06/10/2022 - #Renault , #Alpine , #Bugatti , #Dodge , #Ferrari , #Lamborghini , #Lancia , #Porsche , #Stellantis
Restau à la mod(e)
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle de mes troubles de la personnalité, et de comment ils ont impacté ma perception de l’automobile ancienne. Ou pas.
Pendant 10 ans, j’ai vécu le parfait amour avec une ancienne.
Rien à voir avec une Cougar -pas même une Mercury- mais tout avec une Lancia Fulvia 1600 HF de 1972, de couleur jaune. Et là, les puristes vont forcément tiquer, puisque sauf erreur de ma part (à signaler en commentaire de bas de page), les seuls vrais jaunes disponibles sur le modèle furent le "Giallo Bangkok"à partir de 1973, et le "Giallo maya" de la série limitée Safari construite en 1975 à 900 exemplaires. Quant au "Giallo HF", il s’agit en fait d’un orange que la DDE ne renierait probablement pas, même si ses agents ne sont pas prêts de rouler en Lancia sportive. Quoiqu’il en soit, le propriétaire précédent -qui en avait assuré la restauration- avait préféré puiser dans le nuancier Ferrari que de restituer à la belle le "Marrone Parioli" d’origine.
Nul doute pourtant que sa robe modénoise expliquait en grande partie le succès que ma Lancia remportait à chaque fois que nous sortions ensemble. Elle me valut même d’être reconnu par cette voisine de résidence qui ne me m’avait jamais calculé, le jour où nos automobiles se croisèrent à l’entrée du garage. Et si elle s’exclama alors avec un enthousiasme pour le moins inattendu "j’adore votre voiture", n’attendez aucun déroulement intéressant de cette histoire puisque la "charmante" jeune femme ne m’adressa plus jamais la parole, confirmant ainsi que ce jour-là, c’était bien à Miss Fulvia qu’elle s’adressait à travers moi.
Et pourtant. Figurez-vous que si j’avais dû choisir moi-même la couleur de l’auto, j’aurais sans doute préféré l’origine. Pas forcément le marron très seventies, qui ne rendait néanmoins pas justice à la vocation sportive du modèle, mais au moins une teinte figurant au catalogue constructeur d’alors. Il faut dire qu’à l’époque, je ne jurais que par les configurations d’origine, en dehors des aménagements parfois nécessaires pour qu’une auto un peu âgée puisse affronter les conditions de circulation contemporaines. Après-tout me disais-je pour justifier ces scandaleuses incartades, on ne refuse pas d’installer le gaz, l’électricité ou la fibre dans un bâtiment haussmannien. Mais pour le reste, je n’admettais aucune dérogation. C’est vous dire si j’étais enclin à la psychorigidité.
Mais je me soigne, et je crois bien que bizarrement, ça s’arrange avec l’âge. Tenez, projetons-nous au début des années 2010, quand j’ai découvert en même temps que beaucoup de têtes de pétrole de mon espèce les voitures de Magnus Walker. Un drôle de gars ce Walker, débarqué à 19 ans en Californie de son Yorkshire du sud natal, devenu fashion designer après avoir fréquenté des scènes Punk et Métal dur. Le succès étant venu grâce à la marque de fringues créée avec son épouse, notre homme pu assouvir sa passion pour les Porsche résultant d’une visite au Salon d’Earl’s Court auquel son père l’avait emmené en 1977.
De fil en aiguille -c’est le cas de le dire- le gars qu’on imaginerait plus volontiers sur la selle d’une Fat-Boy que dans le baquet d’une 911 garnit son garage de plusieurs exemplaires des productions de Zuffenhausen, les modifiant de la même façon qu’il customisait quelques années auparavant les premières paires de jeans qui allaient assurer sa renommée. Ce qui valut au tatoué aux cheveux dreadlockés de se retrouver en 2012 dans le documentaire du Canadien Tamir Moscovici intitulé "Urban Outlaw", vidéo qui allait le révéler au monde des passionnés suite à sa diffusion online. Hors-la-loi, ou plutôt hors-règles, comme le traitement que Magnus réserve à ses Porsche anciennes, à mi-chemin entre l’artisanat minutieux et les jouets pour enfants (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si plusieurs d’entre elles ont été dûment hot-wheelées). Et vous savez quoi ? Sans doute contre toute attente, j’adore les Porsche joyeuses de Magnus.
