27/05/2021 - #Buick , #Chrysler , #Dodge , #Hyundai , #Honda , #Kia , #Mazda , #Nissan , #Opel , #Ford , #Chevrolet , #Toyota
Old new world
Par Jean-Philippe Thery
C’est d’une catégorie d’automobiles à l’étymologie inspirée d’un mode de transport totalement obsolète dont il est aujourd’hui question. Avant sans doute qu’elle ne soit elle-même dépassée.
Les dignitaires de l’Egypte Antique ou de la Dynastie Han en Chine se faisaient volontiers transporter à bras d’hommes, lorsqu’ils apparaissaient en public. Et si l’on en croit Abraracourcix trimballant sa surcharge pondérale bedonnante sur un bouclier soutenu par deux gaillards shootés à la potion magique, les chefs gaulois aussi. Certes, la rigueur historique oblige à reconnaître que cette coutume fut introduite trois ou quatre siècles plus tard par les Francs, mais peu importe. Ce qui en ressort, c’est que les puissants de ces mondes-là avaient déjà recours à la force musculaire de plébéiens congénères pour assurer leur mobilité individuelle.
Mais en ces temps-là, il s’agissait surtout de défiler à l’occasion de cérémonies ou autres processions religieuses. Rien à voir donc avec l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles qui en avait érigé le principe en véritable moyen de locomotion urbain, grâce aux chaises à porteurs. Du moins pour ceux qui, suffisamment bien nés, disposaient des ressources leur permettant de protéger leur perruque des intempéries et leurs délicats souliers des boues citadines enrichies aux déjections équines.
Rapporté des Indes et d’Amérique Latine par les conquistadores, l’idée transita d’abord par l’Espagne, avant des gagner les villes du Vieux Continent. Il y en eu donc bientôt de toutes sortes, du palanquin d’inspiration asiatique, aux vinaigrettes pourvues de roue et d’une suspension rustique, en passant par de luxueux modèles qu’on décorait des armoiries de leur propriétaire, ou celles qu’on louait pour six pences le trajet dans les rues étroites de Londres. Et c’est justement outre-Manche, qu’on les désigna comme "sedans".
J’ai longtemps cru qu’appliqué à l’automobile, le vocable était apparu dans les Ardennes. Quoi de plus logique après tout, dans un univers où la berline vient de Berlin et la Limousine du Limousin qu’un sedan trouve son origine dans la ville du même nom ? Eh bien c’est raté, puisque Sedan n’est en l’espèce pas éponyme, et que les voitures ainsi désignées possèdent en fait une parenté étymologique avec les fameuses chaises mobiles. Ces dernières doivent leur appellation à un dialecte du sud de l’Italie, puisqu’elles arrivaient semble-t-il de Naples, où sede signifiait alors "chaise", mot lui-même issu du verbe latin sedere, autrement dit "s’assoir". Mais l’ironie veut qu’après l‘avoir inventé, les Anglais ont abandonné l’usage du mot aux Américains (au sens large, de l’Alaska à la Terre de feu), ainsi qu’aux Australiens, lui préférant le terme de saloon pour leurs propres voitures.
Le premier usage répertorié de sedan dans le vocabulaire automobile remonte à 1912, quand il fut employé pour vanter les mérites des modèles Four et Six alors construits par Studebaker, dont les carrosseries ne ressemblaient d’ailleurs en rien à l’idée qu’on se fait du concept de nos jours. A l’origine, un Sedan c’est une berline, autrement dit une "conduite intérieure" (donc une voiture fermée), pourvue de quatre portes latérales et autant de glaces. Mais allez savoir pourquoi, le mot s’est spécialisé dans le temps pour ne plus désigner que les berlines dites "tricorps", autrement dit celles dont la silhouette affiche trois volumes distincts pour le moteur, l’habitacle et le coffre à bagages. On parle encore de notchback, c’est-à-dire "encoche", par référence au dessin en créneau de l’arrière vu de profil, et par opposition au Hatchback dont la poupe emmène un hayon, c’est à dire une porte.
L’automobile n’est pas née sedan, mais découverte. Et même après avoir adopté un toit en dur, il lui fallut encore se faire la malle en l’intégrant pour devenir enfin tricorps, privant au passage Vuitton et consorts d’une partie de leurs revenus. Quoiqu’il en soit ce type de silhouette devint l’archétype de l’automobile, comme en témoignent les dessins d’enfants d’antan à qui on demandait "s’il te plaît, dessine-moi une voiture", et qui ne manquaient alors jamais de crayonner une berline en trois volumes. Je mets tout ça au passé, parce qu’il est probable que de nos jours, le chef d’œuvre de votre rejeton ressemble plutôt à une boîte sur roues, avec tous les SUVs qu’on a.
