Publicité
Publicité
18/07/2024 - #Renault , #Byd , #Hyundai , #Great Wall , #Ford , #Stellantis

Chinoiseries Tupiniquim

Par Jean-Philippe Thery

Chinoiseries Tupiniquim
Inauguration de la 100e concession brésilienne de BYD à Florianópolis (Crédit : BYD)

Aujourd’hui, je vous emmène en voiture au Brésil, en passant par l’Asie orientale…

C’est par les Tupiniquim que furent reçus les hommes du navigateur Pedro Alves Cabral le 23 avril 1500, sur le littoral de Monte Pascoal, dans le sud de l’actuel Etat de Bahia. Un évènement qui signalât la "découverte" officielle du Brésil sous forme d’une rencontre pacifique marquée par des échanges de cadeau, dont les descendants d’un des nombreux peuples autochtones du pays n’ont pourtant pas vraiment lieu de se réjouir, considérant ce qu’allaient advenir de leurs relations avec les colons venus se disputer l’immense territoire qu’ils ne pourraient bientôt plus considérer comme leur étant exclusif…

Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes que le qualificatif de "Tupiniquim" soit devenu synonyme de " Brésilien" dans la bouche des descendants d’immigrants, dans un pays de 220 millions d’âmes dont les indigènes ne représentent que moins d’un demi-pourcent. Je ne suis d’ailleurs pas certain que les quelques 4.000 "vrais" Tupiniquim vivant aujourd’hui principalement dans la commune d’Aracruz (Etat d’Espirito Santo) goûtent cette appropriation de leur identité, effectuée selon les circonstances et l’individu avec un mélange aux proportions variables de sentiment patriotique, d’humour ou d’auto-dérision. Le "Gringo" que je n’ai pas totalement cessé d’être malgré mes 20 ans de présence dans le pays serait d’ailleurs bien avisé d’employer le vocable avec circonspection, considérant que cette forme d’autodénomination ne constitue en rien une autorisation d’utilisation concédée à autrui. En d’autres termes, se déclarer Tupiniquim est une chose, s’entendre être ainsi qualifié par un "estrangeiro" en est une autre.

Des Gringos découvrant les terres Tupiniquim, on en trouve d’ailleurs encore de nos jours, même si délaissant les rustiques caravelles en bois du XVI siècle, ceux-ci ont débarqué avec leurs voitures. Ce qui n’empêche pas ces dernières de sortir elles-mêmes des cales d’embarcations comme le BYD Explorer n°1, arrivé le 27 mai dernier dans le port pernambucano de Suape, à quelques 1.500 km au nord de la plage où Cabral accosta il y a 5 siècles. Vous l’avez compris, les Chinois ont à leur tour "découvert" le Brésil et débarquent en force, puisque ce sont pas moins de 5.459 véhicules électriques et hybrides qui sont sortis des entrailles du bâtiment de BYD. Mais je vais sans doute un peu vite en besogne, et un petit retour historique s’impose.

D’abord parce que les migrants dont sont issues les quelques 250 à 300.000 sino-brésiliens n’ont pas attendu l’automobile pour s’installer dans le pays qui a vu les premiers d’entre eux arriver en 1812, autrement dit bien avant que le cheval ne soit remplacé par la machine. On leur doit l’implantation du thé, ainsi que d’avoir participé à la construction ferroviaire dans l’Etat de Rio de Janeiro ou à la dure exploitation des mines du Minas Gerais. Dans les années 50, c’est fuyant le maoïsme en action qu’un certain nombre d’entre eux vinrent s’établir en Terras Brasilis, mouvement qui s’est accéléré à partir de 1990, au point que 20% des boutiques du SAARA (célèbre association des commerçants du centre de Rio) sont aujourd’hui contrôlés par des Chinois. Et Curitiba, capitale de l’Etat du Paraná localisé dans le sud du pays, où j’ai participé à l’implantation de Renault à la fin du millénaire dernier, constitue semble-t-il de nos jours une destination privilégié par ces nouveaux arrivants.

Mais aussi parce que dès les années 2000, des immigrantes chinoises motorisées ont investi les rues et routes brésiliennes, arborant les logos de Chery, Lifan ou Chana, ou encore celui de la société Effa venue d’Uruguai commercialiser les modèles de Changhe, Hafei, Huanghai, Jibei, Jiangling ou Sinotruck. Parmi ces véhicules se trouvaient nombre de petits utilitaires à benne ou tôlés situés tout en bas de l’échelle sociale motorisée, mais rendant bien des services à de petits entrepreneurs séduits par un gabarit aussi riquiqui que l’était leur tarif, à moins que ce ne fût l’inverse. Parmi les modèles destinés aux particuliers jouissant d’une certaine visibilité, on trouvait la QQ reprenant le projet de la Daewoo Matiz que les ingénieurs coréens n’avaient pas oublié d’emporter dans leurs cartons de déménagement en quittant leur boite en faillite pour s’établir à Wuhu où siège Chery. Je me rappelle aussi l’exemplaire de la Lifan 320 régulièrement stationné devant l’immeuble où j’œuvrais alors pour PSA, drôle d’imitation de Mini hésitant entre hommage et caricature.