C’est à un autre Briton lui aussi établi à LA qu’on doit Singer. Une raison sociale qui fait non seulement allusion au passé de vocaliste d’un groupe de rock de son fondateur, mais qui constitue aussi une forme d’hommage au Norbert homonyme. Les amateurs de Porsche (tiens donc) auront reconnu l’ingénieur à qui la marque doit à peu près toutes les modèles qui ont participé -avec un succès certain- aux 24 heures du Mans pendant des années. Plus exclusif que Magnus, c’est uniquement sur les 911 que Rob Dickinson exerce son talent, plus précisément des 964 représentant la troisième génération du modèle, qu’il reconstruit entièrement en faisant appel aux technologies les plus modernes, tout en leur restituant un look classique que seules les ampoules bi-Led habilement logées dans les optiques avant trahissent. Et vous savez quoi ? Si j’avais les moyens de mes envies, je me rendrais aussitôt dans la cité des anges faire le pied de grue devant la porte de Rob afin de commander l’une de ces sublimes créations. Chacune d’entre elles incarne une forme de perfection, fruit du perfectionnisme de leur créateur qui prit très au sérieux la remarque en forme de plaisanterie d’un journaliste lui ayant fait remarquer que le pictogramme du voyant d’alerte moteur -celui qui ne s’allumera jamais que lors de la mise en contact- ne représentait pas la silhouette de la mécanique maison.
Attendez… L’indécrottable défenseur de l’origine, le pourfendeur des modifications apocryphes que je croyais être, aurait-il succombé aux attraits du "Restomod", cette tendance consistant à restaurer des voitures surannées en recourant aux techniques et matériaux modernes afin de leur offrir des performances et un look updatés ? Un mouvement né aux Etats-Unis il y a déjà plusieurs décennies, mais qui connaît depuis quelques années un engouement sans pareil, lequel ne manque pas de tester mon degré de résistance au changement. Et je dois bien avouer à ce sujet que je ne suis toujours pas fan des roues modernes surdimensionnées dont certains chaussent leur ancienne, pas plus que de "swap" quand une profusion de plastiques et autres matériaux contemporains s’installent dans le compartiment moteur d’une auto de l’âge de fer. Et pourtant, comment résister à certaines réalisations, même quand on supposé être inflexible ?
Tenez, prenez la Lancia Aurelia B20 GT réalisée par Thornley Kelham, une entreprise sise dans le Gloucestershire, qui martèle habituellement les carrosseries les plus prestigieuses que l’on puisse imaginer (pensez Bugatti 35 ou Lamborghini Miura) dont les propriétaires ne sont pas exactement du genre à rigoler avec l’authenticité. Sans doute leur a-t-il fallu un certain courage pour oser s’attaquer à une auto produite à seulement 3.871 exemplaires, qu’ils ont pourtant remotorisée avec une mécanique de Flaminia, alors que la carrosserie subissait les affres des chopping, dropping et dechroming, habituellement réservées aux victimes du tuning. Et pourtant, le résultat est tout simplement sublime, inspiré d’un modèle semblable qui disputa Le Mans, les Mille Miglia et la Carrera Panamericana aux mains de Giovanni Bracco, et que la compagnie a également restaurée. Et vous savez quoi ? il ne me viendrait pas à l’idée de leur reprocher d’avoir "sacrifié" trois autres B20 GT pour le plaisir de clients aussi privilégiés que fortunés. En fait, je voudrais tout simplement être l’un d’entre eux.
