13/06/2024 - #General Motors , #Rolls-Royce , #Cadillac
Les chariots sont de retour
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous emmène à la conquête de l’Ouest à bord d’une grosse cylindrée. Enfin pas tout à fait.
Je n’aurais peut-être pas dû me lancer dans cette chronique.
Parce que s’il est une marque que je connais peu, c’est bien Cadillac. Allez, sans réviser, je me souviens tout de même que c’est un certain Henry Leland qui la fit naître, et qu’Antoine de la Mothe Cadillac à qui il emprunta son noble patronyme était aussi chevalier que vous et moi, en dehors bien sûr de mes lecteurs à particule. Mais comme on venait de célébrer à Detroit le bicentenaire de la ville, recycler le nom de son fondateur alors présent dans tous les esprits ressemblait à un joli coup de marketing avant l’heure, quand bien même nos amis d’outre-Atlantique bousillent systématiquement un "l" quand ils le prononcent.
Je me rappelle aussi que le constructeur fut le premier à équiper ses autos d’un démarreur et d’un éclairage électrique, ce dont on ne peut évidemment que le remercier. Mais on lui doit surtout un truc qui paraît aujourd’hui relever de l’évidence, puisqu’il introduisit la standardisation dans la fabrication d’automobiles jusqu’ici réalisées de façon très artisanale. Une prouesse alors attestée par le remontage de quatre de ses voitures mises en pièces dont on avait soigneusement mélangé les composants et dont, sauf erreur de ma part, trois redémarrèrent au quart de tour, sans manivelle bien sûr.
Je peux encore mentionner en désordre la spectaculaire V16 donc je vous laisse deviner la motorisation, l’Eldorado de 1959 qui marqua l’apogée délirante d’ailerons empruntées aux fusées spatiales, la trentaine d’exemplaires de la marque qu’Elvis Presley offrit à ses amis ou à de parfaits inconnus, ou encore le drôle d’engin qui courut aux 24 Heures du Mans 1950 vite surnommé "le Monstre" par les locaux, et qu’on voit désormais écumer les épreuves historiques aux mains de son propriétaire et pilote britannique. Et puisqu’il est question de compète, n’oublions pas le prochain engagement de la marque en Formule 1 après des années dans les Championnats d’Endurance, tant à l’international que dans l’IMSA américaine.
Bref, un joli pot-pourri ne pouvant masquer le fait que je n’ai jamais pris le volant d’une Cad, ni même roulé à bord de l’une d’entre elles en passager. Quant à identifier les modèles et millésimes de la marque, je laisse ça à Bertrand Rakoto, expert ès-ricaines et envoyé permanent d’Autoactu dans le Michigan. Mais ça ne m’empêchera pas de continuer à parler de ce que je ne connais pas puisqu’il en faut moins que ça pour constituer une image de marque, et que d’image il est précisément question dans le sujet qui m’intéresse aujourd’hui, puisque "Caddies are back".
Autrement dit, les chariots sont de retour. Evidemment, il n’est pas ici question de ceux à qui on file la pièce à l’entrée des supermarchés, mais des voitures hippomobiles bâchées qui firent la fortune de William H. Murphy et Lemuel W. Bowen avant que ceux-ci ne s’associent au Sieur Leland en contribuant à la naissance de Cadillac. Des engins qui ont grandement contribué à la conquête de l’Ouest américain, alors que c’est désormais d’Europe de l’Ouest dont il est question pour leurs lointaines descendantes, présentées à Paris dans un showroom tout neuf dénommé "Cadillac City", juste en face de l’Opéra Garnier.
Mais revenons un temps à Berlin et aux questions d’image dont j’ai eu dimanche dernier un bel échantillon, quand m’étant garé par hasard devant une CTS de deuxième génération joliment conservée, j’ai saisi l’opportunité de partager avec ma douce moitié le sujet de mon prochain papier. "Cadillac, ce ne sont pas des voitures de vieux beaux ?", me suis-je entendu répliquer. En même temps, on ne dérange pas une femme occupée à choisir les parfums de la crème glacée dominicale. Et puis, que ceux que cette anecdote pourrait titiller se rassurent : au Brésil dont Madame est originaire, les quelques représentantes de la marque qui s’y trouvent se rencontrent principalement dans les rassemblements de voitures anciennes…
Il n’en reste pas moins que l’histoire de Cadillac en Europe a régulièrement souffert de crises identitaires que celles-ci aient été importées de leur pays d’origine ou qu’elles aient sévi localement. Dans l’après-guerre pourtant, les belles Américaines dont Cadillac constituait indéniablement le porte-drapeau étaient dans le segment du luxe les reines du pétrole, y compris celui que sirotaient goulûment leurs durites d’alimentation. C’était l’époque de l’acier vendu au mètre carré, des chromes resplendissants et des ailerons décomplexés, quand les Cadillac incarnaient la version yankee des Rolls-Royce, le port altier en moins et l’extravagance en plus.
