21/11/2024
En quête d’auto
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous renvoie à vos chères études. Ou plutôt à l’une d’entre elles…
Pour une majorité d’entre nous, les enquêtes dites d’opinion n’ont guère la cote.
Un sujet d’actualité deux semaines seulement après les élections présidentielles chez Tonton Sam, puisque celles-ci renvoient inévitablement à l’univers politique et qu’on les accuse de s’être une fois de plus plantées sur l’issue du vote. Il y aurait évidemment beaucoup à dire sur le sujet, notamment sur comment ce qui représente une photographie des opinions à l’instant T s’est transformé au fil du temps en prédiction sous forme de scrutin anticipé. Il n’en reste pas moins que Donald a de nouveau Trumpé les sondages, ce que les partisans du candidat antisystème ne manquent pas de rappeler dans une rhétorique du complot permanent dont ils sont persuadés que les enquêtes constituent un des composants.
Pourtant, celles-ci valent beaucoup mieux que l’opinion qu’elles suscitent volontiers, ceux qui les critiquent ouvertement n’étant pas forcément les moins intéressés, quand ils n’en sont pas eux-mêmes les commanditaires. D’autant plus que la plupart d’entre elles -qui ne sont pas publiées- sondent plus volontiers le consommateur et/ou consommateur potentiel que l’électeur. J’en sais quelque chose pour avoir consacré pas mal de temps à concevoir autant qu’à décortiquer les résultats de certaines d’entre elles pour le compte de constructeurs. J’ai tiré de ces années d’études ayant complété mon cursus par la pratique quelques leçons qui valent autant pour le néophyte que certains exécutifs de l’industrie automobile, dont les réactions aux conclusions de celles que j’ai eu l’occasion de leur présenter ne m’ont pas toujours épaté. Mais persuadé que mes fidèles lecteurs en feront bon usage, laissez-moi vous en livrer ici un échantillon sous la forme de deux enseignements.
Les premier, c’est que personne ne lit les rapports d’enquête, préférant s’en remettre aux commentaires qui les accompagnent. Ne faites donc pas comme eux à la prochaine que vous rencontrez, en accordant plus d’attention aux tableaux et graphiques qu’à la littérature qui les accompagne, dont la qualité peut s’avérer très variable. Quant au deuxième, il se réfère à la nature des études dont les résultats apportent forcément leur lot de confirmations et de surprises. Mais il ne manquera jamais dans le premier cas de bonnes âmes pour vous expliquer qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une enquête pour en arriver là et qu’il aurait suffi de les consulter pour obtenir les mêmes conclusions à moindre coût. Quant à ceux dont les idées se trouvent au contraire bousculées ou contredites, ils préfèrent le plus souvent jeter le bébé avec l’eau du bain plutôt que de questionner leurs convictions et mettant en cause le sérieux d’une étude dont ils seraient pourtant bien incapables de contester la méthodologie.
Ce préambule étant posé, je vous propose justement de passer aux travaux pratiques avec une vaste enquête réalisée par l’observatoire Cetelem. Se décrivant lui-même comme "l’œil de la recherche économique de BNP Paribas", l’organisme qui sonde allègrement depuis une bonne trentaine d’années a cette fois consulté en ligne par moins de 16.000 répondants dans 14 pays, dont 3.000 pour la France. L’objectif était de mieux comprendre le rapport des jeunes à l’automobile, ici définis comme appartenant à la génération Z de moins de 30 ans, même si l’échantillon de l’étude a été recruté au sein d’une population de 18 à 65 ans. Et comme j’aime bien être surpris, ce sont principalement mes étonnements que je partagerai ici, même si ça relève un peu de ce picorage que j’ai pourtant allègrement critiqué dans ma chronique de la semaine dernière intitulée "Cherry Pick(ing)-Up".
