25/07/2024 - #Renault , #Alfa Romeo , #Daf , #Lancia , #Maserati , #Porsche , #Rolls-Royce , #Chevrolet , #Toyota
Point Mort
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle de mes rapports avec une certaine émission de télévision britannique. Pour la dernière fois…
Ils ont essayé par tous les moyens.
La jeter contre un mur avant de la précipiter sur un arbre, puis tenter de la noyer dans la Manche et de l’écraser sous une caravane. Et n’ayant pas réussi à l’immoler, ils l’ont hissée à 75 mètres du sol sur le toit d’un HLM destiné à la destruction par implosion. Un "monument érigé à la gloire d’une Grande-Bretagne misérable" dans l’est londonien dont la chute n’allait pourtant pas suffire à l’achever. De plus en plus meurtrie et défigurée par les cicatrices cumulées de toutes les infamies auxquelles elle avait été soumise, elle s’est pourtant à chaque fois remise en marche pour reprendre sa route.
Sans doute lassés de leur propre cruauté, ses trois tortionnaires ont cependant fini par abandonner l’idée de la réduire à néant. Mieux encore, ils se sont inclinés devant l’incroyable résistance qu’elle démontra face aux terribles épreuves qu’ils avaient inventées. C’est donc sur un piédestal construit à son intention qu’ils l’ont juchée comme une forme de repentance, célébrant toute la grandeur de celle que son humble génétique destinait aux travaux des champs ou d’ailleurs. Parce qu’elle le valait bien et qu’il leur fallu se rendre à l’évidence : On ne tue pas facilement une Toyota Hilux.
Si vous prétendez aimer l’automobile, cette histoire-là vous dit forcément quelque chose. Dans le cas contraire, je vous conseille de n’en surtout rien dire à personne pour éviter de justifier 20 ans d’ignorance, et de vous rendre au plus vite sur "ToiTube" afin d’y visionner les cinquième et sixième épisodes de la troisième saison de Top Gear. Ce faisant, vous découvrirez comment le plus célèbre au monde des programmes télévisuels consacrés à l’automobile a plus fait pour la réputation de robustesse des pick-up de chez Toyota que les Talibans, qui les ont pourtant adoptés comme voiture de fonction quasi-exclusive.
Moi, ça fait évidemment très longtemps que je l’ai fait, même si considérant que Top Gear a ouvert son canal sur YouTube le 27 mars 2006, j’étais forcément très en retard par rapport à la diffusion originelle de la séquence intitulée "Killing a Toyota", intervenue en 2003. Et comme j’ai découvert le changement de formule de l’émission à cette occasion, j’en déduis que je n’y pas assisté pendant plusieurs années bien que je me souvienne parfaitement de certains des épisodes présentés par Quentin Wilson et Vicki Butler-Henderson de 1994 à 2001. Impossible en effet d’oublier la blondinette sachant tenir un volant et parler bagnole, pour laquelle j’avais forcément le béguin. Pour le reste, les jeunes de mon âge rappelleront que nous étions largement tributaires des rediffusions pour les programmes produits à l’étranger, qui ne fréquentaient alors pas encore une toile d’araignée mondiale balbutiante.
Mais peu m’importait alors, puisque je venais de découvrir avec la saga de cette courageuse Toyota une bonne partie des ingrédients constituant la recette du programme qui allait faire le bonheur des "têtes de pétrole" de mon genre durant une vingtaine de saisons. Même s’il faut bien reconnaître que tous n’apprécient pas forcément les facéties de Jezza, Captain Slow et Hamster, désignant respectivement Jeremy Clarkson, James May et Richard Hammond, le trio infernal qui concocta durant ces années-là des centaines de séquence n’hésitant pas à recourir aux clichés, à la mauvaise foi, au parti pris, à la provocation, à la dramatisation excessive et même à la violence gratuite envers de pauvres automobiles innocentes.
Il n’empêche. Je défie quiconque de ne pas ressentir de la compassion à l’égard de ce pauvre pick-up, qui malgré un état de conservation tout à fait correct après une vie qu’on devine de dur labeur, vit sa carrosserie lacérée sur les murs en brique rouge de Bristol, puis sa face avant défigurée sur un marronnier d’Inde, en préalable aux sévices précédemment listés. On ne peut en effet que se prendre de pitié à l’égard de celui dans lequel on ne pourrait pourtant voir qu’un vieil utilitaire, mais que Clarkson humanise en même temps qu’il l’enjoint de mourir alors qu’on l’attache en bout de jetée à Brighton, afin de l’exposer à la puissance destructrice de la marée montante. C’est qu’à l’occasion, les producteurs de TG savaient aussi jouer sur la corde sensible du spectateur, James May lui-même m’ayant semblé manifester une certaine émotion lorsqu’il est suggéré que soit mis fin aux sévices infligés à la pauvre Toy. Une émotion qui atteint son paroxysme lors d’un épisode ultérieur consacrée à l’Alfa Romeo Disco Volante de 2012, au cours duquel Clarkson évoque "la voiture la plus musicale qu’il n’a jamais entendue, comme si l’intégralité de son échappement était constitué d’Otis Redding", avec une bande son et des images à vous filer la chair de poule.
Mais foin de trémolos, qui ne correspondent pas vraiment à l’image renvoyée par le principal protagoniste de Top Gear. Parce qu’à l’heure ou dénoncer le politiquement correct constitue généralement le prélude à l’énoncé d’affligeantes banalités, JC a redéfini l’idée même du politiquement incorrect -mais alors vraiment incorrect- dont il a fait sa marque de fabrique. A tel point qu’un livre suffirait à peine pour établir l’inventaire de toutes les "Clarksonneries" auxquelles celui-ci s’est livré avec l’aide plus ou moins active de ses complices, ayant sans doute nécessité le doublement des effectifs du service courrier de la BBC en raison du flux des lettres de contestation scandalisées que celles-ci n’ont pas manqué de générer.
N'étant pas du genre timide, notre homme a carrément donné dans l’incident diplomatique à plusieurs reprises, le plus célèbre d’entre eux impliquant une Perodua Kelisa martelée à la masse devant le concessionnaire qui venait de la livrer, avant d’attribuer un nouveau sens à l’expression "flambant neuve". Un Auto(mobile)dafé qui entraina bien plus qu’un malaise en Malaisie avec d’officielles protestations émises à Kuala Lumpur par des représentants du parlement et du gouvernement qui ne goutèrent sans doute guère que le modèle national voit son nom comparé à une maladie, et décrit comme "fabriqué dans la jungle par des gens portant des feuilles en guise de chaussures". Mais Clarkson provoqua également l’ire des Mexicains qualifiés de "paresseux, imprudents et flatulents", des Indiens moqués pêle-mêle pour leur nourriture, leurs vêtements ou leurs toilettes ainsi que des Allemands accusés d’avoir doté la Mini d’un style typiquement germanique et d’un GPS indiquant la Pologne pour seule et unique direction. Une liste bien évidemment non exhaustive.
Considérant que les gays, les handicapés, les végétariens ou les "communistes" en ont également pris pour leur grade, la destruction de centaines de voitures sacrifiées sur l’autel de l’humour à la Top Gear paraîtra en comparaison tout à fait bégnine. Et de fait, on ne trouvera sans doute pas grand-monde pour lamenter le sacrifice de la Peruoda précédemment citée, pas plus que des caravanes, Reliant Robin ou Morris Marina condamnées pour les besoin du show. A part bien sûr s’agissant de cette dernière, les membres du club consacré au modèle (si, ça existe), qui auraient cependant mieux fait de cesser leurs protestations, chacune d’entre elles étant aussitôt suivie par l’élimination d’un nouvel exemplaire, généralement par enfoncement du pavillon causé par un piano qui tombait malencontreusement par là.
En revanche, certains pourraient s’offusquer de la mise à mort d’une Maserati Biturbo, même n’étant pas ce que la marque a fait de meilleur, d’une Porsche 911 Série G alors beaucoup moins cotée qu’aujourd’hui, ou d’une Chevrolet Corvette mitraillée par un hélicoptère dans le désert. Même Rolls-Royce ne fut pas épargnée lorsque Jeremy jeta une Silver Shadow dans une piscine qu’il était prétendument venu inaugurer. De leur côté, les Frenchies regretteront le sort réservé à une Renault 4 ainsi qu’à deux 2CV, alors que j’ai personnellement souffert des maltraitances infligées au Coupé Lancia Beta "Mad-Maxisé" lors de la traversée du Désert du Kalahari, à l’occasion d’un épisode spécial intitulé "Botswana Special", ainsi qu’au coupé HPE de la même marque engagé dans une course de stock-car avec… une Morris Marina.
Mais là résidait sans doute tout le génie des sbires de Top Gear, qui parvenaient à faire accepter l’inacceptable au nom d’un humour et d’une créativité délirantes jusqu’ici jamais vues dans une émission automobile. Sans doute les fans du programme ont-ils eu à plusieurs reprises à détourner le regard (tout de même, ces Lancia…) sachant pertinemment qu’ils ne pourraient justifier leur mansuétude à l’égard de certains excès autrement que par l’impérieuse envie d’assister aux épisodes suivants. Mais le fait est que personne n’a réussi à faire mieux ni même aussi bien, et surtout pas les franchises TG ouvertes en différents pays (dont les US, la France ou la Corée), qui ont sans doute eu pour principal mérite de contribuer substantiellement à la fortune de Clarkson.
Evidemment, je parle de tout cela au passé, puisque chacun sait que Top Gear à la sauce Clarkson, Hammond et May s’est arrêtée brutalement le 10 mars 2015 suite à l’excès de trop du premier nommé, après qu’il eut agressé verbalement et physiquement l’un des producteurs de l’émission pour une stupide histoire de buffet froid lors d’un tournage. Mais aussi parce qu’après avoir ensuite poursuivi leur collaboration avec "The Grand Tour" diffusé par Amazon Vidéo, les trois compères viennent de mettre celle-ci au point mort de manière définitive.
Restent les vidéos dont je m’offre le visionnage ou re-visionnage régulier, à la faveur de pauses que je m’octroie de temps à autre. Ce que j’ai évidemment fait plus que de raison pour la préparation de cette chronique que j’ai donc mis un temps infini à rédiger.
Mais ça, chers lecteurs, c’est de votre faute…