29/07/2021 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Audi , #Bmw , #Cupra , #Hyundai , #Honda , #Jaguar , #Jeep , #Kia , #Lancia , #Nissan , #Opel , #Peugeot , #Porsche , #Smart , #Fiat , #Ford , #Cadillac , #Chevrolet
Euh-lectrique
Par Jean-Philippe Thery
C’est d’un célèbre agent secret dont je vous parle aujourd’hui, qui perdrait sans doute son latin à conduire les voitures de demain ressemblant à celle d’hier. A moins que ce ne soit l’inverse.
Il n’y a pas qu’Aston-Martin dans la vie motorisée de James Bond.
D’ailleurs, le premier modèle qu’on le vit conduire sur grand écran n’était pas la célèbre DB5 couleur "bouleau argenté", mais une Chevrolet Bel Air Convertible 1957 apparaissant dans les premières minutes de "James Bond contre Docteur No". Et sans doute seriez-vous surpris(e) à en voir la liste, de constater à quel point les productions d’outre-Atlantique ont contribué à la saga cinématographique du célèbre agent britannique. On citera au hasard, dans des rôles plus ou moins en vue, un corbillard La Salle 1939, la Ford Mustang conduite par Tilly Masterson dans Goldfinger, une AMX Matador 1974, une Cadillac Fleetwood 1975 ou beaucoup plus récemment un Ford Edge propulsé par une pile à combustible à hydrogène.
Et bien sûr, il y eut la Ford Mustang Mach-1 millésime 71 qui tint la vedette dans "les diamants sont éternels", confirmant la domination du constructeur de Dearborn au sein de la sélection américaine, et grâce à laquelle un James dûment cravaté tourna en bourriques les cops de Las Vegas détruisant plusieurs exemplaires de Ford Custom à gyrophare dans un parking. Mais c’est dans une voie supposée sans issue que s’engagera finalement Bond pour échapper à ses poursuivants étoilés, du moins pour qui ne possède pas l’habileté d’un sociétaire du MI6 à mettre une voiture sur deux roues, afin de passer dans un espace trop étroit pour elle.
Je vous fais grâce de l’interminable liste de caractéristiques distinguant la Mach-1 des versions de base de la Mustang, dont la première mouture sortie un an avant celle du Commander était identifiable à son capot noir mat maintenu par des attaches rapides, et à son l’aileron ponctuant l’arrière de la carrosserie "fastback". Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que celle-ci constituait l’arme de Ford dans la guéguerre à la puissance que le constructeur livrait à GM et sa Camaro, même si Bertrand Mopar-or-no-Car (envoyé permanent d’Autoactu sur les terres de l’Oncle Sam) se chargera de nous rappeler que les deux constructeurs n’étaient pas les seuls à jouer aux muscle-cars.
Fort de ses 250 à 335 Brake Horsepower suivant le V8 retenu dans une liste de sept disponibles, l’engin reprenait le nom du concept Levacar Mach-1 présenté en 1959, une espèce d’hydroglisseur faisant appel à la sustentation électromagnétique combinée à deux réacteurs pour se mouvoir. Le vocable faisait évidemment allusion à la vitesse du son à une époque où l’automobile empruntait allègrement ses références à l’univers des aéronefs à réaction.
Succès commercial aidant, Ford remis le couvert de la Mach-1 en 74 sur une Mustang alors tristement downsizée façon crise du pétrole, avant de se lâcher en 2003 sur la quatrième génération cette fois correctement motorisée par un 4.6l développant 305 chevaux sauvages, mais qui paraitront un peu faiblards comparés aux 460 ch produits par le V8 Coyote du millésime 2021. Eh oui, les amateurs du genre ont toutes les raisons de se réjouir puisque la Mach-1 is back, du moins jusqu’à la fin de ce paragraphe à l’issue duquel je me prépare à leur gâcher sérieusement le plaisir.
