01/04/2021 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Audi , #Bmw , #Dacia , #Mazda , #Peugeot , #Porsche , #Smart
Crise de foi
Par Jean-Philippe Thery
Y’a de l’électricité dans l’air aujourd’hui. Parce que j’en ai un peu marre de lire les même c… pour ou contre les voitures supposées propres ou sales, à moins que ce ne soit l’inverse. Alors j’ai décidé de me lâcher : ô grands mots, ô grands remèdes.
Hier, j’ai appris un mot.
Un terme rare pour un comportement (trop) courant, qui évoque le biais cognitif théorisé par les deux psy américains qui lui ont donné son nom : l’effet Dunning-Krüger (ou effet de surconfiance) décrit le comportement par lequel les individus les moins qualifiés sur un sujet déterminé surestiment leur capacité, alors que les experts sont en proie au doute.
Accrochez-vous bien, parce que ce mot, c’est l’ultracrépidarianisme.
L’ultracrépidarianisme (à répéter dix fois sans bégayer) renvoie à l’attitude de ceux qui donnent leur avis sur un sujet pour lequel il n’ont aucune compétence. Un substantif pour le moins alambiqué, qui trouve son origine dans la locution Sutor, ne supra crepidam, que les distingués latinistes parmi vous auront immédiatement traduit par : "Cordonnier, pas plus haut que la chaussure". En Molière version XXIe siècle, ça donne "A chacun son métier, et les vaches seront bien gardées". Mais c’est en anglais que naquit l’ultracrepidarianism, inventé par l’écrivain Irlando-Britannique William Hazlitt, en hommage à un critique littéraire qu’il n’a sans doute jamais invité à prendre le thé.
Bravo si vous le connaissiez, parce que j’ai tout de même dû l’enseigner au correcteur orthographique Wordien, qui me l’a souligné de zigzags rouges. J’aurais d’ailleurs apprécié de le rencontrer plus tôt, tant il verbalise adéquatement la posture d’un certain nombre de fréquenteurs de réseaux plus ou moins sociaux sur un sujet qui nous préoccupe depuis un certain temps. Un sujet sur lequel je les observe avec effarement, et -je l’avoue- un rien de voyeurisme, s’écharper à grands coups d’affirmations péremptoires, d’interprétations abusives, de sophismes et autres fake news. Un sujet de la plus haute importance, puisqu’on nous dit que de lui dépend l’avenir de l’humanité.
Je fais bien sûr allusion à la voiture électrique.
Vous aussi avez sûrement assisté à ces escarmouches d’autant plus violentes qu’elles se produisent à distance. Des échauffourées qui constituent à mes yeux la preuve irréfutable que nous vivons en la matière une véritable crise de foi, où la mauvaise le dispute à la bonne. Sans préjuger d’ailleurs laquelle vaut mieux que l’autre, puisque de la première Machiavel estimait qu’elle est indispensable à "quiconque veut d’un état médiocre s’élever au plus grand pouvoir", alors que la seconde nourrit ces intentions dont on dit que l’enfer est pavé.
Quoi qu'il en soit, j’ai décidé moi aussi, de me mêler aux débats, n’étant pas homme à rester sur des aigreurs d’estomac. Mais comme je ne saurais évidemment pratiquer ce que je dénonce, n’attendez pas que je prenne définitivement position. Ce que je vous propose, c’est donc une petite revue de sophismes, qu’ils émanent des "pro" ou des "anti" de la voiture électrique.
"La voiture électrique, c’est la modernité"
Le 19 avril 1881, rue de Valois à Paris, Gustave Trouvé le bien nommé testait avec succès un tricycle propulsé par le petit moteur électrique Siemens qu’il avait lui-même amélioré. Dans l’histoire de la mobilité individuelle motorisée, la voiture électrique a donc précédé sa cousine à moteur thermique, qui n’était point germaine comme Monsieur Benz et son tricycle aimerait à nous faire croire, mais bien française puisque construite par Monsieur Delamare-Deboutteville en 1884.
La conclusion s’impose donc d’elle-même : la modernité, c’est la voiture, électrique ou pas. Un truc dont l’homme a rêvé pendant des siècles, mais qu’il a inventé il y a moins de 150 ans. En rappelant au passage que la première automobile ayant dépassé les 100 km/h le 1er mai 1899 (il y a donc très exactement 122 ans), était une espèce de torpille à roulettes pourvue de deux moteurs électriques de 25 kW chacun, baptisée "la jamais contente".
