09/04/2021 - #Renault , #Peugeot
Oui, je fais des rêves immoraux
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, on prend de la hauteur en évoquant ces merveilleux fous volants et leurs drôles de machines. Ou du moins on essaye. Parce j’en connais certaine qui essaye de nous empêcher de rêver en rond…
J’ai un truc à avouer à Léonore de Poitiers : je fais des rêves immoraux.
Des rêves de la pire espèce, du genre carboné. Des rêves avec des bagnoles. Une coupable addiction pour laquelle je n’ai même pas d’excuse, puisque personne n’aimait les voitures dans mon entourage familial proche. A moins qu’il ne s’agisse d’une résurgence atavique, du côté de l’arrière-grand-père qui roulait en Amilcar et que je suis bien triste de n’avoir pas connu, ou de l’aïeul dont j’ai entendu dire qu’il vendait “les voitures du Tsar de Russie", autrement dit des Delaunay-Belleville.
Et puis il y a Léon Théry, à propos duquel je maintiens l’espoir ténu de quelque origine commune. L’homme fut élevé au rang de héros national à deux reprises pour avoir remporté la Coupe Gordon-Bennett en 1904 et 1905 sur le Circuit d’Auvergne, au nez et à la barbe des Allemands en Mercedes, qui ne purent que constater la supériorité de sa Brasier-Darracq
Bon, je ne suis pas sûr que ça lui parle beaucoup à Léonore, la Coupe Gordon-Bennett. Ou plutôt les Coupes, puisqu’après l’épreuve routière, le milliardaire éponyme à la tête du New York Herald en inventa deux autres, cette fois-ci dans les airs. Réexhumé du passé depuis 1979, le concours de ballon libre existe toujours, alors que le Trophée d’aviation fut disputé de 1909 à 1913 avant une dernière édition en 1920. Il faut dire que dans les premières décennies du 20e siècle, l’automobile n’était jamais très loin de l’avion, et inversement.
Tenez, par exemple, Léonore a-t-elle entendu parler de Gabriel Voisin ? Un sacré gaillard celui-là, qui après s’être essayé à la troisième dimension au-dessus de la Seine avec un planeur remorqué par un bateau, livra son premier avion dès 1907, avant d’en fournir quelques années plus tard des palanquées à l’armée française, qui en consomma un certain nombre lors de la Grande Guerre. Le Traité de Versailles signé, celui-ci se reconvertit dans l’automobile de luxe avec des modèles aux inspirations Art Déco, qui affichait fièrement sur leur haut de calandre le logo “Avions Voisin“, nom choisi par dérision envers un microcosme dont Monsieur Voisin considérait qu’il avait sombré dans le snobisme.
Bon, passe encore pour Gabriel, mais ne me dites pas que Léonore n’a jamais entendu parler d’Alberto Santos-Dumont ! Celui que les Brésiliens surnomment fièrement “le père de l’aviation“ était au début du XXe siècle la coqueluche des habitants de la ville des lumières, qu’il survolait régulièrement à bord de son dirigeable, avant de faire décoller son célèbre 14bis dans les jardins de Bagatelle, puis de mettre à disposition de qui le souhaitait les plans de sa “Demoiselle“, contribuant ainsi de façon décisive au développement de l’aviation. Mais Alberto aimait aussi les voitures, à Paris où sa Renault tractait sur une remorque ses aéroplanes aux ailes repliées, alors que la Peugeot qu’il emmena dans ses bagages fut la première automobile à poser ses roues au Brésil
Je pourrais encore vous parler de la Bayerische Motoren Werke, qui fabriqua des avions avant les voitures, de Saab, qui fabrique encore des avions mais plus de voiture, ou de Bristol qui ne fabrique plus rien du tout. Parce que les amateurs d’automobile sont rarement insensibles aux machines volantes et inversement. Il m’est ainsi arrivé d’aller au Bourget quand celui-ci tenait salon, ou aux meeting de la Ferté-Allais. Et parmi les centaines de boites d’automobiles en plastique à monter que j’ai accumulées se trouvent aussi quelques trucs avec des ailes.
Mais tout ça, c’est mal. Et c’est Léonore qui nous le dit.
