06/03/2025 - #Renault , #Alpine
Ma lettre d’intention
Par Jean-Philippe Thery

Aujourd’hui, j’écris une lettre à Luca. Mais je vous laisse la lire…
J’adore la nouvelle Renault 5
Et non, je ne l’ai pas conduite pas plus que je ne l’ai encore aperçue à Berlin, même si je suis la cible régulière des annonces de réseaux sociaux me proposant une "probefahrt" (en Goethe, c’est un essai routier). J’ai néanmoins eu l’occasion de l’admirer en détails lors de mon dernier passage à Paris, où je l’ai mise en boite pour la télé brésilienne à l’occasion du Mondial, et dans la rue où les premiers exemplaires commençaient à circuler. Mais peu importe, puisque je l’apprécie probablement pour les mêmes raisons que les vôtres -du moins si vous partagez mon enthousiasme- particulièrement si vous êtes aussi jeune que moi. Pour les kids des Eighties, la 5 constitue de fait une espèce de madeleine proustienne motorisée, et rares sont ceux qui n’ont pas le souvenir d’au moins un proche en ayant possédé une. Pour moi c’était ma mère, qui avait récupéré la TL rouge de ma grand-mère, dont je regrettai juste qu’elle ne disposât pas des protections latérales en plastoc de la GTL, comme celle des parents de certains camarades de classe à qui il n’en fallait pas plus pour se la péter à la sortie de l’école.
Si tous ne se mettront pas à la recherche du temps perdu avec la nouvelle 5, rien ne les empêchera d’admirer pour autant l’excellent travail accompli par les équipes de Gilles Vidal (patron du design), qui nous livre plus d’un demi-siècle après une interprétation à la fois très réussie et parfaitement contemporaine de l’iconique modèle. Evidemment, la Cinq a effectué entre temps un sérieux stage à la salle de gym, histoire de gonfler ses ailes, muscler ses lignes et remplir ses passages de roue. A tel point que la version d’"entrée" évoque plus les déclinaisons Alpine et Alpine Turbo de l’époque que la populaire originale juchée sur ses maigrelettes roues de 13 pouces. Un décalage qui se poursuit avec l’Alpine A290, sa déclinaison sportive moderne, dont le look reprend celui de la Turbo de 1980, alors que la monstrueuse Turbo 3E attendue cette année semble puiser son inspiration auprès des versions compétition les plus extrêmes de cette dernière, qu’il s’agisse de celles ayant couru aux Etats-Unis dans la catégorie IMSA, ou dans le Championnat de Super Production français.
J’aime bien la nouvelle 4 aussi, même si elle me paraît un poil moins convaincante. Mais il faut dire que si la 5 nouvelle mouture poursuit dans le registre de la berline hatchback urbaine de son ainée, la 4 subit un glissement conceptuel sous forme de SUVisation "light", afin de s’inscrire dans la tendance dominante du marché. Tout ça me rappelle d’ailleurs le W78, dont le clinic-test réalisé à Toulouse à la fin du siècle dernier fut le premier auquel il m’a été donné de participer, un prototype avec lequel la marque au losange cherchait déjà à retrouver la formule de celle qui reste à ce jour son modèle le plus vendu avec plus de 8 millions d’exemplaires. Si elle ne l’a pas trouvé à l’époque puisque l’engin n’a jamais dépassé le stade du projet, elle s’est donc décidée à tenter le coup trois décennies plus tard avec une auto au look incontestablement réussi, mais dont la lecture et le positionnement me paraissent moins lisibles que pour la 5. Gageons cependant que ses chiffres de vente démentiront mes élucubration intellectualisantes…
Avec la Twingo, je peux en revanche me laisser aller sans arrière-pensée au plaisir de la réminiscence nostalgique. La bouille de batracien souriant est bien présente sur le show-car qui fut lui aussi exposé au Mondial, sa masse et ses proportions font mouche, et la bestiole provoque les mêmes sourires auxquels avaient droit son inspiratrice. Le seul truc que je reproche à la nouvelle Twingo, c’est -paradoxalement plus que pour les deux autres – de me filer un méchant coup de vieux. Parce que si c’est une chose que d’exhumer les vieilles gloires -je n’étais pas né au lancement de la 4 et fréquentait Maternelle Sup à celui de la 5- c’en est une autre de s’inspirer d’un modèle sorti alors que j’étais déjà largement en âge de conduire.
Quoiqu’il en soit, ces trois-là exhalent un parfum de réussite. Que certains maugréent sur l’absence de motorisation thermique n’est d’ailleurs pas le moindre des compliments qu’on puisse leur adresser, puisque témoignant d’un évident désir d’appropriation. Voilà un trio électrique qui a en effet le potentiel de faire tomber bien des résistances, jusque chez certains de ceux qui considèrent qu’il faut être à la masse pour rouler en électrique. Attendez vous donc avec la 5 et ses comparses à de nombreuses conversions, et pas seulement du DC vers l’AC. Je sais, le voyant d’alerte de mauvais jeux de mots à répétition vient de s’allumer, mais ça ne m’empêchera pas d’adresser ma lettre à Luca de Meo, le patron de Renault. Plus précisément, une lettre d’intention.
