14/10/2021 - #Renault , #Aiways , #Hyundai , #Kia , #Man
Une chinoise très cathodique
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, c’est une véritable aventure en Bourgogne que je vous propose, à bord d’un engin exotique. Ou pas.
L’automobile d’avant, c’était tout de même plus simple.
A de rares exceptions près, les constructeurs étaient nés avant nous, nombre d’entre eux ayant même poussé leur premiers vroum-vroum au début du siècle (dernier). L’offre était plus restreinte, et les ingénieries des uns et des autres n’étant pas encore entrés en consensus en bien des domaines, les modèles étaient plus facilement identifiables. D’autant plus que naguère -cette période aux contours imprécis dont on se bornera à constater qu’elle ne date pas d’aujourd’hui- les marques s’éteignaient plus volontiers qu’elles n’apparaissaient.
Evidemment, ça s’est un peu compliqué dans les années 90, avec l’émergence de monogrammes aux consonnances exotiques, venus d’un pays dont on dit les matins calmes. Une image sans doute trompeuse, et pas seulement parce que le nom du Royaume dont il est issu fut mal traduit par les missionnaires européens qui s’y rendirent au XIXe siècle, puisque Chŏson signifie "matin frais". De fait, à constater combien la K-Pop a envahi des réseaux sociaux largement consultés sur tablettes et mobiles Samsung, ou que son principal groupe automobile fait désormais partie du Top Ten mondial, on imagine que la Corée du Sud se met au travail dès potron-minet. D’ailleurs, si nous méconnaissions Hyundai et Kia avant que celles-ci -aujourd’hui réunies sous la même bannière- ne prennent l’Europe d’assaut, c’est par pure ignorance puisqu’elles ont été respectivement créées en 1967 et 1944.
Dans un tel contexte, comment aurais-je pu imaginer qu’un jour, je conduirais une Aiways U5 ?
"Ai", c’est l’amour en chinois. Aiways exprime donc l’amour des routes pour ce constructeur émanant de la Jiangling Motor Holding Co, et né en …2017. Mais de ce que j’ai pu constater, c’était plutôt "l’amour déroute" pour ceux qui y ont prêté attention, tant le logo abscons situé à l’avant, les lettres chromées ornant le hayon ou même la mention explicite de son nom pour ceux qui m’ont interrogé ont provoqué de moues incrédules. Airways ? Non, "A-hi-ways". Ne vous inquiétez pas, j’ai dû m’y reprendre moi aussi à plusieurs fois avant de l’imprimer.
Mais ce n’est pas uniquement en raison de son patronyme que l’Aiways U5 a constitué pour moi une première. Non pas parce qu’elle est chinoise, puisque j’ai eu l’occasion de rouler une Jac J3, qui m’a laissé un souvenir absolument périssable. Pas non plus parce qu’elle est électrique, puisque j’ai testé le genre dès 1996 avec une Clio à São-Paulo, et que j’ai remis le couvert récemment avec une e-208 à Rio de Janeiro. Mais plutôt parce qu’elle est chinoise ET électrique, et surtout parce qu’en ayant disposé durant un weekend complet, j’ai eu droit à un essai allant au-delà de la simple prise en main.
Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de me substituer aux experts en la matière, et c’est plutôt le fruit de mes réflexions qu’un examen détaillé de son comportement routier dont je compte vous faire part.
Et ça commence par la mise en main de l’auto, ou plutôt de la tablette localisée en position centrale sur la planche de bord, dont le très sympathique Nicolas me fait défiler les principaux menus. Avec tout de même un petit tour à l’extérieur, histoire de repérer la trappe articulée abritant les prises de chargement, localisées sous le phare côté conducteur. Pour le reste, pas grand-chose à expliquer tant la conduite d’une voiture à électrons relève de l’évidence, puisqu’il suffit d’accélérer, freiner et tourner un volant dont on oublie facilement qu’il n’est pas vraiment rond.