"La voiture électrique, c’est une vieille idée qui n’a pas réussi"
Evidemment, le camp d’en face ne manquera pas de s’engouffrer dans la brèche. Et on serait tenté de lui donner raison, considérant qu’au début du XXe siècle, la maigre flotte automobile existant dans le monde était propulsée à proportions à peu près égales par la vapeur, l’essence de pétrole, et l’électricité. Et c’est vrai, le carburant liquide finit par l’emporter par sa densité énergétique supérieure, en vertu de l’équation "poids emmené vs énergie restituée". Oui mais.
En dehors de pauvres voiturettes de golf, les voitures électriques ont sombré dans l’oubli, étant par conséquence privées de la bonne centaine d’années de développement à laquelle eurent droit les pétrolettes. N’en déplaise aux conservateurs, il paraît donc légitime de leur donner enfin une chance, en ne feignant d’ignorer ni les progrès effectués depuis par les batteries, ni l’apparition de l’électronique.
"La voiture électrique est propre"
L’expression "voiture propre" illustre parfaitement le pouvoir des mots. Elle me fait penser à ces sodas sans sucres mais au goût sucré, qui libèrent la conscience mais incitent à consommer ailleurs les calories que l’on n’a pas bues. Alors soyons clair : Les seules voitures propres sont celles qui sortent de chez l’Eléphant Bleu.
Parce qu’une voiture électrique n’en est pas moins voiture, et qu’elle distille elle aussi dans l’atmosphère son lot de particules issues des plaquettes de frein et du caoutchouc dont on fait les pneus.Et si son moteur s’abstient de toute émission à l’usage, avantage certes loin d’être négligeable, sa production et son recyclage ne sont pas des plus vertueux, en raison des matériaux qui composent ses batteries.
En rappelant qu’à peu près toutes les activités humaines polluent, du beurrage des tartines au brossage de dents, en passant par les vacances à la montagne ou l’écriture et même la lecture de cette chronique. Mais il serait bon de rappeler qu’une voiture neuve d’aujourd’hui, quelque soit l’énergie qu’elle consomme, rejette infiniment moins que celles d’il y a 50, 30 ou ne serait-ce que 10 ans. Histoire de se donner l’envie de continuer à progresser.
"La voiture électrique pollue plus que la voiture thermique"
C’est bien connu, la meilleure défense c’est l’attaque.
Je défie néanmoins les péremptoires de service de prouver cette assertion. Et comme je sais moi aussi Googler, inutile de me refiler le lien de je ne sais quelle étude, à laquelle il sera facile d’en opposer une autre apparemment tout aussi crédible, mais démontrant exactement le contraire. Alors à ceux -l’immense majorité d’entre nous- qui n’auraient pas les connaissances nécessaires pour se plonger dans les équations, modèles statistiques et autres calculs du genre qui vont bien, je recommande de relire la définition de l’ultracrépidarianisme en début de texte, et d’admettre que nos convictions sont souvent fondées sur des désirs.
D’autant plus que la question ne supporte probablement pas de réponse unique, laquelle dépend sans doute d’un tas de paramètres entre le type de modèle pris en compte et leur usage, la matrice énergétique du pays considéré, l’âge du conducteur et je ne sais trop quoi encore.
"L’autonomie des voitures électriques est largement suffisante"
Pour 95% des trajets de bon nombre d’automobilistes, les 395 km WLTP d’autonomie affichés par Renault pour sa Zoe sont largement dimensionnés, même si réduits de moitié par grand froid et vent debout. Sauf que ce sont les 5% restants qui dimensionnent le cahier des charges de la voiture unique ou principale d’un foyer, quand Papa, Maman, les gosses et le chat s’y retrouvent à bord avec les bagages lors des départs en weekend ou en vacances. Si ce n’était le cas, nous roulerions tous en Smart Fortwo EQ !
Ce qui fait de l’auto électrique une excellente seconde voiture, comme attesté par les 2/3 de ses propriétaires dans l’Hexagone, lesquels sont multi motorisés. Mazda -qui ne fait décidément rien comme tout le monde- l’a d’ailleurs entériné, en équipant son SUV compact MX-30 d’une batterie d’à peine 35,5 kWh (contre 52 pour Miss Zoé) afin de contenir la prise d’embonpoint et le coût. En résulte un VE qui s’assume pleinement dans sa vocation urbaine avec ses 200 km d’autonomie WLTP (sans doute 120 réels), sans courir après une valeur qui risque d’être au final à la fois trop et pas assez. Mais c’est tout de même un monde étrange que celui où cohabitent une compacte aux dimensions citadines capable d’échapper au périmètre urbain et un SUV familial qui n’aspire pas à le quitter.
