L’EV brûle-t-il?

Quand j’ai récupéré ma Lancia Beta HPE 2000 de 1981, l’aile avant gauche et la portière conducteur étaient calcinées.

Des brûlures qui racontaient l’origine de son immobilisation intervenue deux ans auparavant, quand stationnée dans Paris, elle fut percutée par un scooter qui prit feu contre elle, abandonné par un conducteur qui l’avait "emprunté". Un ou deux ans plus tard, non sans lui avoir offert dans l’intervalle une belle peinture neuve dans son azzurro metallizato d’origine, je la sauvais de nouveau des flammes quand alerté par une consommation de carburant déraisonnable ainsi qu’une odeur d’essence dans l’habitacle, je remplaçais la durite d’alimentation du carburateur qui s’était fendue. Qu’elle n’ait été immolée par le carburant suintant directement sur le bloc moteur relève d’un vrai miracle, lequel ne se reproduit malheureusement pas quand l’ayant vendue à un ami avant de m’expatrier au Brésil, elle fut volée par une bande de crétins qui l’abandonnèrent en y mettant… le feu.

Des années plus tard, c’est dans un garage souterrain de Rio de Janeiro que j’évitais de justesse un nouveau drame incandescent, la réplique de Porsche 550 Spyder que j’y entreposais ayant résolu de rendre le contenu de son réservoir de carburant juste après que je l’eu démarrée. Par chance, et parce que j’en avais confié le volant à l’ami Yann venu la chercher avec moi, je fus en mesure de constater la fuite de l’extérieur avant que le moteur ne monte en température, et de lui intimer l’ordre de couper aussitôt le contact. Ayant échappé de peu à un terrible supplice, Yann en fut néanmoins quitte pour une belle chaleur rétrospective, alors que je disposais par précaution deux extincteurs autour de la flaque combustible. A l’ouverture du capot, c’est le flexible d’alimentation de la pompe à essence qui plaida immédiatement coupable, avec néanmoins la circonstance atténuante d’une longue immobilisation ayant favorisé le dessèchement à l’origine du craquelage fautif.

De voitures qui brûlent, il en est régulièrement question sur les réseaux sociaux, même si la mode est dernièrement aux incendies affectant les autos à batteries. C’est qu’il ne manque pas d’âmes aussi charitables que connectées, promptes à avertir les malheureux tentés de rouler électrique des risques terribles auxquels ils s’exposent eux-mêmes ainsi que leur famille. Qu’une Tesla parte en fumée en vidéo, et c’est la fratrie complète des VEB qui est soupçonnée de propension à l’auto-allumage spontanée par des internautes prompts à la généralisation, quand ce n’est pas au mensonge. On ainsi vu un bus au gaz "flambant neuf" alimenter le discours anti-VE, alors que les voitures électriques qu’il transportait ont été jugées coupables du sinistre détruisant un bateau, sans attendre les conclusions de l’enquête ayant finalement démontré leur innocence.

L’équivalent des traditionnelles brèves de comptoir s’étalant désormais sur écran avec toute la puissance de diffusion dont elles bénéficient en ligne, il est d’autant plus difficile de rétablir la vérité des faits que celle-ci nécessite souvent de longs développements quant trois mots ou même une image suffisent à énoncer une ineptie. Il convient donc de saluer ceux et celles qui s’attellent à ce travail ingrat et pas toujours reconnu à sa juste valeur, dans un contexte où le temps presse toujours d’avantage et où la vitesse d’écriture prime souvent sur la substantifique moelle. En revanche, il est regrettable que certains choisissent de renvoyer le balancier au-delà du point d’équilibre, transformant dans l’affaire qui nous concerne une louable séance de fact-checking par de la "voiture thermique bashing". Comme lorsqu’on nous explique qu’une voiture équipée d’un moteur à combustion présente infiniment plus de risques d’incendie que son alter ego électrique, non sans faire appel aux références en apparence les plus sérieuses.