En fait, le plus déroutant réside dans l’absence du cérémonial de mise en route, les préliminaires une fois installé à bord se bornant à effleurer la pédale de frein et positionner le sélecteur rotatif de la console centrale sur "D". Ah si, il faut tout de même désenclencher le frein de parking électrique avec son doigt, ce qui paraît pour le moins curieux. Quoiqu’il en soit, les amateurs de mécaniques s’éclaircissant la voix au démarrage regretteront sans doute une entrée en matière aussi directe.
Mais puisqu’il faut bien y aller, c’est les yeux rivés sur l’indicateur de niveau de charge de la batterie que je traverse aussitôt Paris. J’ai néanmoins tort de m’inquiéter, puisque je ne consomme que quelques points des 99% initiaux, entre les 30 km/h maxi chers à Madame H (et à l’automobiliste qui commet l’imprudence de les dépasser), et la conduite urbaine régénératrice de jus de batterie, lors des phases de ralentissement constamment répétées.
Quand je la récupère après le déjeuner, l’U5 a donc encore la frite, alors que celles accompagnant l’andouillette dont je me suis régalé m’incitent d’autant plus à la somnolence que le navettage aux commandes d’une électrique constitue décidément un non-évènement. Mais c’est très bien comme ça, même s’il me faut faire appel au reste de vigilance dont je dispose encore, les kilomètres suivants ne faisant que confirmer la congruence entre l’automobile électrique et le milieu citadin. En un tel contexte, on échange volontiers les montées/descentes de rapports de boîte contre l’impression de vivacité des accélérations procurée par un couple moteur disponible dès le premier tour/minute.
Mais à cruiser exclusivement en ville, je sens bien que je loupe quelque chose. Qu’à cela ne tienne, je me décide sur un coup de tête à tenter l’aventure, en acceptant au vol l’invitation d’amis à les rejoindre dans la banlieue de Chablis. Ça me prend le samedi soir à 21 heures, quand les autorités m’enjoignent par l’intermédiaire de France Info à rester à la maison en raison d’un avis de tempête, et que je dispose de 196 km d’autonomie, pour un parcours de …195 km. Sorti de la capitale, je m’arrête donc sur l’aire des Lisses pour faire le point à l’aide de l’applicatif correspondant à la "carte carburant" qu’on m’a remise avec la voiture, lequel m’indique que je ne suis qu’à 45 km des prochaines bonnes de recharge haute puissance. Autant dire que "je suis bien", puisque la tablette me promet encore 150 kilomètres d’autonomie.
Sauf qu’arrivé à Nemours, il ne m’en reste plus que 37, à l’issue d’un trajet où j’ai véritablement ressenti les premières manifestations de "range anxiety" [1]. A peine entamé, ce parcours décarboné me délivre donc son premier enseignement : une électrique fonctionne à l’inverse de son alter ego thermique, puisque c’est surtout en ville que cette dernière se montre friande de carburant liquide. A l’inverse, à bord d’une VE, c’est sur l’autoroute que l’égrenage des kilomètres restants ne matche plus entre l’ordinateur de bord et le GPS, avec un rapport pouvant aller jusqu’à trois entre les deux, si le conducteur sollicite un peu trop le potentiomètre au pied droit. Afin d’économiser les Kilowatts et de ne pas rester en rade sur la B.A.U [2] , je devrai donc me résoudre à ne pas dépasser les 110 km/h sur une bonne partie du voyage. C’est Madame H qui va être contente.
Mais loin de ces considérations, je suis pour l’heure occupé à converser avec un quatuor de bornes Ionity, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne se montrent pas des plus accueillantes. Tapie dans un coin isolé de parking, dépourvue de l’auvent qui aurait pu me protéger des intempéries, l’une d’entre elles me dispense des instructions dont la clarté est loin de valoir celle de l’écran LCD qui les affiche, et qui fournit donc l’essentiel de l’éclairage de l’installation. Un quart d’heure et un coup de fil inutile plus tard au prestataire de la carte carburant dont le correspondant n’a probablement jamais vu une borne pour de vrai, j’arrive finalement à me faire comprendre de la machine, non sans avoir effectué une manœuvre rendue indispensable par un câble trop court. La lumière bleue salvatrice confirmant la mise en charge apparaît enfin, alors que la borne se met à ronronner bruyamment de ses 350 kW. Je file donc au magasin de la station pas-service me protéger, et avaler un jambon-emmental-pain-mou sous blister.
