12/11/2020 - #Renault , #Tesla , #Alpine , #Dodge , #Lucid , #Peugeot , #Rivian , #Ford , #Chevrolet , #Gmc , #Toyota
Mes états d’Am
Par Jean-Philippe Thery
A l’heure où je démarre l’écriture de cette chronique, le 46e Président des Etats-Unis d’Amérique aurait semble-t-il été élu, mais ce n’est pas sûr. De toutes façons et parce que c’est d’actualité, ça ne m’empêchera de vous partager mes états d’Am…érique !
La première ricaine que j’ai conduite était une Oldsmobile Aurora 94, grosse berline tricorps au style "omelette-design" très en vogue chez certains constructeurs dans les Nineties. Dans son pays d’origine, on appelle ça un "Sedan", en référence aux anciennes chaises à porteur du même nom, ce dernier dérivant semble-t-il du verbe latin sedere signifiant s’assoir. Rien à voir donc avec la sous-préfecture des Ardennes, contrairement au vocable "berline" qui lui fait bien référence à la ville-état de nos voisins germains.
Sa principale concurrente, la Ford Taurus affichait des lignes encore plus baveuses que l’Aurora, pas même compensées par une motorisation petit-bras, puisque son V6 d’à peine trois litres de cylindrée ne faisait pas le poids face au superbe V8 Northstar 32 soupape de l’Olds développant 250 horses.
250 chevaux, ça paraît bien peu aujourd’hui, mais dans le paysage automobile français de l’époque, seules les confidentielles Alpine A610 et Renault Safrane Biturbo étaient aussi-bien ou mieux-disantes. Quoiqu’il en soit, je n’avais rien conduit de tel jusqu’alors, et la poussée exercée par l’exotique propulseur me donna accès à des sensations nouvelles sur les routes environnant Saclay où j’en pris le volant.
C’est en effet aux limites des Yvelines et de l’Essonne que les sociétaires de la direction du Produit de Renault avaient leurs habitudes d’essayeurs, et c’est donc là qu’ils emmenaient les autos de la concurrence qui transitaient régulièrement par le garage sous-terrain du Quai du Point du Jour, situé sous le siège de l’entreprise au losange.
J’ignore d’ailleurs à quel modèle de la gamme présente ou future du constructeur français l’Aurora était supposée être comparée, mais toujours est-il que j’eu la chance de figurer sur son planning d’essai alors qu’en tant que chargé d’études clientèle, je ne comptais en principe pas aux rangs des conducteurs prioritaires.
Peut-être devais-je cette faveur au tête à queue effectué quelque temps auparavant au volant d’une Peugeot 306 XSi, résultant de la combinaison potentiellement fatale d’un asphalte gras-mouillé et du perfide essieu arrière auto-directionnel équipant le modèle. Dans le sérail à part que constituait la DirProd, ce type de figure de style constituait pour certains la preuve irréfutable d’une passion louable pour la chose automobile, ce qui me valut d’y être accueilli par l’un des chefs de produit avec une poignée de main particulièrement virile, ponctuée d’un retentissant "enfin un mec qui aime les bagnoles aux études de marché !".
La chance qui m’avait permis de ne pas casser la Peugeot avait probablement été interprétée comme le signe d’une expertise au volant dont je savais pertinemment être dépourvu, ce que je me gardais néanmoins bien de commenter.
C’est donc avec circonspection que j’abordais la grosse Olds, dont je ne me risquai pas à solliciter pleinement les ressources tant que ses roues n’étaient pas parfaitement alignées, non seulement parce que j’avais aucune intention de renouveler les exploits vécus avec la 306, mais aussi parce qu’elle n’en possédait évidemment pas la vocation sportive. En dehors des plaisirs accélératifs fournis par la motorisation, je goûtais néanmoins avec délice aux vocalises caractéristiques des V8 nord-américains aspirant les pétrodollars avec un glougloutement gourmand. Mais ce qui m’a véritablement impressionné, c’est que l’Oldsmobile Aurora reste à ce jour la seule voiture que j’ai connue qui déjaugeait comme un hors-bord à l’accélération, lorsqu’une pression déterminée sur la pédale d’accélérateur envoyait d’un seul coup les 383 Nm de couple aux roues motrices.
