempêtes cérébrales, celles-ci sont donc parvenues à la conclusion que rien ne servait de continuer à engloutir des rivières de livres sterling dans une course au triumvirat germain du premium qui n’a jamais permis de faire mieux qu’un peu moins de 180.000 voitures en 2017. Et qu’il valait sans doute mieux faire grimper le félin en altitude, afin de respirer l’air certes plus raréfié du vrai haut de gamme, mais avec les prix unitaires et les marges qui vont avec. D’autant plus que c’est précisément cette stratégie qui permet au cousin Land Rover de facturer au prix fort des SUV devenus de luxe et qui ont supplanté les limousines d’antan. Et puis, tant qu’à partager plateformes et organes vitaux, autant mettre en phase le positionnement des modèles destinés à les héberger avec leur coût de revient.

D’une refondation somme toute logique au véritable coup de pied dans la fourmilière qui s’en est suivi, il y avait tout de même un gros bond que le Jaguar n’a cependant pas hésité à effectuer. S’agissant tout d’abord d’une stratégie du tout électrique qui paraissait sans doute prometteuse lorsqu’elle fut actée, mais à propos de laquelle on est aujourd’hui en droit de s’inquiéter à constater les résultats des VEB sur les marchés européen et américain. Et surtout, il y a cette stratégie de branding qui interpelle, la rupture dont elle se réclame ne pouvant décemment se suffire à elle-même, même si elle a réussi -bien que de façon discutable- à mobiliser une audience inhabituelle pour la marque. Mais après que la 00 électrique a bénéficié d’une notoriété très au-delà de ce qu’elle aurait pu espérer par elle-même, je me demande tout de même "So Watt ?".

D’autant plus qu’au risque de vous surprendre, je trouve au fond le concept 00 plutôt conventionnel au-delà de ses lignes provocantes assumées. Que celui-ci ait provoqué une réponse contrastée ne me surprend guère, même si je ne doute pas qu’une partie des critiques qu’il a essuyées relevaient plus de la défense d’une position adoptée lors du fameux teaser qu’un véritable jugement esthétique. Il n’en reste pas moins que d’une auto construite sur une plateforme toute électrique -la nouvelle JEA- on aurait en effet pu attendre plus d’audace que la reprise de codes déjà connus et très convenus, même si aucune marque ne s’y est jusqu’ici véritablement aventurée. Dans le même temps, le conservatisme -quand bien même wrappé de rose- n’est pas forcément une mauvaise idée considérant les clientèles visées, qui n’ont sans doute pas grand-chose à voir avec les "persona" chatoyants du teaser, et auxquelles il va bien falloir faire avaler la pilule électrique.

Quoiqu’il en soit, je trouve cette démarche-là d’autant plus poussive que tout se jouera véritablement au lancement de la "vraie" voiture, prévu pour dans une grosse année, laquelle risque de paraître bien longue. Principalement pour les concessionnaires qui ne se seront pas vu retirer le panonceau au matou bondissant dans l’opération de "right-sizing" du réseau, et dont les vendeurs VN devront se recycler chez leurs collègues de l’occase.

Mais si l’auto est réussie, le Jaguar pourra rugir fièrement "tout ça pour ÇA" en réponse à mon scepticisme, même s’il aura alors probablement d’autre chats à fouetter et des clients à caresser dans le sens du poil quand ceux-ci afflueront dans les conce…pt-stores. Conformément à ma conclusion d’il y a deux semaines, c’est tout le mal qu’on lui souhaite. Parce que l’amateur d’automobile aura toujours envie de se retourner dans la rue sur une belle Jaguar, quand bien même les représentants de l’espèce se feront plus rares…

Publicité

Réactions

Aucun commentaire, soyez le premier à participer !

Votre commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire

Autres articles

Marchés

Berlin lorgne sur les réserves de lithium de la Serbie

(AFP) - Le chancelier allemand s'est entretenu mardi de projets d'extraction de lithium avec le président serbe, dont le pays compte les plus grandes réserves connues en Europe de ce métal crucial pour l'avenir de l'industrie automobile en crise.

Equipementiers

Près de 190 emplois menacés chez le sous-traitant Amis

(AFP) - Près de 190 emplois sont menacés par un plan social chez le sous-traitant automobile Amis, placé fin octobre en redressement judiciaire et qui emploie près de 400 salariés dans l'Allier et la Creuse, a-t-on appris mardi de source syndicale et auprès de la direction.

Nominations

Ola Källenius élu Président de l’ACEA

Président du directoire de Mercedes-Benz AG, Ola Källenius élu Président pour un mandat d’un par le conseil d’administration de l’ACEA à compter du 1er janvier 2025, succédant à Luca de Meo, directeur général de Renault Group.