De toutes ces marques subsistent à peine aujourd’hui Effa Motors et Chery, cette dernière étant passé à la production locale en 2014 après avoir intégré le Groupe Caoa, notamment connu pour avoir "installé" Hyundai avec succès dans le pays. Et si on est loin des performances réalisées par celle qui constitue désormais la 4e marque du pays, il n’en reste pas moins que ce sont pas loin de 4.700 exemplaires des véhicules arborant le double blason "Caoa Chery" qui ont trouvé preneur depuis le début de l’année.

Pour autant, celui qui a véritablement fait connaître l’automobile chinoise au grand public brésilien s’appelle Sergio Habib. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’importateur exclusif de la marque Citroën de 1990 à 2001 (avant d’en assumer la présidence de la filiale locale jusqu’en 2008) n’y est pas allé par quatre chemins pour lancer JAC (acronyme de "Anhui Jianghuai Automobile Co"). Le 18 mars 2011, pompeusement baptisé "Jour J", ce sont en effet pas moins 50 concessionnaires qui ouvraient simultanément dans le pays, faisant grincer quelques dents chez Citroën, puisque la "construction" de la quarantaine d’entre elles appartenant au groupe SHB avait consisté pour certaines à réduire de moitié la superficie d'une affaire de la marque au chevron contrainte de faire de la place à un voisin pas forcément désiré.

Et pour assurer la promotion des berlines compactes J3 et J3 Turim (dérivé tricorps), ainsi que des Sedan J5 et minivan J6, c’est n’est ni plus ni moins qu’au présentateur "Faustão" qu’il fut fait appel. Imaginez Jacques Martin faisant de la pub pour une nouvelle marque automobile, et vous aurez une petite idée de ce qu’a pu représenter l’évènement comme des émoluments touchés par notre homme. Pour avoir eu le privilège de conduire un exemplaire de la J3, je peux vous confirmer que l’engin se vendit davantage en raison de son prix et de sa garantie alors inédite de 6 ans que de ses qualités dynamiques. Il n’empêche qu’elle et ses collègues de showroom "faisaient le job" sur les feuilles Excel de fin de mois, alors que JAC n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même à raison de 135 véhicules mensuels (au cumul de 2024). Mais Sergio n’a pas dit son dernier mot, puisque mettant fin à la décision sans doute osée de ne vendre que des véhicules électriques prise en 2019, notre homme promet un pick-up et un SUV avec motorisations diesel et hybride pour bientôt.

Quoiqu’il en soit, voilà qui ressemble à de la roupie -ou devrais-je dire Yuan ?- de Sansonnet au regard de la véritable invasion de véhicules en provenance de Chine que le Brésil connait depuis le début de l’année, avec une augmentation de 536% sur le premier quadrimestre par rapport à la même période de 2023, soit un peu plus de 106.000 unités. Si l’on en croit la CPCA ( Associação Chinesa de Carros de Passageiros), le Brésil serait ainsi devenu la seconde destination des voitures chinoises après la Russie, passant la Belgique pour ce qui est des voitures électriques qui en constituent une bonne partie.

Même si nombre de ces véhicules patientent sur les parkings de certains ports du pays, envoyés au plus vite de Chine sans doute à la fois pour désengorger les parcs locaux comme pour anticiper une augmentation de taxes prévue dès juillet 2024. Quoiqu’il en soit, il ne se passe plus guère une quinzaine sans que ne soit annoncée l’arrivée d’une nouvelle marque en provenance de l’Empire du Milieu, Jaecoo, Leapmotor (sous l’égide de Stellantis), Omoda, Wei ou encore Zeekr ayant déjà fait part de leurs ambitions, voire débuté les opérations.

Mais les deux noms que tous les Brésiliens ont appris à connaitre s’appellent Great Wall Motors et BYD, lesquels investissent dans la production locale en reprenant les installations de constructeurs occidentaux ayant plié bagage. C’est ainsi que GWM initiera la production de son pick-up Poer dans l’usine que Mercedes avait inaugurée en 2016 à Iracemápolis (dans l’Etat de São Paulo), alors que BYD redémarrera dès l’année prochaine les chaînes de l’ex-usine Ford de Camaçari dans l’Etat de Bahia. Même si, comme indiqué précédemment, BYD n’a pas attendu le "Start Of Production" pour occuper le marché puisque ce sont pas moins de 5.400 voitures apportées de Chine qui ont été livrées chaque mois depuis le début de l’année.