On commence par des éléments factuels avec l’âge d’obtention du permis de conduire, dont je n’ai eu cesse d’entendre ces deux dernières décennies qu’il intéressait de moins en moins les candidats potentiels. Ceux des répondants possédant le fameux triptyque rose sont 85% à l’avoir obtenu entre 18 et 25 ans -dont 41% à l’âge de la majorité– résultat corroboré par la Sécurité Routière qui annonce 79% avant 25 ans en 2023. (les 6 points d’écarts s’expliquant probablement par la différence d’un an dans la définition des classes d’âge). En revanche, l’enquête menée en 2022 par Harris Interactive sur le même sujet fait état de 71% d’obtention jusqu’à 26 ans, différence manifeste avec un petit piège à la clef et un rappel méthodologique, puisqu’en matière d’études, il convient de revenir systématiquement à la base (de répondants, bien sûr). Or les populations considérées par le Cetelem comme la Sécurité Routière concernent ceux qui ont obtenu le permis, alors que l’échantillon pris en compte par Harris Interactive représente l’ensemble de la population française. Et 30% des français entre 18 et 26 ans dépourvus de "license to drive", ce n’est tout de même pas rien, même si ça s’explique. Considérez notamment le budget de plus en plus élevé pour obtenir le droit de s’emparer du volant, mais aussi l’offre de transport en commun notamment en ville, contribuant à retarder d’autant la nécessité d’une auto dans un contexte où on fonde une famille de plus en plus tard.
Toujours dans la série des éléments tangibles, l’enquête révèle encore que 32% des moins de 30 ans ayant acheté une voiture ont opté pour le neuf. Un chiffre qui m’a surpris, même si la France est en retard par rapport à la moyenne européenne affichant 41%, et des pays comme l’Italie et l’Espagne qui se la pètent avec respectivement 59 et 56%. Il faut dire que cette donnée nécessite une mise en perspective, puisque par "effet de lorgnette" (celle qu’on ne regarde pas toujours du bon côté), elle peut donner la fausse impression que les jeunes achètent des voitures neuves en masse, alors que les moins de 25 ans ne représentent que 3% de leurs acquéreurs, dont l’âge moyen s’établit à 55,3 ans pour l’ensemble de la population. Une information que je ne devrais pas vous révéler puisque provenant de l’enquête NCBS (New Car Buyer Survey), organisée en toute discrétion par l’ensemble des constructeurs, mais dont ces résultats partiels ont été publiés en novembre 2015 par les Echos. Certes, ça date, mais il n’y a pas de raison que cette tendance-là ait évolué dans le sens d’un rajeunissement, particulièrement dans le contexte
Allez, on se fait du bien en passant aux mesures d’opinion, avec les 70% des 18-29 ans qui éprouvent la plupart du temps du plaisir dans la conduite. On peut certes plaindre les 17% qui y voient une corvée (le reste se montrant indifférent), mais voilà surtout un résultat auquel je ne m’attendais pas, sans doute parce que certains boomers de mon espèce pourraient voir dans la multiplication de limitations de vitesse absurdes ou la prolifération de dos d’âne et ronds-points autant d’obstacles au bonheur de conduire. Un point de vue pourtant démentis par les 2/3 des classes d’âge supérieures qui affichent également un sourire au volant. Et pan sur le nez de mes a priori !
Dans le même registre 46% des mêmes 18-29 ans considèrent que l’image de l’automobile s’est améliorée au cours des 5 ans dernières années alors que 14% à peine se déclarent convaincus du contraire et 34% qui n’ont pas constaté d’évolution. Si j’ai jusqu’ici exprimé mon étonnement avec la retenue qui sied à un chargé d’étude, je retrouve ici la liberté du chroniqueur pour vous avouer que ce pourcentage-là m’a laissé sur le …séant. Je n’aurais en effet jamais imaginé un tel résultat, dans un contexte où se multiplient les messages prenant l’automobile pour cible, et encore moins que les intégrants de cette tranche d’âge-là se montrent résolument plus optimistes que leurs ainés, puisqu’ils ne sont que 35% de 30-49 ans et 24% des 50 ans et plus à partager cette vision des choses. On notera au passage que cette perception négative de l’automobile que je croyais si répandue ne semble pas non plus concerner ceux qui n’en possèdent pas, puisque seuls 4% d’entre eux justifient leur choix par l’opinion selon laquelle il s’agit d’un mode de transport trop polluant, alors qu’une bonne partie des 59% indiquant le coût comme premier frein à l’achat seraient probablement motorisés s’ils en avaient les moyens.