Quoique. Rien ne dit que l’amateur de pony cars n’est pas aussi à même d’apprécier les qualités d’un SUV électrique, surtout qu’avec la Ford Mustang Mach-E[1], il est ici question d’un modèle ayant remporté de nombreux trophés en 2021, dont ceux de North American Utility of the year, Green Car of the year, Edmunds top rated Luxury Award, Best crossover to buy, Best Electric car to buy, North American SUV of the year, EV of the year… Bref, n’en jetez plus : avec autant de distinctions, il s’en est sans doute fallu de peu pour que le premier modèle 100% électrique à l’ovale bleu ne remporte un prix au Festival de Cannes.
Mais pour incontestables que soient les qualités de la Mustang Mach-E, c’est à son petit nom de baptême que je m’intéresse ici. Parce que ce dernier illustre de mon point de vue deux tendances concernant autant la façon dont sont désignées nombre de VE, que celle dont sont "désignés" certains d’entre eux. Tendances à propos desquelles je me demande d’ailleurs si elles n’en disent pas plus long sur le regard que portent les marketeurs sur les acheteurs de véhicules zéro-émissions que sur celui que posent ces derniers sur les modèles en question.
Vous n’ignorez sans doute pas que le "e" constitue la lettre la plus courante de la langue française. Mais saviez-vous que sa fréquence d’utilisation dans l’idiome de Molière est de 15,1% ? Et qu’il en va de même pour l’allemand (16,9%), le portugais (13,2%) l’anglais (12,6%) et l’Italien (11,5%) ? Si je vous raconte ce genre de truc à replacer dans les dîners en ville, c’est parce que je crois bien que la cinquième lettre de l’alphabet latin est aussi en passe de devenir la plus fréquente du vocabulaire automobile.
Et tout ça par la faute de l’électricité, ou plutôt du vocable la désignant, issu du mot latin electricus inventé en 1600 par l’anglais William Gilbert, lui-même inspiré du Grec elektron signifiant "ambre". Simplement parce c’est en frottant un morceau de la fameuse résine fossilisée jaune que furent observées les premières manifestations d’électricité statique, attirant par champs magnétique interposé les particules légères comme des cendres, poussières ou morceaux de papier.
Les gens de chez Honda ont donc été particulièrement inspirés en préemptant l’usage de la lettre qui va bien pour leur mignonne petite citadine électrique. "Honda e", ça pète même sans échappement et ça dit tout en moins d’un mot. Et si Jean-Philippe -pas moi mais celui de Lancia- se montre aussi malin, il aura déjà sommé le service juridique de la marque d’homologuer "Epsilon" en prévision du jour où celle-ci disposera enfin d’un vrai plan produit. Pour le reste, on ne peut que constater le conformisme navrant de ceux qui n’ont pas trouvé mieux que de préfixer ou suffixer leurs modèles à piles à l’aide d’un tiret-e ou d’un e-tiret. Et ça concerne tout de même à des degrés divers des marques telles qu’ Audi, Citroën, Cupra, DS, Fiat, Ford, Jaguar, Jeep, Kia, Mercedes, Nissan, Opel, Peugeot, Renault, Smart et Subaru (et voilà comment se faire une palanquée d’amis en un simple paragraphe).
Certains ont néanmoins su faire preuve d’une certaine créativité avec un "e". A commencer justement par Ford, qui aurait pu se contenter d’un bête e-Mustang, et dont le Mach-e constitue une jolie trouvaille même s’il ne signifie pas grand-chose. Même topo chez Jeep, dont "4xe" est lui aussi bien vu, bien qu’il ne désigne pour l’instant que les hybrides de la marque, en attendant qu’on livre des packs de batteries complets à Toledo. En revanche, on s’est un peu moins foulé chez Renault ou l’autocollant "E-Tech" concerne aussi bien les hybrides que les électriques pur jus, y compris la Zoé qui n’a pourtant pas eu besoin de ça pour construire sa notoriété.