Je n’ai sans doute jamais mastiqué un sandwich avec autant d’application. Mais il me faut encore y ajouter un bout de tarte aux pommes et une séance de postage sur Facebook pour "tuer" la demi-heure me paraissant constituer un délai raisonnable pour aller voir ce qui se passe. J’ai l’agréable surprise de retrouver les batteries chargées à 80%, mais échaudé par la courte expérience autoroutière que je viens de vivre et me rappelant qu’il me faudra bien rentrer à Paris, je décide de rester encore un peu, histoire de charger à fond. Un coup de fil au Brésil pour raconter ma vie à un ami, et je repars à 98%, au grand soulagement de mon infortuné interlocuteur.
Cette fois, je prends mon mal en patience calé au régulateur, avant de profiter de la jolie récompense que m’offrent les petites routes désertes succédant à l’autoroute en fin de parcours, entre de nombreux virolets, un lièvre de belle taille traversant soudainement devant moi et un gracile Bambi qui me gratifie d’un regard étonné avant de détaler. M’aurait-il été permis d’approcher les jolis animaux de la forêt si j’avais roulé en vibrant Diesel ?
Le lendemain, en homme-prévenu-qui-en-vaut-deux, je planifie soigneusement mon retour grâce à l’application qui m’indique la présence pour le moins surprenante de deux bornes de puissance respectable dans une commune d’à peine 4.000 habitants. Sûrement, personne n’aurait l’idée saugrenue d’y recharger un dimanche après-midi ? Raté, puisqu’en arrivant, j’y trouve une Zoé et une Leaf effectuant leur cure d’électrons. Heureusement pour moi, le propriétaire de la japonaise s’en va bientôt, libérant le câble de la borne de 50 kw à celui de la Renault qui me refile celui de la voisine de 43 kw.
Sauf qu’un certain nombre d’entre eux manque visiblement à l’appel, puisqu’après 15 minutes, je n’ai récupéré que 2% de charge. Je me décide donc à reprendre le jeu des 44.000 bornes -leur nombre en France- même si une seule d’entre elles fonctionnant correctement me suffirait amplement. C’est à nouveau sur une aire d’autoroute que je la trouve, où je suis cette fois seul à m’installer sur l’aire réservée aux VE. Et l’heure et demie de charge que m’annonce l’ordinateur de bord me laisse tout le loisir de méditer le deuxième enseignement de ce qui est en train de devenir un véritable périple.
La puissance, c’est important. Selon le nombre de kilowatts délivrés par la borne ou la prise sur laquelle se connecte un VE, le temps de charge pourra varier d’une quarantaine de minutes à une trentaine d’heures. Toutes proportions gardées, c’est comme si pour ravitailler votre thermique, vous disposiez au choix (ou pas) de pompes types Formule 1 de la grande époque quand on ravitaillait en course, ou d’autres distribuant le précieux liquide au compte-gouttes, au moyen d’une paille.
Evidemment, le prix n’est pas le même non plus, puisqu’il vous faudra débourser entre 25 et 30 euros pour récupérer environ 200 km d’autonomie réelle sur autoroute et … zéro dans une petite commune de l’Yonne qui met à disposition ses bornes gratuitement. Voilà donc expliqué le mystère des fréquentations respectives des lieux visités ce jour-là. Mais pas celui qui pousse le conseil municipal d’une municipalité rurale à offrir le "plein" de son véhicule au citoyen de passage qui n’hésitera pas à sortir de l’autoroute pour bénéficier de sa générosité énergétique.
Après avoir accompli le trajet Auxerre Paris en un temps de record de quatre heures, et parce que je suis un type bien, je lave la voiture au jet (même pas peur), et je la laisse pour la nuit sur un parking d’un centre commercial, dûment branchée histoire de la livrer totalement chargée à Florence (la patronne). C’est donc avec la satisfaction du devoir accompli que j’effectue à pied les deux km me séparant du lieu où je loge. Itou le lendemain pour récupérer l’U5, avec …52% de batterie. Pourtant, la borne a bien déclenché lorsque j’ai branché l’auto la veille, mais pour se mettre aussitôt en grève dès que j’ai tourné les talons, puisque je n’ai pas récupéré le moindre pourcent de charge. Après avoir cherché une borne à Boulogne-Billancourt que je n’ai jamais trouvée, puis découvert que celles se situant dans le parking de l’Hôtel de ville était réservées aux voitures … de l’Hôtel de ville, j’ai dû me résigner à rentre honteusement l’auto avec une quarantaine de pourcents de charge.