Et puis, les constructeurs d’outre-Rhin se sont mis au haut de gamme. Seuls quelques originaux fortunés bravant les taxes, la conso et une vignette prohibitive passaient alors encore commande auprès de rares spécialistes. Dans l’hexagone, c’était Jean-Charles Automobiles qui s’occupait des vedettes de cinéma ou patrons d’industrie ne craignant pas de s’afficher, depuis sa concession parisienne judicieusement localisée au 50 de l’avenue de New York. A l’époque, si une modeste AMC Pacer comme celle conduite par Coluche dans l’Aile ou la Cuisse constituait chez nous le comble de l’exotisme, on imagine aisément l’effet que pouvait produire une représentante de la division la plus prestigieuse de la General Motors.
Mais ça, c’étaient avant que les chocs pétroliers successifs n’incitent même les Américains à regarder de près le prix du gallons de carburant. Une véritable catastrophe pour -comme disent mes amis brésiliens- les "baignoires" sur roues dont le simple démarrage faisait tourner le compteur à pétrodollars. Et se produisit alors l’impensable pour des voitures soudainement condamnées au rétrécissement de leur carrosserie comme à l’ablation d’une rangée de cylindres. En d’autres termes, une forme d’européanisation. Alors que les marques japonaises en profitaient pour prendre pied chez l’oncle Sam avec leur petites berlines économiques, Cadillac sortait donc en toute hâte une Cimarron de 4,4 mètres à peine alliant en entrée de gamme l’infamie d’une motorisation à quatre cylindres (une première depuis 1914) à celle d’une boite mécanique (qui avait disparu de la gamme en 1953).
De l’eau a certes depuis coulé sous les arches de l’Ambassador Bridge (reliant Detroit à Windsor), l’européanisation de la marque passant désormais par des bases roulantes dûment "Nürburgringnisées" et capable d’en remontrer aux meilleures européennes. Et c’est dorénavant avec les SUV que Cadillac donne dans l’Escalade, avec des faces avant surdimensionnées qui paraîtront énormes chez nous, et tout simplement grandes au pays des F150 et Silverado. Mais une question cruciale demeure : pourquoi achèterait-on de ce côté de l’Atlantique une américaine qui ne représente plus tout à fait l’Amérique, même si les Européens qui rêvent d’une américaine véritable constituent à n’en pas douter un marché de niche dont les volumes n’ont pas de quoi émouvoir un tableau Excel produit dans les bureaux feutrés du Renaissance Center où siège la GM.
Une quadrature du cercle que l’électrification se chargera de résoudre, puisque c’est sur l’envolée du Lyriq que comptent les responsables de la marque pour réussir sur le Vieux Continent. Le SUV à batteries ne fera assurément pas plaisir à tout le monde avec ses 5 m de long et presque 2,8 tonnes, mais devrait plaire à ceux s’assumant dans une auto décomplexée, comme à la grande époque. Même si c’est assurément dans l’Optiq de 2025 que la Direction européenne de Cadillac fonde ses espoirs, avec des dimensions un poil plus raisonnables à 4,83 m de longueur et 2,2 tonnes.
Si la stratégie de Cadillac a du sens, puisqu’on voit mal où se seraient insérés ses modèles thermiques dans l’environnement fiscal peu favorable qui est le nôtre, reste à savoir non seulement s’il existe encore suffisamment d’amateurs de belles américaines en Europe, mais également si ceux-ci projetteront l’image qu’ils en ont sur les modèles en "iq". C’est tout le mal que je souhaite à Cadillac, qui vise probablement des volumes raisonnables dans sa (re)conquête de l’Europe, en remerciant par avance ceux qui nous donneront l’occasion de voir de temps à autres une auto frappée du blason du Chevalier Antoine, contribuant ainsi à la diversité culturelle de notre paysage automobile.
De mon côté, je n’oublierai pas d’emmener Madame au "Cadillac City" lors de notre prochain passage à Paris, histoire de vérifier quel regard elle portera sur ces autos-là. Mais promis, je ferai ça après l’ice-cream…