Et si le même principe d’une appellation unique pour tous les engins à batterie est repris chez Volvo, c’est sans doute au responsable des manuels d’utilisation de la marque qu’a été confié le soin de baptiser la gamme "Recharge". Enfin, je ne saurais que trop vous conseiller de prononcer correctement l’"e-Tron" d’Audi si vous ne voulez pas être accusé de commettre des blagues puériles, d’autant plus qu’on trouve probablement ça très bien chez les non-francophones.
Et puis il y a ceux qui résistent à la dictature de la lettre unique, comme BMW qui fait dans la dissidence avec sa gamme "i", ou Volkswagen qui prouve qu’en la matière, on peut aussi avoir de bonnes ID. Sans compter ceux qui refusant la discrimination positive (ou pas) ont attribué un vrai nom bien à eux à leurs modèles décarbonés, comme Hyundai avec ses Kona et Ioniq, Nissan et son Ariya ou Porsche avec sa Taycan. Quant à Mercedes et Smart qui donnent dans l’acronyme intellectualisant, on fera semblant de les croire lorsqu’ils prétendent qu’EQ signifie "Quotient Emotionnel" en Shakespeare dans le texte.
Après cette sérieuse mise au point sur les "e", il est temps d’évoquer la deuxième tendance à laquelle je faisais allusion un peu plus haut, qui relève en comparaison du signal faible, puisque ne touchant qu’à un nombre limité de VE. Avouez néanmoins qu’avoir collé le logo du célèbre dada galopant sur la calandre d’un SUV à électrons, tout "coupé-isé" fût-il, a de quoi choquer les puristes. Mais la FoMoCo pourrait bien ne pas être la seule à sacriléger, puisqu’il se dit qu’à une dizaine de miles à peine de son HQ, on met au point l’adaptation d’un monogramme de Corvette au hayon d’un modèle directement concurrent. A moins bien sûr que les gars officiant dans le building du Renaissance Center ne se rappellent qu’avec "Stingray" ils disposent sans doute de l’appellation idéale pour promouvoir l’énergie électrique. Enfin pas pour les fameux puristes qui ne trouveront pas ça drôle du tout, et qui doivent sans doute prier pour que chez Mopar, on ait pas des envies de Charger haut perchée.
D’ailleurs, les choses sont-elles si différentes de ce côté-ci de l’Atlantique, quand on nous fait le coup du revival branché chez Renault, avec les futures Quatre et Cinq ? Ajoutez-y les versions "e" de la Fiat 500 et de la Mini, ainsi que la petite Honda précédemment évoquée, inspirée de la Civic première du nom, et on n’est pas loin d’une deuxième vague rétro-design, un mouvement qui date de 1994, lorsque Volkswagen présenta (au Salon de Detroit) son Concept One préfigurant la New Beetle de série.
Du coup, je m’interroge. Les décideurs des marques concernées considèrent-ils qu’il était nécessaire de faire appel aux vieilles gloires, qu’il s’agisse du look ou du nom, pour nous faire avaler la pilule de l’électrique ? N’étions-nous pas à l’inverse en droit d’attendre un minimum de futurisme s’agissant de la voiture de demain ? Tant qu’à réinventer l’automobile, n’aurait-on pas dû profiter de la disparition de l’encombrante motorisation thermique pour revoir son architecture en profondeur et proposer des concepts de carrosserie véritablement nouveaux ? Ceux qui gouvernent les projets véhicules ne sont-ils pas dans le fond plus angoissés que les destinataires de leurs évocations nostalgiques qu’ils prétendent sans doute rassurer ?
Tout ce que je sais, c’est que James Bond finira bien par se mettre à l’électrique, histoire de sauver la planète sans la réchauffer. Mais pas sûr que ce soit au volant d’une Mustang.
PS : A l’heure où je boucle ce papier, j’apprends que la Chevrolet Camaro serait remplacée par un sedan électrique 4 portes. Le signal est de moins en moins faible…
[1] Bien que tenté de faire allusion au Mustang Mach-E, j’ai choisi de respecter le genre féminin attribué à son SUV par Ford France. Après tout, ce sont eux les mieux placés pour en décider, non ?