24/09/2020 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Hyundai , #Jeep , #Peugeot , #Fiat , #Chevrolet , #Stellantis
Leãozinho
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, c’est un cours de grammaire portugaise que je vous propose, ainsi qu’un retour sur l’histoire d’un petit fauve franco-brésilien qui n’a pas su grandir.
Les brésiliens aiment les suffixes nominaux.
Les portugais aussi puisqu’ils parlent la même langue. Quoique. En dehors des inévitables différences de vocabulaires qui se sont développées des deux côtés de l’Atlantique en un peu plus de cinq siècles, les accents y sont également très différents, au point de rendre la communication parfois difficile entre lusophones. Celui des portugais est rocailleux comme une falaise de l’Algarve, alors qu’au Brésil, on est jamais très loin de la bossa nova quand on s’exprime.
Mais dans les deux pays, on a la même façon de diminuer la taille d’un objet, en allongeant celle du mot qui le désigne, par la terminaison "inho" (ou "inha", au féminin). