21/01/2021 - #Renault , #Audi , #Bentley , #Bmw , #Brillance , #Dacia , #Ferrari , #Honda , #Kia , #Lamborghini , #Lancia , #Maserati , #Mazda , #Mitsubishi , #Nissan , #Opel , #Peugeot , #Rolls-Royce , #Fiat , #Ford , #Gmc , #Seat , #Stellantis , #Toyota
Logo-platisme
Par Jean-Philippe Thery
Rassurez-vous, pas de théorie du complot chez Autoactu, mais la mise à plat de toute une série de nouveaux logos récemment dévoilés par plusieurs constructeurs. Et ça commence par une testudine d’outre-manche.
Gordon-Keeble, ça vous dit quelque chose ?
Entre 1964 et 1967, la petite marque britannique produisit exactement 100 exemplaires d’une belle GT, dont l’élégante carrosserie en fibre de verre, signée par un Giugiaro alors âgé d’à peine 21 ans, offrait une certaine ressemblance avec la Lancia Flaminia Coupé GT contemporaine.
Malgré toutes les qualités de la GK1 (c’était son petit nom), pourtant qualifiée de "voiture la plus excitante que nous ayons jamais conduite" par la revue Autocar, le constructeur ne résista hélas pas longtemps à une situation financière précaire.
Restent la plupart des exemplaires construits (environ 90) et l’un des plus jolis noms de marque automobile que je connaisse, qui m’inspire des scènes à la Pinewood Studios. "Une Gordon-Keeble" répondit-il à la jolie jeune femme qui l’interrogeait sur l’identité de l’automobile dont il lui ouvrait la portière, et qu’il s’apprêtait à raccompagner après un dîner en ville. La conversation qui allait suivre à bord, empreinte de la même élégance que le nom de la belle conduite intérieure, n’allait sûrement pas tarder à convaincre la charmante passagère de répondre favorablement à l’invitation d’une nouvelle balade en Gordon-Keeble (to be continued).
Il y a des gens comme ça auxquels le destin devait une rencontre patronymique. Charles Rolls et Henry Royce, Gottlieb Daimler et Karl Benz, John Gordon et Jim Keeble. D’autant plus que ces deux gars-là savaient faire preuve de cet humour propre aux bretons insulaires, comme en témoigne l’écusson ornant le capot des Gordon-Keeble.
Si le choix d’un animal pour symboliser une marque est loin d’être inhabituel dans l’industrie automobile, celui d’une tortue pourra néanmoins surprendre, particulièrement s’agissant d’une auto propulsée par le V8 Small Block 327 (5.4l) de la Corvette, délivrant pas moins de 300 tortues, euh pardon, chevaux. La faute à l’un de ces petits reptiles carapacés, qui squatta le cadre d’une photographie réalisée pour la promotion du modèle. Que John et Jim en ait pris prétexte pour ériger la flegmatique bestiole en mascotte de leur marque constitue un joli clin d’œil dans un univers où ça rigole rarement. C’est que chez les constructeurs, on ne plaisante ni à propos de la "Brand Identity" ni avec les logotypes.
Issu des mots grecs logos ("parole, discours") et týpos ("marque laissée par un coup, empreinte") le logotype constitue une "parole inscrite" ou une "marque qui parle". Marqueteurs avant l’heure, ce sont les imprimeurs qui l’inventèrent, afin de promouvoir les activités d’édition et de librairie auxquelles ils avaient alors également l’habitude de se livrer.
Puis vint la révolution industrielle, l’avènement des marques et du marketing, et tout ce que vous avez appris à l’école que je n’ai donc pas besoin de vous raconter ici. Précisons d’ailleurs que le logotype stricto sensu, est composé exclusivement de lettres et ne saurait donc être confondu avec l’insigne. A titre d’exemple, le logotype d’une Renault, c’est son monogramme écrit en caractères alphabétiques, et non le losange. Mais l’association fréquente du premier au second a fini par valider l’excès de langage désignant le tout.
Mais laissons-là les copains de Gutenberg et revenons à l’époque contemporaine, qui a vu depuis plusieurs années se développer une tendance au "platisme" dans l’univers des logotypes. Rien à voir néanmoins avec le "mythe de la terre plate" dont il se dit qu’il trouve ses adeptes aux quatre coins du globe, puisqu’il est ici question de "Flat Design", tendance qui a semble-t-il trouvé son apogée chez les constructeurs en 2020. Dernier en date, le Groupe Renault qui a créé la surprise le 14 janvier dernier lors du grand raout online intitulé "Renaulution", au cours duquel Luca de Meo a déroulé son Plan Stratégique pour les années à venir. On me dit néanmoins dans l’oreillette que le losange relooké et le nouveau logo Dacia montrés à cette occasion ne sont pour l’instant que des pistes de travail.