En conséquence, ma courte prise en main se solda par la conviction que le véhicule dont elle se rapprochait le plus par le comportement était le Cris-Craft derrière lequel j’avais connu les émotions les plus significatives de ma très brève carrière sur skis nautiques, non pas au large de Miami, mais quelque part au-dessus de Villefranche (sur Saône évidemment). Le verdict accompagnant la restitution des clefs fit donc appel au cliché bien connu selon lequel "une américaine, c’est essentiellement fait pour accélérer en ligne droite", même si je suis bien obligé d’avouer aujourd’hui qu’il s’alimentait principalement d’un biais cognitif de confirmation plutôt que d’une véritable analyse de son comportement.
De fait, j’ai longtemps considéré les productions d’outre-Atlantique avec une condescendance tout européenne, dont je dois bien admettre qu’elle cachait mal un manque de culture à leur endroit, faille peu glorieuse à la réputation d’expert ès-automobiles que me prêtaient des amis qui n’y connaissaient rien.
Aujourd’hui encore, je reste admiratif devant les vrais "sachants" du sujet, capables d’énoncer sans faillir les marques, noms, années millésimes et autres codes options des bagnoles yankees. Mais si mes connaissances en ce qui les concerne restent encore très largement insuffisantes, mon goût à l’égard des autos d’Uncle Sam a nettement évolué. En fait, elles m’intéressent de plus en plus.
Je n’ai donc pas manqué de louer une Ford Mustang GT Convertible lors d’un bref passage à Los Angeles il y a quelques années, dont j’ai baladé les 420 chevaux sur Hollywood Boulevard et autres avenues de la cité dans anges. Cette courte expérience m’a d’ailleurs valu une des plus grandes frustrations que j’ai connues au commandes d’une auto quand le soir venu, le GPS pourtant dûment programmé fut incapable de m’emmener jusqu’à "Mulholland Drive", en raison de multiples travaux perturbant ses algorithmes.
Au bout de plusieurs aller retours incompréhensibles, Dame Renata alors fraîchement épousée et lovée dans le baquet de droite me fit savoir par des bâillements répétés qu’il était temps de retourner au motel où nous avions établis nos quartiers. Je rebroussais donc chemin passablement déconfit, en me disant que le vrai conducteur d’une auto n’est pas forcément celui qui en tient le volant, ce que j’ai depuis eu l’occasion de vérifier à de nombreuses reprises.
Comble d’ironie, c’est à bord d’une Toyota Corolla que je me retrouvais sur la célèbre route le lendemain, insipide berline échangée contre la voiture poney pour des raisons tarifées en dollars.
Malgré ce petit raté, cette expérience eut au moins le mérite de me rappeler l’une des ces vérités essentielles apprises au cours d’une vingtaine d’années d’expatriation et de bourlingage hors frontières : à l’image des humains qui les conduisent, les voitures sont le produit de leur histoire. Ce n’est donc pas un hasard si les minuscules "Kei-Cars" ou autres engins cubique peuplent les rues d’une Tokyo en recherche constante de rationalisation spatiale, si les européennes en général possèdent la dynamique capable d’affronter les "B-Roads" quadrillant le vieux continent ainsi que des moteurs économes en carburant surtaxé, ou si les cabriolets abondent dans les contrées au soleil rationné, permettant de profiter au maximum de ses rayons à la moindre éclaircie.
Il en va évidemment de même pour les américaines, qui peuvent évoquer vu d’ici cette "comfort food" qu’on adore critiquer mais qu’on aime aussi déguster en cachette, du moins pour ceux qui n’assument pas. Et s’il y a bien longtemps que vous ne me ferez plus ingurgiter certains liquides brunâtres et leur 21 morceaux de sucre au litre, je ne dédaigne pas de temps à autre un bon Burger et ses frites, avec moutarde et mayo s’il vous plaît.
