27/03/2025 - #Renault , #Bmw , #Fiat
Paquet de chips
Par Jean-Philippe Thery

Aujourd’hui, je vous parle de puces "sachantes", mais qui ne font pas plaisir à tout le monde.
Il fut un temps où l’électronique, ça vous posait un homme.
A l’époque, le mot magique s’étalait en lettres de zamac chromées à l’arrière des Berlines, quand ce n’était pas en finition dorée sur le panneau de coffre de la DS 21 Injection électronique lancée en 1969, première voiture française qui en fut équipée. Comme aurait dit ma grand-mère en reprenant le fameux slogan publicitaire fromager, "c’est comme le Port-Salut, c’est écrit dessus". Une forme d’ostentation par sigle interposé à laquelle échappait curieusement la VW 1600 pourtant pionnière du genre en 1967, dont l’"Elektronishe Mehrpunkte-Benzineinspritzeanlage" (Injection électronique d’essence multipoint) développée par Bosch sous le nom de D-Jectronic aurait sans doute mérité un peu mieux que le simple ajout d’un "E" (pour "Einspritzung") aux logos des version L et TL.
Tel n’est pourtant pas le cas de certains des modèles qui suivirent, lesquels s’adonnèrent volontiers au show-off technologique en toutes lettres faisant défaut à la modeste voiture du peuple. En même temps, avouez qu’une Fiat "Centotrentadue Iniezione Elettronica", ça a tout de même de la gueule, surtout prononcé à voix haute dans la langue de Dante, laquelle jouit comme chacun le sait d’un avantage mélodique aussi indiscutable qu’injuste, à même de rendre sexy la plus banale des dénominations.
Au cours du temps, le decontenting qui n’oublie jamais de sévir dans l’industrie automobile rattrapa les monogrammes innocents, et l’on dû se contenter d’un modeste "ie" en Europe alors qu’on s’adonnait aux "efi" et autres "mpfi" outre-Atlantique. Avant que tout ça ne finisse par disparaitre quand l’injection devint -souvent accompagnée de la sonde du même nom- sous la pression des normes de dépollution. BMW aura sans doute été le dernier à se rendre, puisqu’affichant encore un "i" minuscule sur l’appellation de ses versions à motorisation essence jusqu’au dernier millésime, qui sera vraiment le dernier puisque la neuvième lettre de l’alphabet sera désormais réservée aux modèles électriques.
Dans un registre un peu différent, la Renault 11 "Electronic" était particulièrement en avance sur son temps puisqu’elle proposait dès 1983 une interaction vocale avec ses occupants, même si limitée au monologue de la machine. L’histoire ne dit d’ailleurs pas si la liste des messages d’alertes que la synthèse vocale avait pour vocation de faire entendre au moment opportun comportait une alerte destinée à prévenir de la panne imminente du système, dont les mauvaises langues affirment qu’elles étaient loin d’être rares. Il n’en reste pas moins que cette version gauloise de "KITT" avait pour elle d’exister pour de vrai quand la Pontiac Firebird surdouée conduite par Michael Knight dans la série TV "K2000", réservait à un petit écran encore très cathodique les démonstrations de conduite autonome de niveau 5 managée par un ordinateur surpuissant.
A la même époque, la petite française affichait fièrement son instrumentation électronique dans l’habitacle comme son appellation anglicisée adhésivée sur le hayon. Si l’autocollant disparut rapidement, la voix synthétique subsista néanmoins un certain temps à bord de quelques Renault, comme la Laguna break de première génération que j’empruntai quelques années plus tard au parc de la Direction Plan Produit, et qui pour une raison que je n’ai jamais découverte, s’exprimait en Italien. J’ai failli revenir d’un weekend en Auvergne en parlant la langue couramment, mes facétieux comparses de voyage s’étant amusés durant tout le trajet à déclencher des messages du type "porta posteriore destra aperta", en détournant de façon manifeste la vocation sécuritaire du dispositif.
Mais tout ça, c’était à la fin du siècle dernier.
De nos jours, les voitures "bourrées d’électronique" n’ont plus la cote auprès d’une partie de la communauté automobile, quand elles ne sont pas carrément vilipendées par ceux pour lesquels les puces dont elles sont à leurs yeux infectées symbolisent une forme de décadence automobile. A les entendre, nos chères autos seraient devenues de véritables paquets de chips, ces dernières se voyant reprocher simultanément leur caractère intrusif quand elles bossent pour les aides à la conduite comme d’être à l’origine de nombreuses pannes insolubles quand elles ne sont pas carrément accusées de collaboration, en participant à la surveillance des occupants de l’habitacle. Aux yeux de ces nostalgiques d’une époque où les circuits n'étaient pas qu’imprimés, le seul modèle "techno" trouvant grâce est sans doute la De Lorean DMC-12 de Retour vers le futur, à condition bien sûr que le convecteur temporel qu’elle emmène soit programmé pour un atterrissage le 26 octobre 1985.