Que nombre de ces modèles soient électriques ne surprendra sûrement pas grand monde, même si le Brésil ne constitue pas l’environnement le plus amical pour les engins à batterie, désireuses que sont les autorités de promouvoir l’éthanol issu de la canne à sucre comme carburant vert. Disponible pur à la pompe pour les propriétaires de modèles à moteur Flex équipant la très grande majorité des véhicules à combustion interne, il est également présent dans l’essence, dans des proportions variant suivant sa disponibilité et les cours mondiaux du sucre. La puissante industrie sucrière locale s’est ainsi assuré un business model marchant à tous les coups, que les pouvoirs publics ne songent guère à remettre en cause. C’est même l’inverse puisque les taxes affectant les VE -qui ne dépassent pourtant pas le pourcent de participation- vont subir une hausse progressive, à commencer par les tarifs douaniers qui atteindront 35% pour toutes les catégories en 2026 contre 18% pour les VEB, 20% pour les hybrides rechargeables et 25% pour les hybrides aujourd’hui. Mais le plus symptomatique du peu d’intérêt du gouvernement pour les véhicules zéro émissions réside sans doute dans l’impôt dit "sélectif" mis en place dans le cadre d’une grande réforme fiscale, affectant les produits nocifs pour la santé (comme le tabac ou l’alcool), mais aussi ceux qui "agressent" l’environnement au rang desquels figure l’automobile, y compris électrique. Quand on veut tuer son chien…

Face à cette nouvelle vague d’immigration automobile, les Brésiliens réagissent diversement. Il y a évidemment ceux qui la rejettent, fustigeant la qualité supposé douteuse de produits "xiguiling (prononcer "chiguilingue"), venus d’un pays "communiste". Mais il en va autrement pour bon nombre de leurs compatriotes pour qui la reprise par des entreprises chinoises d’un outil de production abandonné par des constructeurs occidentaux ayant "fui le pays" revêt une dimension hautement symbolique. Et ceux-là voient d’autant moins d’un mauvais œil l’arrivée de ces marques venues du plus grand pays des "BRICs" (Brésil, Russie, Inde, Chine) qu’ils l’interprètent comme une forme de revanche à l’égard de constructeurs "historiques" soupçonnés d’avoir profité de leur position dominante pour pratiquer des tarifs exorbitants et s’être rempli les poches aux dépends du consommateur brésilien. Le tout teinté d’un soupçon d’antiaméricanisme et d’accusations de colonialisme d’autant plus intéressantes à l’égard des entreprises européennes qu’elles émanent en grande partie de descendants de ces colons venus du Vieux-Continent au cours des XIXe et XXe siècles.

Quoiqu’il en soit, l’axe sino-Tupiniquim est plus que jamais constitué, et dans l’automobile plus qu’ailleurs, il faudra sans doute compter avec lui…

Publicité

Réactions

Très belle photo de l’explorer de BYD qui fonctionne au ….gaz,adieu émanations de souffres et pollution en tt genre ,qu’attend notre armateur national pour faire de même

Gaz en provenance de Russie ?

Peut être mais pas sur ,surtout au Brésil)))

Alors Alain, si le gaz n'est pas russe tout va bien. Gazafon ! Et puis le Brésil, c'est loin alors on s'en tape un peu non ?
Si ce gaz sent la rose pourquoi l'UE l'interdit-elle pour les voitures à partir de 2035 ?

Et vous, allez-vous acheter des chignoles chinoises ? Moi jamais ! Même mes trot'élec sont françaises et mon futur scooter Silence S01 est fabriqué par Seat (groupe VW).

Avec les chinois et leurs centaines de marques nous entrons dans le domaine de la voiture jetable, les clients ne vont pas s'y retrouver et j'ai l'impression que tout le monde y va plein pot en nomination de réseaux et en considérant qu'elles ne reviendront ensuite plus dans les concessions.
Ca renifle le plantage client.. à suivre !
;0)

En tout cas l’Explorer qui livre les Byd ne rejette pas de souffre….

Votre commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire

Autres articles

Nominations

Trois nouveaux responsables chez CA Auto Bank

CA Auto Bank renforce son leadership avec la nomination de trois nouveaux responsables : Alexander Paul Hughes nommé responsable des marchés européens ; Marina Sapello prend la responsabilité du nouveau département des affaires juridiques corporate et achats ; et Andrea Barcio devient responsable du département ressources humaines et gouvernance des processus.

Constructeurs

Chery avance ses pions en Europe

L'Espagne en février, désormais le Maroc et l'Italie, le constructeur chinois s'implante progressivement en Europe, avec son SUV-C thermique et électrique. Il débutera en France et en Allemagne en 2025 mais a déjà commencé le recrutement de ses distributeurs.

Constructeurs

Que dit l’enquête de la Commission européenne à propos de SAIC

Dans le règlement d’exécution du 3 juillet 2024, la Commission européenne examine dix-huit types d’aides dont auraient pu bénéficier les constructeurs de véhicules électriques chinois de la part des autorités. Au terme de cette enquête, l’addition des taux de subventions estimés pour chacun aboutit à un "droit compensateur". Pour SAIC, ce taux atteint 37,6%. Les principales raisons sont notamment une "recapitalisation" à hauteur de 15 milliards d’euros, des subventions en espèces ainsi qu’un taux plus élevé de subvention sur les batteries.