C’est le point départ de tout projet.
Bien avant que les stylistes ne crayonnent les premiers rough, que les ingénieurs ne conçoivent les premières pièces et que les assistants économiques ne se lancent dans les calculs préliminaires, c’est à un "Chef de Produit Prospective" que revient la tâche d’en rédiger le document fondateur. La lettre -ou note- d’intention constitue en quelque sorte la colonne vertébrale "philosophique" d’un futur modèle, d’autant plus importante quand celui-ci innove -ou "disrupte" pour reprendre un terme à la mode- par rapport au modèle qu’il remplace, ou plus encore quand il ne remplace rien. C’est dans ses paragraphes qu’est né par exemple le concept de la première Mégane déclinée en plusieurs carrosseries, afin que les clients du segment C généralement familiaux et contraints économiquement aient droit non pas à l’habituelle voiture pour tous, mais à une voiture pour chacun. Itou pour le premier Scénic à bord duquel chacun trouvait sa place sous forme d’un siège individuel, idée sortie d’études qualitatives auxquelles on avait convié non seulement les clients potentiels, mais aussi leur famille, enfants compris. Quand à la Twingo, nul doute que sa bafouille fut particulièrement inspirée à constater l’incroyable maximisation de l’espace qu’elle proposait dans ses 343 centimètres de long.
Et ça tombe bien, puisque c’est précisément le moment de jeter les bases de la remplaçante de la nouvelle Renault 5, qui devrait être présentée vers 2032. Je sais, je joue un peu la "mouche du coach" dans cette histoire, Renault disposant sans aucun doute d’excellents professionnels pour concevoir le futur de l’automobile et n’ayant donc probablement pas besoin de mes services (dans le cas contraire, merci d’écrire à la rédaction qui transmettra). Mais en dehors du fait que c’est dans une liberté d’écriture inégalée que réside la beauté de l’exercice de la chronique, figurez-vous que c’est l’inquiétude qui justifie ma démarche.
Ce papier m’a été inspiré par une vidéo revue par hasard, dans laquelle Jeremy Clarkson conduisant une Citroën SM, célèbre le "flair" mêlé à l’ "uniqueness" des voitures françaises. Ce quelque chose qui les rend à nulle autre pareille et qu’illustrent parfaitement les modèles dont il est ici question. A commencer évidemment par la 4, qui inaugura le hayon sur une voiture de tourisme, alors qu’il était jusqu’alors réservé aux utilitaires. Hayon que reprit la Renault 5, s’ouvrant jusqu’au bouclier en polyester faisant office de parechocs, auxquelles la GTL ajoutaient des protections latérales du même matériau. Et si la 5 ne fut pas la première Renault routière équipée d’un turbo -privilège revenant à la 18- elle fut en revanche pionnière de la motorisation suralimentée dans l’univers des sportives. Quant à la Twingo, dois-je vraiment vous préciser en quoi celle-ci fut non seulement innovante, mais aussi révolutionnaire ?
Mais qu’un nouveau modèle rende un hommage aussi appuyé soit-il à un antécesseur innovant ne le rend pas nécessairement lui-même inventif. Et je suis convaincu que la prochaine itération de la 5 doit partir dans une autre direction, sous peine d’être condamnée à s’auto-pasticher. D’autant plus que lorsque la prochaine décennie sera entamée et que la propulsion électrique ne sera déjà plus considérée comme une nouveauté, il est fort à parier que les acquéreurs potentiels d’une VE n’aurons plus de raison de rechercher dans le passé de quoi conforter leurs choix, et qu’ils seront mûrs pour quelque chose de vraiment différent. Bref, la prochaine Renault 5 se doit de renouer avec l’innovation conceptuelle qui caractérise la génétique de son constructeur.
Evidemment, quand j’dis ça, j’dis rien, et on aura beau jeu de m’accuser de "yakafaukonnerie". Mais en dehors du fait que je ne passe pas mes journées à concevoir les gammes futures du constructeur français, pas plus que je ne dispose de ses ressources, s’agissant notamment des résultats d’études de marché pour lesquelles il a développé un savoir-faire enviable, ne me dites pas que les plateformes électriques dédiées ne permettent pas ce genre de chose. Or, malgré une architecture totalement spécifique intégrant des organes mécanique à l’encombrement réduit et positionnés différemment que sur un modèle thermique, les VE actuelles sont dessinées comme si de rien n’était, sans doute parce qu’aucun constructeur ne se voit inciter ses clients au changement énergétique avec un objet ressemblant à autre chose que l’idée traditionnelle qu’on se fait d’une voiture.
Peut-être suis-je totalement à côté de mes pompes, et qu’il est techniquement plus difficile qu’il n’y paraît d’inventer des silhouettes différentes de celles que nous connaissons. Mais si par hasard j’étais dans le vrai, Renault me paraît davantage que bien des constructeurs, légitime pour réinventer l’automobile.
Et qui sait ? peut-être que vers 2060, il sera alors temps pour un futur modèle de s’inspirer de la fameuse 5 de 2032. Celle qui avait alors révolutionné la voiture électrique…