C’est en lisant l’édition du joli mois de mai de MotorTrend que m’est venue l’idée de cette chronique. Le célèbre magazine américain y fait sa couv sur un comparatif opposant 7 sedans mid-size en titrant : "Vous détestez les SUVS ? Les Américains achètent encore un million de sedans familiaux par an." Un titre qui paraît rétrospectivement bien optimiste en découvrant le contenu du reportage, où l’on apprend que des modèles de la catégorie, seule la Toyota Camry figure dans le Top10 des autos les plus vendues dans le pays, très exactement en 6e position, avec tout de même 294.350 unités. Et c’est à la 17e place du classement qu’il faut descendre pour trouver trace de sa deuxième représentante, l’Accord et ses 199.460 bons de commande (sérieusement Honda, le push de fin d’année n’a pas permis d’en vendre 540 de plus ?).
Or, si la domination des pick-up (pas très loin des deux millions d’unités pour les trois modèles monopolisant le podium) et autres SUVs ne constitue pas une nouveauté, on mesure tout de même la perte d’influence des voitures basses à constater qu’il y a à peine 10 ans, 4 d’entre elles figuraient encore dans les dix premières. Pour revenir à notre essai, aux Camry et Accord qui ont bien sûr été conviés à la party, sont comparées les Hyundai Sonata, Kia K5, Mazda 6, Nissan Altima et Subaru Legacy.
Attendez, il n’y pas un truc qui vous choque là ?
Pas une seule représentante de l’industrie nationale ! Chevrolet devait bien avoir une Malibu prenant la poussière dans son parc presse, mais il se trouve que la neuvième du nom ne sera pas renouvelée après le Model Year 2023 (soit l’année prochaine). Quant à la Buick Regal, sa cousine germaine puisqu’elle était fabriqué sur les chaînes de Rüsselsheim aux côtés de l’Opel Insignia qui faisait aussi partie de la famille, elle a rendu le tablier avant terme, les derniers exemplaires en ayant été livrés l’année dernière. Pas mieux chez Ford qui a d’ores et déjà annoncé la fin programmée des Fusion et Mondeo et autres voitures basses, pour se consacrer entièrement aux trucks, autrement dit pick-up et SUVs. Et pour ce qui est de Chrysler, la marque au pentastar n’a même pas laissé à sa 200 l’opportunité d’aller au bout de son cycle produit, la sacrifiant au bout de 3 ans à peine.
Reste Dodge, dont la Charger possède les mensurations adéquates, mais qui joue clairement dans une autre catégorie avec ses motorisations démoniaques affichant jusqu’à 808 ch dans sa version SRT Hellcat Redeye. Comme on a dit Family sedan, pas muscle-car, il nous faudra donc composer avec des modèles d’origine asiatique. Quoique, la nationalité des voitures est une notion devenue toute relative à l’heure où la pénurie de composants électroniques venus de Chine sévit partout sur la planète. Surtout qu’à part la Mazda 6, toutes les voitures mentionnées sont industrialisées localement, histoire de préserver l’emploi sur les terres de l’Oncle Sam. Voilà qui nous rappelle à certains égards les commentaires récents sur une Yaris fabriquée à Valenciennes, alors que Clio et 208 nous sont acheminées depuis la Turquie et la Slovaquie.
Si vous ne lisez pas régulièrement la presse spécialisée américaine (vous devriez, c’est une façon très sympa de maintenir son niveau d’english) les noms jusqu’ici mentionnés vous causeront sans doute plus ou moins, puisque les modèles en question ne sont pas légion dans nos contrées. Pour apercevoir une Camry, mieux vaut par exemple trainer du côté de Vaucresson où Toyota France tient son siège. Et encore, pas sûr que vous la remarquiez. A l’inverse, vous ne manqueriez pas de repérer une Mazda 6 si elle s’arrêtait à côté de vous au feu, tant celle-ci se montre encore élégante après huit ans d’existence. Gageons que la prochaine, dont l’annonce pour 2022 a pris tout le monde par surprise, sera aussi jolie, d’autant plus qu’elle sera pourvue d’un V6.
Pour les autres, vous repasserez, à moins de faire un peu d’archéologie. Il n’est certes pas besoin de remonter si loin s’agissant de l’Accord, à laquelle Honda a mis fin en 2018 en Europe. On ne pourra d’ailleurs pas accuser la marque de n’avoir pas essayé, puisque les Japonais sont allés jusqu’à la fabriquer dans l’UE, à l’époque où les grands Bretons en faisaient encore partie. Disponible depuis la 4e génération en 1998, la Hyundai Sonata a terminé son tour européen comme I40 avant de tirer sa révérence, alors que la Kia K5 est en fait une Optima que nous avons également connue durant 10 ans comme Magentis. Quant à la Subaru Legacy, elle ne parlera guère qu’aux amateurs de rallye du début des années 90, qui devaient bien être les seuls à reconnaitre dans la rue celle qui fut vendue chez nous jusqu’à l’extinction de la 4e génération en 2009, tant le dessin de l’engin était discret.