Pour les amateurs de circuit court et de production locale, il y a aussi le coupé Citroën DS "Grand Palais", qui réussit de mon point de vue l’exploit d’être encore plus élégant encore que les versions "Le Dandy" ou "Concorde" réalisées à l’époque par Chapron. Il faut dire que c’est Gérard Godfroy, père -entre autres- de l’Alpine GTA et de toutes les Venturi qui en a signé le dessin. Rien d’étonnant dès lors que l’engouement suscité par l’auto lors de sa première apparition au Salon Rétromobile de 2019 ait débouché sur la production de quelques exemplaires devant être réalisé à l’identique par la Société "Automotive" située au Mans. Et vous savez quoi ? Si je découvrais 150.000 euros oubliés dans un tiroir, c’est sans doute là que je me rendrais pour passer commande.
Je pourrais encore évoquer la Lancia 037 Stradale revisitée par Kimera Automobili, ou "Hellucination", la Dodge Charger à carrosserie full carbone mue par un V8 de 1.000 HP, développée pour son usage personnel par le patron du design de Stellantis, et que j’ai vue il y a quelques semaines lors d’une session de cruisin à Detroit. Mais je crois que vous avez saisi l’idée. Avant d’agrandir davantage ma collection virtuelle de ces automobiles resto-modifiées mais de bon aloi, il me faut en effet m’interroger sur les raisons qui poussent leurs acquéreurs à les préférer à des autos plus modernes. La nostalgie d’une époque qu’on a ou pas connue paraît constituer une réponse évidente, mais s’agit-il de la seule ? Dans le contexte d’une offre constructeur qui se raréfie dans le segment des voitures "plaisir", ou de modèles aux performances inexploitables sur route ouverte, ces voitures-là n’offrent-elles pas un caractère plus "vivant" et plus ancré dans la réalité, tout en offrant la fiabilité et le confort d’utilisation attendus d’une moderne ?
La dernière création de Renault pourrait cependant bien me contredire. Je veux bien sûr parler de la R5 Turbo 3 E, ou quand le Restomod se fait show car. Enfin, pas une vraie Restomod, puisque sauf erreur de ma part, aucune caisse de Renault 5 Turbo originale n’a été sacrifiée dans cette affaire. Il n’empêche que cette recréation s’en inspire et nous surprend, à commencer par son appellation qui semble officialiser l’utilisation du R pour désigner les modèles "numérotés" de la marque -relevant jusqu’ici de l’usage populaire- mais aussi parce mue aux neutrons, elle n’en conserve pas moins l’appellation Turbo.
Et vous savez quoi ? Je vous dirai si elle m’a plu après le Mondial de l’Auto où elle sera exposée. Mais je peux déjà avancer que si sa masse -qui m’évoque d’avantage les versions IMSA de compétition que la voiture de série- me séduit, j’ai plus de mal avec les graphismes inspirés -dixit le communiqué de presse- des jeux vidéo des années 80 et 90. Quant à son "double numérique" qui "évoluera dans des univers de jeux virtuels issus du Web", l’Internet décentralisé où les services et les plateformes en ligne "utilisent un modèle basé sur les blockchains" ou la collection de NFT (Non Fungible Token) qui lui est associée, mon esprit sans doute un peu obtus se demande s’ils ne s’adressent pas à un public un peu restreint, et pas nécessairement acheteur de voitures neuves.
Au fait, en googlant "Fulvia jaune" pour préparer cette chronique, je suis retombé sur mon ex. Et je me suis aperçu que son propriétaire -le même qui me l’a achetée il y a une quinzaine d’années- a profité d’une nouvelle restauration devenue nécessaire après un usage intensif, pour lui restituer une teinte d’origine. Pas le marron, mais l’orange "Jaune HF", sans doute celle que j’aurais moi aussi choisie.
Finalement, je ne suis peut-être pas si psychorigide que ça. Ou alors, on est plusieurs.