"La voiture électrique génère du travail infantile"
Là, je n’ai pas du tout envie de rire. Parce qu’on parle de mômes qui travaillent et parfois meurent dans les mines de Cobalt de la République Démocratique du Congo, pays qui détient 60% des réserves mondiales du rare métal entrant dans la composition des batteries. Certains en profitent pour poster la photos d’enfants décharnés, à l’appui de leur discours anti-bagnole électrique. Eh bien je vous fiche mon billet que ceux-là ne s’étaient auparavant jamais souciés de leur sort, pas plus qu’ils ne sont précipités sur leur chéquier pour faire un don à une ONG, ou qu’ils se préoccupent de l’origine des composants de leur téléphone ou ordinateur portable.
Certes, la croissance du marché des véhicules électriques se traduit par une demande accrue en cobalt susceptible d’aggraver le sort de ces enfants, si nous ne faisons pas en sorte qu’à l’inverse, elle attire l’attention sur eux. Mais la voiture électrique ne peut évidemment pas être tenue pour responsable de nos choix ou de leur absence en la matière, et l’utilisation de ces enfants pour affirmer le contraire relève ni plus ni moins d’une manipulation démunie de scrupules.
"La voiture électrique est maintenant abordable"
12.403 euros seulement ! C’est ce qu’ils vous en coûtera désormais pour entrer dans l’univers de la motorisation électrique grâce à Dacia et à sa Spring, qui la mettent donc à portée de toutes les bourses. Bon, avec tout de même un petit coup de pouce des camarades contribuables à hauteur de 4.787 euros. Sans oublier qu’au prix d’un Sandero de milieu de gamme ou du Duster de base, vous ramenez à la maison un Kwid, soit la voiture la moins chère disponible sur le marché brésilien.
Enfin, certains souligneront que l’électrique la plus abordable du marché est fabriquée en Chine, ce qui n’arrange ni le bilan carbone de l’engin, ni notre balance commerciale. Loin de moi cependant l’idée de fustiger l’initiative de Dacia qui prétend sans doute avec sa Spring provoquer un bond en avant du marché de l’électrique. Mais quelque chose me dit tout de même que les populaires à essence n’ont dans l’immédiat pas trop à s’inquiéter.
"La voiture électrique, ce n’est pas fun"
Là, les propriétaires d’Audi e-tron et de Porsche Taycan se marrent, même s’ils ne feront évidemment pas beaucoup de bruit. Alors prenez plutôt la Peugeot e-208, et dites-moi ce que la version électrique rend à ses collègues carbonées en la matière. A moins que le doux son du trois cylindres turbo ne vous enchante à ce point, ou que vous teniez absolument à changer les rapports à la main dans les embouteillages. Pendant ce temps, les autres apprécieront le couple abondant dès la première rotation du moteur, et les sensations d’accélération qui vont avec. Quelque chose me dit d’ailleurs que les électriques seront de plus en plus fun à conduire.
"L’électrique, c’est pour les bobos parisiens"
Pour assister leur vélo ou trottinette, sans aucun doute. Mais méfiez-vous du bobo au volant, c’est probablement un fake. Surtout que le possesseurs de VE roulent à l’essence et même -horreur- au gazole. Du moins les 2/3 d’entre eux, quand ils prennent leur première voiture.
Bon, vous l’avez compris, je milite en fait pour un monde automobile plus inclusif. Celui qui verrait les amateurs de thermique souhaiter la bienvenue aux VE, en se rappelant qu’une voiture, c’est une voiture, qu’elle marche au pétrole, ou au jus, ou bien qu’elle soit bi. Mais aussi un monde où les partisans du VE acceptent l’idée d’un mix énergétique, sur lequel semblent d’ailleurs travailler plusieurs constructeurs, entre Volkswagen qui lance une nouvelle plateforme thermique, BMW qui ne renonce pas au développement de ses motorisations à pistons, et Porsche qui travaille sur un carburant synthétique diminuant de 85% les émissions de CO2.
Bref, l’œcuménisme plutôt que la crise de foi