C’est à peu près dans le même état d’esprit que j’ai profité il y a bien des années d’un weekend brésilien à bord d’un Chevrolet Silverado, pick-up de la catégorie full-size, à propos duquel on pourra toujours gloser sur la finition plus qu’approximative de ses plastiques, l’inutilité de son énorme benne ou la technologie antédiluvienne de son 6 cylindres en ligne quatre litres virgule un. Il n’empêche que je me suis bien marré aux accélérations de sortie de rond-point, suivies par l’inévitable déhanchement d’un train arrière plus rigide qu’un contrôle de gendarmerie en période de confinement.
Et puisque nous en sommes aux aveux du genre, mon garage idéal comporte un certain nombre de représentantes de l’Américan way of metal. Je citerai pêle-mêle, de façon non exhaustive et non définitive : la Cord 812 Convertible Phaeton (Supercharged tant qu’à faire), l’Auburn 851 SC Speedster (re-Supercharged), la Corvette C2 (make it a 63), la Dodge Viper GTS (avec les bandes blanches), la Studebaker Avanti, la Lincoln Continental Convertible 62, ou encore la Chevrolet Camaro SS 68. Ah, et rajoutez une contemporaine Dodge Charger SRT Hellcat, pour ne pas m’attirer les foudre de "Bert" Rakoto, grand amateur de Mopar et envoyé permanent d’Autoactu.com aux States.
Mais j’ai bien conscience du fait que sous couvert d’ouverture culturelle, je continue de véhiculer un certain nombre des préjugés et tartes à la crème qui affectent encore la production automobile US. Saviez-vous par exemple que depuis 2012, plus de la moitié des modèles vendus dans les 51 states est motorisée par un 4 cylindres d’une puissance moyenne de 188 chevaux (en 2016), équivalente voire supérieure à celles développée par les emblématiques V8 20 ans plus tôt ? Et que ces derniers n’équipent aujourd’hui moins de 15% des autos sortant des dealerships ? Dans un autre domaine, croyez-vous qu’une auto comme la Corvette C8 (disponible à partir de 60.000 USD à son lancement) ait à rougir face aux sportives européennes à moteur central arrière, qu’il s’agisse de ses performances ou de son contenu technologique ?
Comme partout dans le monde, l’automobile étatsunienne devra d’ailleurs se réinventer, à moins qu’elle ne contribue elle aussi à réinventer l’automobile. L’avenir nous dira s’il ressemble aux Tesla, Lucid, et autre Rivian qui prétendent mettre progressivement à la retraite les véhicules dinosauriens s’alimentant précisément au jus de dinosaure.
Ce que j’espère, c’est qu’elle saura préserver dans cette mutation une forme d’archétype national garantissant la diversité de la culture mécanique qui a subsisté jusqu’à aujourd’hui. De ce point de vue, GMC semble vouloir alimenter la bonne Hummer des afficionados de la voiture américaine avec la nouvelle itération du célèbre 4x4, qui se garde bien d’opérer un véritable changement de paradigme en faisant la part belle aux poncifs du H1 originel, en dehors bien sûr de sa motorisation électrique.
A l’heure où je termine ces lignes, et bien que l’actuel locataire du 1600 Pennsylvania Avenue la conteste encore, la victoire de Joe Biden aux élections présidentielles américaines ne paraît plus devoir faire de doute. "Sleepy Joe", comme l’a peu affectueusement surnommé Donald. Espérons pour les Américains, leur économie en général et leur industrie automobile en particulier qu’il s’inspire des "sleepers", ces voitures d’apparence volontairement banale mais capables d’allumer tout ce qui bouge aux "Traffic Light Grand Prix" par la grâce d’un moteur "tuné" à mort.
Quant à moi, je me vois bien retourner là-bas pour mettre un point final à ma frustration californienne. Ma prochaine fois en Amérique, ce sera donc sans états d’âmes que je ferais enfin vrombir un V8 sur l’asphalte de Mulholland Drive. Et pourquoi pas celui d’une Corvette C8 ?