Vous l’avez donc compris, ces sedan-là se tiennent bien loin de la Meuse, et sont plutôt réservés au marché US, du moins tant qu’ils n’auront pas définitivement disparu. Enfin, si comme moi, vous appréciez le charme discret d’une certaine expression classique et -n’ayant pas peur du mot- bourgeoise de l’automobile, alors ne boudons pas notre plaisir, et penchons-nous plutôt sur la fiche des specs, particulièrement à la ligne drivetrain, qui témoigne d’une espèce de querelle des anciens et des modernes. Malgré la disponibilité d’une version hybride, la Camry représente indubitablement le côté "old school", avec son moteur 4 cylindres 2,5 litres atmosphérique développant 188 ch. Deux litre cinq ! Je connais un ministre de l’économie qu’un tel chiffre ferait s’étrangler, lui qui se fendait fin 2019 d’une charge à l’encontre des "grosses cylindrées" dans un pays où à peine 4% des voitures vendues neuves dépassent les deux litres. Et Toyota n’est pas la seule, puisque Nissan et Subaru proposent également des mécaniques de ce gabarit.
Mais que dirait notre Bruno national à l’évocation du V6 3.5 que Toyota est encore le seul constructeur à offrir dans le segment, et de ses 300 généreux chevaux pris en charge par une boîte automatique 8 rapports ? Pourtant, presque tous les modèles de la catégorie en proposaient un il y a à peine quelques années, y compris Honda qui a opéré un sérieux changement d’école de pensée en la matière, au passage de la 9e à la 10e génération de l’Accord.
Si l’itération antérieure disposait encore de blocs 2.0, 2.4 et V6 3.5, la nouvelle s’affiche aujourd’hui avec le plus petit berlingot de la catégorie, "cubant" 1.5l, mais développant tout de même 192 ch par la magie du turbocompresseur. Quant à la motorisation "haute", elle se contente de 2.0 (mais suralimentés), là où démarrait l’ancienne gamme. Parmi les disciples de la Honda, on compte les coréennes avec leur 1.6 de 180 ch pour la Kia, et 201 pour la Hyundai, qui a droit à l’injection directe.
Au-delà du conflit générationnel, on remarque aussi la diversité des solutions proposées, avec des blocs de « forte » cylindrée et ceux passés au downsizing, atmo ou turbo, hybridés ou pas (encore), bénéficiant ou non de l’injection directe d’essence. On fait même dans le bizarre avec le moteur boxer de la Subaru, et celui à cylindrée variable de Nissan, délivrant 236 ch en collaboration avec un turbo et une injection directe. Voilà qui nous change des sempiternels comparatifs de petits 3 cylindres turbo, même si ça pourrait ne pas durer.
Signe des temps, ce ne sont en effet plus les sedans qui font l’actualité, mais le F150 Lightning. Et pour une fois, reconnaissons que le recyclage d’une appellation thermique au profit d’un électrique se révèle particulièrement judicieux. Modèle le plus vendu aux Etats-Unis avec pas moins de 787.500 exemplaires en 2020 (malgré une baisse de 12% par rapport à l’année antérieure), le pick-up full size préféré des Américains depuis 44 ans passe donc à l’alimentation au jus de batteries, qui ne seront pas de trop pour énergiser les deux moteurs totalisant 426 ou 653 ch (suivant la version). Bon, pas sûr que je fasse confiance au bestiau pour aller taquiner le saumon en pleine nature loin de toute borne de recharge, malgré ses jusqu’à 300 miles d’autonomie.
Mais je caricature, et il y a fort à parier que rares sont les pick-up qui jouent véritablement les aventuriers. Bertrand Rakoto, envoyé permanent d’Autoactu,com à Detroit, vous expliquera d’ailleurs que le F150 -y compris thermique- constitue une excellente familiale pour emmener les petits à l’école, plus selon lui que sa Charger qu’il juge un peu étriquée pour cet usage, malgré ses 198,4 inches de longueur (5,04 m). Moi je crois surtout que Bertrand est à jamais perdu pour la mère-patrie.
Au fait, c’est l’Accord qui a gagné le comparatif de MotorTrend. Eh oui, celle avec le petit moteur, qui n’a d’ailleurs pas été pour rien dans le classement final.
Tout n’est décidément plus comme avant dans ce bon vieux nouveau monde.