Un "flat logo" se dessine en deux dimensions, ce qui signifie qu’il est à la portée de votre neveu de 4 ans et de sa boîte de Caran d’Ache 12 couleurs. Hyperbole du chroniqueur mise à part, il semble tout de même que la modernité graphique façon début XXIe siècle n’ait pas grande estime pour les découvertes de la Renaissance quant à la représentation de volumes sur une surface plane, un truc apparemment ringard qu’on appelait "perspective".
Au panier donc, les ombres, biseaux, lueurs, textures, dégradés et autres polices de (mauvais) caractères décoratives.
Au passage, le "Flat Design" a mis à la retraite le Skeuomorphisme, un néologisme britto-saxon que je vous conseille de replacer dans les dîners en ville, même si vous ne roulez pas en Gordon-Keeble, désignant la représentation du réel à titre purement ornemental puisque sans nécessité fonctionnelle, visant à rassurer l’utilisateur en lui donnant une illusion de familiarité.
Comme vous n’avez certainement rien compris à ce charabia, exemplifions : lorsque le graphisme d’une instrumentation digitale reprend celui de classiques compteurs ronds à aiguille, vous avez affaire à un cas typique de skeuomorphisme appliqué à l’automobile. S’agissant d’un logo, ça consiste à imiter l’aspect d’un emblème de carrosserie, en simulant sa profondeur, les reflets du chrome ou encore la brillance.
Absolvons néanmoins les constructeurs automobiles de toute responsabilité en ce qui concerne l’avènement des flat logos, puisque ce fut Jony Ive qui fut le premier à mettre les pieds dans le design plat. En 2013, le designer vedette d’Apple profita du lancement de la septième itération du système d’exploitation maison iOS pour redessiner en 2D les icones sur lesquelles on clique avec son index gras, en les simplifiant. Les motifs invoqués pour ce changement allaient de l’argument technique d’un format plus adapté aux écrans et moins consommateur d’octets, au discours ésotérique sur les aspirations au minimalisme de générations Y et Z, aux globes oculaires et occipitaux bombardés d’informations digitales rétroéclairées.
Quoi qu’il en soit, les marques automobiles ont suivi, à commencer par Mini qui fut donc la première à adopter un logo MINImaliste en 2015, ce qui n’a rien d’étonnant pour une marque versée dans la branchitude. Et comme Citroën ne pouvait décemment être en reste question modernité, la marque a mis les chevrons dans l’engrenage de l’aplatissement dès l’année suivante. Suivirent Audi, Ford et Seat en 2017, alors que VW réexhumait en 2019 le logo utilisé entre 1967 et 1978, mais en version "light" avec un pourtour et des jambages plus maigrichons. Enfin, 2020 ouvrit le bal des suiveurs avec BMW, Maserati, Nissan, Toyota, GM, Opel et bien sûr Renault et Dacia.
Evidemment, je ne suis pas là pour vous dire que penser de l’esthétique du Flat Design, et je me réserve personnellement le droit de me prononcer au cas par cas, même si certains aspects du minimalisme ne sont pas faits pour me déplaire. En revanche, je m’autorise quelques commentaires en forme de réflexion (à moins que ce ne soit l’inverse).
Le premier, c’est qu’il n’y a de nouveau que ce qui est oublié. C’est probablement ce qu’on a dû se dire au Département "logotype" chez Ford, quand décision fut prise de réactiver le graphisme datant de 1965, autrement dit l’année modèle de lancement de la Mustang ! Pas de gros stress non plus chez Kia, dont les 6 logos utilisés depuis 1944 ont toujours été "flat", ce qui n’a pas empêché le constructeur coréen de se fendre d’une nouvelle version reprenant les trois lettres composant son nom, laquelle prouve que le minimalisme n’exclut pas la sophistication. En revanche, gros fou-rire dans les bureaux de Mitsubishi, où on utilise le même logo plat depuis…1914 !
Mais surtout, on observe que les marques qui ont cédé à l’appel du Flat Design n’ont bien souvent fait que renouer avec un passé essentiellement constitué de logos en deux dimensions, le skeuomorphisme constituant en fait l’exception. Certaines ne se sont d’ailleurs pas vraiment foulées, qu’il s’agisse de VW, précédemment cité, mais aussi d’Audi et Toyota qui ont assuré le minimum syndical en matière d’aplatissement, avec de nouveaux logos imitant parfaitement l’un de ceux précédemment utilisés. En d’autres termes, le "Flat Design" est loin de constituer une vraie nouveauté. Il lui manquait simplement pour exister un nom, un discours d’accompagnement, et l’adhésion simultanée de plusieurs marques-disciples.