Et les bonnes nouvelles ne s’arrêtent pas là, puisque 86% des moins de 30 ans se déclarent attachés à leur voiture ! Evidemment parce qu’elle rend service (58% des citations) et qu’elle constitue un objet de valeur (36%), même si cette formulation-là pouvant être interprétée de différentes façons me paraît un peu ambiguë (valeur financière ? Sentimentale ?). Mais ne boudons pas notre plaisir quand 28% déclarent de leur compagnonne à quatre roues qu’ils ont "plein de souvenir avec elle" auxquels s’ajoutent les 22% considérant qu’"elle facilite les rencontres". Et si ceux d’entre vous qui savent additionner aurons compris que plusieurs réponses étaient possibles, il n’en reste pas moins que cet aveu d’une relation sentimentale avec leur auto de la moitié des interviewés me mettrait presque la larme à l’œil. Gardons néanmoins la tête froide, puisque 38% des interviewés de la même classe d’âge indiquent qu’ils pourraient envisager une vie entière sans voiture, dont on imagine qu’une majorité en sont aujourd’hui dépourvu, même si cette information-là n’est malheureusement pas disponible. Mais quels qu’ils soient, je leur donne rendez-vous dans dix ans…
Et puisque je nous ai remis les pieds à la terre, il est temps de passer aux questions à l’environnement et l’électrification, thèmes sans lesquels une étude sur l’automobile digne de ce nom n’est plus envisageable aujourd’hui. Les moins de 30 ans sont une petite moitié (44%) à considérer que l’automobile est la principale responsable du réchauffement climatique (contre respectivement 38 et 30% pour les 30-49 ans et les 50 ans et plus), alors que presque 2/3 d’entre eux voient en elle la cause principale de pollution en ville. Des réponses qu’il est possible de comparer aux statistiques existantes, comme celles publiées par l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) qui désignent les transports comme premier contributeur des émissions de CO2 en France à hauteur de 43%, proportion réduite à 24% à l’échelle de la planète, loin derrière la production d’électricité (41%). Et pour ce qui est de la pollution en milieu urbain, Parif indique que le trafic routier contribue à 25% des émissions de particules fines (PM10 et PM2.5) en île de France, derrière le chauffage des secteurs résidentiel et tertiaire (29%). Des comparaisons qu’on manipulera néanmoins avec précautions non seulement parce que d’autres sources sont disponibles sur les mêmes sujets, mais surtout parce que l’objectif d’une enquête n’est sûrement pas de juger l’opinion des répondants, même si rien n’interdit d’essayer de la comprendre en faisant appel à des éléments extérieurs.
Au chapitre des solutions, les moins de 30 ans semblent accorder au progrès technique une confiance que bien des activistes de l’environnement lui refusent, puisqu’ils sont pas moins de 84% à considérer que "les progrès technologiques pourront améliorer le bilan environnemental de l’automobile", résultat sur lequel ils ne se distinguent pas de leur ainés affichant le même résultat à un point près. Ils sont pour autant un poil plus nombreux à considérer que la voiture électrique peut incarner ce progrès technologique, 5 points devant les 30-49 ans et 10 points devant les 50 ans et plus. Une confiance dans un avenir électrifié néanmoins différée, puisque les intentions d’achat pour la prochaine voiture placent les modèles à batterie derrière leurs homologues à essence pour les jeunes, même si de façon assez frustrante, les pourcentages correspondants ne sont pas indiqués.
Voilà donc une enquête que je trouve plutôt réjouissante, puisque montrant une majorité de "jeunes" plutôt en quête d’automobile. Mais comme je suis loin de vous avoir tout dit à son sujet, je ne peux que vous inciter à vous mettre à votre tour en quête de cet excellent document afin d’approfondir le sujet, et surtout d’en formuler vos propres commentaires…