A me relire avant d’attaquer la suite, j’en conclus de façon lapidaire que l’Aiways U5 constitue donc une excellente voiture en ville, et beaucoup moins sur autoroute. Mais autant le dire tout de suite, dans les deux cas, elle n’y est pour rien. Parce qu’en authentique néophyte pas encore prosélyte de la voiture électrique, j’aurais sans doute écrit exactement la même chose de n’importe laquelle d’entre elles, avec laquelle j’aurais sans doute vécu une expérience très similaire. Venons-en alors au troisième enseignement de cet essai : l’U5 est une vraie voiture.
Et oui. Pas une imitation de voiture, ni l’imitation ou même la caricature d’une autre voiture comme certains modèles chinois principalement entrevus dans les pages de magazines spécialisés ont pu nous le faire croire dans un passé pas si ancien. D’ailleurs le design extérieur de l’U5, s’il pourra faire penser à… (en ce qui me concerne, Hyundai à l’avant et Volvo à l’arrière), n’en possède pas moins son style à lui, même s’il ne révolutionnera pas l’histoire de l’automobile. Du coup, on cherche la petite bête à l’intérieur, parce que tout de même, c’est une voiture chinoise, et qu’il faut bien trouver quelque chose. L’absence de boite à gants, "pour libérer de l’espace aux jambes du passager avant" me suggère Nicolas, saute évidemment aux yeux. Mais aussi Ia qualité de certains plastiques qui n’est pas exempte de reproches, comme le revêtement "black piano" de la généreuse console centrale, plus proche du "bon tant pis" que du Steinway, sensible aux rayures et aux traces de doigts.
Mais force est de constater que l’ensemble est tout à fait digne et que l’habitacle offre une habitabilité énorme, particulièrement à l’arrière.
Ne reste donc plus que la partie dynamique pour détecter enfin le défaut rédhibitoire, celui qui nous rassurera définitivement sur le fossé qualitatif séparant encore l’industrie automobile européenne de celle de l’Empire du milieu. Bon, les suspensions sont bien un poil percutantes en trajet urbain, et la motricité fait parfois défaut quand le pied droit se montre un peu lourd, provoquant un "cirage" des roues motrice qui laisse à penser que l’antipatinage ne répond présent que sur la liste des équipements.
En fait, le défaut le plus criant me paraît provenir de l’éclairage indigent en feux de croisement. Heureusement que sur les petites routes désertes de Bourgogne le soir au fond des bois, on a tout le loisir de rester en plein phares pour éclairer les lièvres et Bambi qui traversent.
Bien sûr, il restera à l’acheteur potentiel d’accepter de débourser une quarantaine de millier d’euros pour une voiture sur Internet, ou de l’entretenir dans les ateliers d’une chaine de centre autos. Sans doute lui faudra-t-il aussi éviter de penser à la valeur résiduelle, et s’armer de patience à l’égard de ceux qui demanderont son nom, comme des amis qui le railleront peut-être pour avoir early-adopté une voiture venue de l’Empire Céleste. Quoique. Ce genre de réaction fera sans doute long feu, puisque le message que nous passe clairement l’Aiways U5, c’est qu’en 2021, on peut acheter une voiture tout à fait respectable, d’une marque créée hier à l’autre bout du monde, et que la principale question à laquelle devra véritablement répondre l’éventuel acquéreur, c’est de savoir s’il veut vraiment une voiture électrique.
Parce qu’à bien y réfléchir, l’U5 a beau être chinoise, elle me paraît constituer une voiture plutôt orthodoxe. Ou cathodique, si vous préférez.
[1] Angoisse de l’autonomie
[2] Bande d’Arrêt d’Urgence