Tous n’y sont d’ailleurs pas venus. Peugeot n’a pour l’instant pas aplati son lion, vraisemblablement pour éviter de se voir accuser de maltraitance animale, alors qu’on pardonnera son inaction à Fiat, qui avait dernièrement d’autres Stellantis à fouetter. Ni Honda, ni Mazda n’ont jugé bon de toucher à leur logo, pas plus que Perodua (leader des ventes de voitures compactes en Asie du sud-est, pour ceux qui songeraient à rigoler). Quant à Alfa-Romeo, si la marque au biscione a bien revu son logo en 2015 en l’aplanissant, celle-ci n’est pas allée au bout du dé-trois-dimensionnement en lui laissant de la profondeur et en lui ajoutant une trame de fond.
Enfin, on note la quasi-unanimité des marques de luxes, lesquelles n’ont pas jugé le flat design digne de les représenter. Les décideurs d’Aston-Martin, Bentley, Ferrari, Lamborghini ou Rolls-Royce se sont donc pudiquement abstenus d’adopter une proposition qui prône de fait un certain dépouillement graphique, peu compatible avec leurs valeurs, à moins que ce ne soit la valeur de leurs modèles. Itou pour Mercedes, qui n’avait cependant qu’à rouvrir ses tiroirs pour en ressortir l’étoile plate qu’elle a utilisé entre 2009 et 2011.
Il n’est toutefois pas impossible que les designers de certaines marques jusqu’ici abstentionnistes soient en train de mettre la dernière touche à leur projet de flat logo. En ce cas, j’espère pour eux qu’ils ont su puiser leur inspiration ailleurs que dans l’automobile. Parce que si les logotypes de marques telles que Pizza Hut, Netflix ou Chrome n’ont pas perdu leurs couleurs au laminage, ceux des constructeurs automobiles cultivent une monochromie déprimante.
A tel point que le petit neveu aux Caran d’Ache va pouvoir ranger sa boîte de couleurs en ne conservant que le noir, le gris et le bleu pour les plus hardis (BMW, Ford et VW). Inutile pour autant d’invoquer des explications capillotractées liées au contexte oppressant du Covid. Certes, toutes les compagnies ne sont probablement pas comme Nissan, qui a eu besoin de 3 ans pour refondre son logo, mais le planning est vraiment trop court pour imaginer que l’épidémie ait eu la moindre influence de ce point de vue. La concomitance entre une période morose et certains graphismes qui ne le sont pas moins n’est donc que fortuite.
Restent les bons élèves, à commencer par Nissan. Parce que si j’imagine très bien pour les avoir vécues les interminables réunions de non-décision internes à la marque japonaise, il faut bien reconnaître que celles-ci ont abouti à une véritable refonte d’un écusson que je trouve personnellement très réussi. D’une modernité qui ringardise immédiatement le précédent avec lequel il maintient néanmoins un lien de parenté, il a de plus été conçu pour être éclairé par 20 LED, afin de trôner sur le nez des futurs modèles électriques du constructeur de Yokohama, à commencer par le SUV Ariya prévu pour 2022. Certes, VW a eu l’ID3 avant, mais avec un logo absolument identique aux précédents, même si son créateur serait probablement furieux s’il me lisait.
Et puis il y a le projet de logo Dacia, dont j’espère personnellement qu’il sera validé sans grande modification, voire sans modification du tout. Ne devant absolument rien à l’actuel, ce que personne ne regrettera (peut-être pas même celui ou celle qui l’a dessiné), celui-ci a été dévoilé sur le très réussi concept car "Bigster" préfigurant le futur SUV du segment C du constructeur roumain. Construit à partir des lettres "C" et "D" (très) stylisées, il est y est magnifiquement intégré à une calandre et des optiques, qui rappellent un peu -mais en mieux- la face avant du GMC Hummer EV. Une véritable "Dacialution" visuelle qui risque néanmoins de poser un sérieux problème à la marque si le modèle de série ne s’éloignait pas trop du prototype : celui de convaincre les clients potentiels qu’elle fait toujours des voitures pas chères.
De quoi donner des regrets aux timorés, qui se sont contentés d’adopter la tendance par grégarisme, et en ont limité l’application aux écrans et papiers à en-tête, puisque nombre de "flat logos" ne seront physiquement pas déclinés sur des autos. A démarche cheap, résultat cheap. Sans compter que les attentistes ont bien dû se marrer en découvrant l’iOS 14 lancé en septembre dernier, dont les icones ont récupéré un peu de profondeur et de texture, mettant peut-être fin à une tendance qui vient juste d’être adoptée par certains. A se demander si le "Flat Design" n’est pas en train de virer au "Flat Tire".
Quant à moi, je me dis que si Gordon-Keeble avait survécu, j’espère qu’ils nous auraient épargné la tortue écrasée.