C’est par exemple la Myndigheten för Samhällsskydd och Beredskap -autrement dit l’Agence Suédoise de la Protection Civile- qui est prise à témoin, chiffres à l’appui. En 2022, 23 voitures électriques ont été ainsi détruites par les flammes sur les 611.000 que comptait alors le pays, soit 0,004% de la flotte. En comparaison, ce ne sont pas moins de 3.400 des 4,4 millions de voitures essence ou diesel qui se sont consumées sur la période représentant 0,08% des voitures de la catégorie sur la route, soit 20 fois plus. En Australie, des statistiques établies depuis 2010 font état d’un risque équivalent 80 fois plus important, alors que le site AutoinsuranceEZ évalue ce facteur à 61 aux Etats-Unis, sur la base de données fournies par la NTBS (National Transportation Safety Board ou Bureau national de la sécurité des transports). Allez, une dernière couche avec la PINFA, ou Phosphorus, Inorganic and Nitrogen Flame Retardants Association (autrement dit Association des ignifugeants à base de phosphore, d'azote et d'éléments inorganiques) dont les calculs concluent à un risque 11 fois supérieur pour les voitures à carburant liquide pour l’Europe.

En dehors de la grande rareté des occurrences d’incendie, le moins que l’on puisse dire est que la diversité des résultats devrait inciter les analystes à un minimum de prudence, même s’il n’en reste pas moins que tous racontent la même histoire, selon laquelle les autos ravitaillant à la pompe encourent un risque d’embrasement supérieur à celles qui rechargent. Ces dernières mériteraient donc moins les blagues fumeuses dont elles sont régulièrement l’objet que leurs homologues à combustion également qualifiées de thermiques, dont les différentes terminologies devraient donc nous inciter à la prudence tant elles sont évocatrices du danger qu’elles représentent en la matière. De quoi provoquer la jubilation de certains "EVangélistes" qui voient dans ces statistiques la confirmation du caractère obsolète des véhicules roulant des mécaniques aux carburants carbonés, mais qui sans doute aveuglés par la lueur des flammes, ne distinguent pas la mouche dans la pommade de leur raisonnement.

Pour l’évoquer, j’en appellerai moi aussi à la statistique, non pas en guise de contrefeu mais plutôt pour une mise en perspective. Sachez donc qu’en 2017, 77% des voitures ayant brûlé dans l’Union européenne étaient âgées de 10 ans ou plus, chiffre qui nous rappelle que le premier facteur de combustion externe chez les automobiles réside dans leur ancienneté, généralement associée au manque d’entretien. Or la moyenne d’âge des voitures circulant au sein de l’Union Européenne s’établissait en 2023 à 12,3 ans, correspondant justement peu ou prou à la période nous séparant du lancement des premiers modèles électriques sur la zone, entre la Tesla S et la Renault Zoe. Avec une moyenne d’âge évidemment très inférieure, il n’est donc pas étonnant que la flotte des véhicules électriques soit moins prompte à s’enflammer que celle des thermiques, et toute comparaison entre les deux ne tenant pas compte du nombre des années s’avère donc forcément biaisée.

Pour être complet sur le sujet, il convient encore d’évoquer deux caractéristiques propres aux incendies affectant les voitures électriques. A commencer par le fait qu’un certain nombre d’entre eux sont provoqués par l’emballement thermique d’une cellule, autrement dit son échauffement incontrôlé jusqu’à l’enflammement et la contamination des cellules voisines. Un phénomène certes rare, mais qu’on ne maitrise pas encore tout à fait. Mais surtout, le feu affectant une VE est beaucoup plus difficile à traiter que pour une essence, nécessitant des ressources et procédures spécifiques en raison de batteries dont on rappelle qu’elles font appel à une chimie complexe pour stocker l’électricité.

Au final, il n’en reste pas moins que les seuls automobilistes à devoir se préoccuper véritablement des risques d’incendie sont ceux qui roulent en voiture âgée, et pas seulement en Lancia. En vérifiant par exemple régulièrement l’état de tout ce qui transporte du carburant, ainsi qu’en embarquant un extincteur au cas où. Les acheteurs d’une voiture neuve peuvent donc choisir tranquillement le modèle qui leur sied, quelle que soit l’énergie qui le meut.

En revanche, je ne saurais que trop conseiller à certains commentateurs de garder leur sang-froid avant de mettre de l’huile sur le feu en republiant des chiffres semblant de prime abord apporter de l’eau à leur moulin, à défaut d’extincteur. Parce que pour répondre à la question posée en titre : 
Non, l’EV ne brûle pas, ou alors très rarement. Mais c’est pareil pour les autres.