Enfin, elle l’a surtout dit aux responsables des deux aéro-clubs locaux à qui elle a décidé de couper les subventions jusqu’ici versées par la municipalité, leur expliquant laconiquement par courrier que "la ville de Poitiers ne compte pas soutenir le sport motorisé". Mais sans doute n’en n’aurions-nous pas entendu parler si elle n’avait déclaré quelques jours plus tard lors d’une séance du Conseil Municipal, que "l’aérien ne doit plus faire partie des rêves d’enfant", ajoutant encore que "c’est protéger leur avenir que de prendre ce type de décisions".
Et là, je lui tire mon chapeau à Léonore. Parce qu’à côté, ses camarades de jeu qui prétendent mettre fin au sapin de Noël, retirer le steak haché des assiettes à la cantoche, ou même confisquer leurs petites voitures aux mômes (comme je l’ai évoqué il y a quelques temps dans "Crétinerie à grande échelle") sont de joyeux amateurs. Avec Léonore, on fait dans la lobotomie collective, le lavage de cerveau à grande échelle, quelque part entre 1984, Fahrenheit 451 et la Corée du Nord. J’espère d’ailleurs pour son égo que Kim-Jong-Um n’aura pas vent des projets de la Dame de Poitiers, non seulement parce que "Rocketman" a un certain penchant pour les trucs qui volent, mais surtout parce que s’il découvre que la première magistrate d’une petite ville de l’Ouest de la France a des idées beaucoup plus ambitieuses que les siennes en matière de contrôle de la pensée, je ne réponds pas de sa réaction. Avec seulement 9.055 km à vol d’oiseau entre la préfecture de la Vienne et Pyong Yang, on n’est pas à l’abri d’un missile balistique.
Bon évidemment, la mise en œuvre d’un tel programme risque de représenter un investissement infiniment supérieur aux quelques milliers d’euros que ne recevront pas les aéro-clubs de Poitiers, avec à la clef, une sacrée séance de réécriture historique. C’est que faire oublier le rêve séculaire de l’homme incarné par Icare, et à peine exaucé il y a un peu plus de 100 ans ne va pas être simple. Mais en se retroussant les manches, il doit être possible d’effacer les Gabriel Voisin, Louis Blériot et autres Santos-Dumont, ou de présenter Mermoz et Saint-Exupéry comme de grands pollueurs ayant emmené l’humanité sur le chemin de sa destruction. Le Petit Prince sera prié de s’en tenir à son mouton, et se souviendra à peine de Léonard de Vinci comme le peintre de la Joconde, ce drôle de portrait visible online parce qu’on ne va tout de même pas émettre du CO2 pour aller voir un tableau sur un mur. Je vous laisse imaginer la suite.
Je me demande tout de même comment on en est arrivé là. Ou je suis complètement à côté de la plaque, ou la majorité des poitevins ne souhaitent décemment pas qu’on empêche nos petits gars de regarder vers le ciel, voire de voler s’agissant de ceux atteints de handicap auxquels l’association "Chevaliers du ciel" permet d’effectuer un baptême de l’air. Et la réponse se trouve sans doute dans la journée du 28 juin dernier, lorsque s’est déroulé le deuxième tour des élections municipales qui a permis à la liste emmenée par Léonore Moncond’huy d’être élue par 5.995 voix, soit à peine 13,7% des inscrits. Entendons-nous bien : loin de moi l’idée de remettre en doute la légitimité de la maire de Poitiers. La règle du jeu est connue et n’est certainement pas contestable.
En revanche, il semble regrettable que 2/3 des inscrits aient justement choisi de ne pas prendre part à la partie qui s’est déroulée ce jour-là. Parce que ceux qui s’élèvent avec véhémence contre les mesures qu’on nous impose au nom de l’environnement sont souvent les mêmes qui ont volontairement omis de glisser leur bulletin dans l’urne. Or, à force de jouer les mécontents et de réserver son vote au candidat providentiel avec qui on serait en accord sur absolument tout, on fait le jeu des minorités agissantes. Parce que ne doutez pas un seul instant qu’un certain nombre de candidats récemment élus dans nos communes ou au parlement européen au nom de l’environnement ont su mobiliser leur militants pendant que les abstentionnistes boudaient.
Quoiqu’il en soit, c’est parmi les rêveur d’aujourd’hui que se recruteront les ingénieurs de demain. Ceux qui nous permettront de continuer à rouler ou voler avec un impact de plus en plus limité sur notre environnement.
Et à bien y réfléchir, je me dis que ce n’est pas de leur côté que se situe l’immoralité.
PS : Une pensée pour Patrick Juvet, à qui j’ai emprunté le titre de cette chronique, qui nous a quittés le 3 avril dernier.
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