Sans doute doit-on reconnaître que l’électronique impose à l’utilisateur d’une automobile une forme de dépossession. Quand elle le laisse à la merci des professionnels de l’après-vente lorsque le multiplexage fait des siennes, les réparations en bord de route ou dans le garage du pavillon de banlieue étant désormais inenvisageables pour le commun des mortels. Mais également au quotidien lorsque, semblant soudainement animé d’une volonté propre, elle se substitue au conducteur dans la prise de décisions importantes. J’ai les mains moites rien que de me remémorer l’horrible sensation de perdre en plein virage le train avant d’une auto avec laquelle j’avais "trajecté" au plus près de la ligne de rive d’une voie d’accès autoroutière. Visiblement un peu trop au goût du "lane centering" qui me disputa brièvement le contrôle de la direction. Si j’ai ce jour-là vaincu la machine, je n’en ai pas moins depuis gardé l’habitude de débrancher immédiatement l’"assistance au centrage de voie" -puisque c’est ainsi qu’on appelle le bidule en Molière dans le texte- à la prise en main d’une voiture de loc, en adressant un message clair à la nounou électronique : "touche pas à mon volant".
Par ailleurs, qui n’a jamais laissé échapper une bordée de jurons, lorsque confronté aux aberration des certaines "IHM" -"Interface Homme Machine" pour les intimes- il fallut pour ajuster le volume de la radio ou régler la température de la clim effectuer un véritable deep-dive dans je ne sais quel obscur sous-menu du système d’infodivertissement. Un exercice d’autant plus intéressant depuis que je réside en Allemagne, puisqu’au titre d’ acclimatation linguistique, je laisse ma bavaroise motorisée s’exprimer dans son langage d’origine. Ne cherchez pas plus loin que la grammaire germanique la cause de l’étirement en longueur de certains écrans tactiles. Même si en l’espèce, ce n’est pas tant la technologie elle-même que sa mise en œuvre qui est en jeu, sous la forme de choix ergonomiques discutables, généralement dictés par des considérations d’ordre économique (decontenting bis). A tel point que certain constructeur germanique de voitures supposées du peuple a récemment fait publiquement son mea culpa sur le sujet, promettant de revenir aux interrupteurs et boutons rotatifs physiques sur les planches de bord de ses modèles futurs.
Pourtant, l’électronisation de nos véhicules n’est pas près de s’arrêter, et si vous faites partie de ceux qui n’ont pas hurlé "boomer" à la lecture des précédents paragraphes, j’ai une très mauvaise nouvelle pour vous, la conception de nouveaux modèles s’effectuant désormais dans le cadre du "SDV". Avec le "Software Defined Vehicle" ou "Véhicule défini par le logiciel", c’est le contenu immatériel de la technologie qui prend le pouvoir, et les plateformes physiques qui sont devenues ringardes puisque leur équivalent "E/E" (pour Electrique/Electronique) ont désormais pris -littéralement- le relais.
Ce sont d’ailleurs les véhicules électriques les principaux concernés, sur lesquels se substituent désormais aux centaines d’Unités de Contrôle Electronique (UCE) qui réalisait chacune une tâche spécifique, des "Systèmes sur puce" (ou SoC pour "System on Chip") capables de gérer simultanément plusieurs missions, et disposant chacun de leur propre système opérationnel. De quoi surmultiplier les possibilités, y compris sous la forme d’actualisations à distance des centaines de millions de ligne de logiciel qui managent désormais nos voitures, puisque le tout est forcément connecté. Songez aux mises à jour qu’effectue régulièrement votre ordinateur, et vous comprendrez pourquoi l’automobile est de plus en plus considérée comme l’un d’entre eux.
Je comprends que ça puisse paraître inquiétant. Mais avant de nous rappeler que tout va de mal en pis et qu’avant, la neige était plus blanche, je vous invite à fouiller ces tiroirs de la mémoire que nous maintenons soigneusement clos pour ne surtout pas contredire le discours de la décadence. Vous y trouverez pêle-mêle des démarrages laborieux à froid et à chaud aussi, des chauffages à tirettes aussi anémiques que bruyants, des parasites en guise de puce à haut-parleur, des blocages de roues au freinage, des parebrises embués par temps humide, des cartes Michelin au 1/150.000 occupant la moitié de l’habitacle lorsqu’elles sont dépliées, des sièges en skaï gelés l’hiver et brulant l’été ou encore des essuie-glace à l’essuyage aussi pathétique que les mouvements. Les souvenirs vous reviennent-ils, ou dois-je continuer la liste ?
Ceux d’entre vous qui me font la gentillesse de me lire régulièrement savent que je ne suis pas le dernier à goûter aux charmes surannés des anciennes (je parle toujours de voiture). Des engins qui nous connectent à la route comme aucune moderne ne le fera sans doute jamais plus, qui nous font vibrer au propre comme au figuré et nous en mettent plein les oreilles, quand bien même la boite à parasites est éteinte. Mais que nous sommes heureux le moment venus de restituer à leur garage, dans l’attente de la prochaine ballade, sans doute le weekend d’après. En ce qui me concerne, je dois à l’honnêteté d’avouer n’être pas mécontent de disposer au quotidien du confort et de la sécurité d’un modèle conçu récemment, même s’il trimballe encore un "i" sur la porte de coffre.
Et comme en plus, l’objet dispose de quelques chevaux, je ne peux que me féliciter de la présence des chips au moment de mettre la patate. Enfin, pas trop tout de même, histoire d’éviter les amendes salées.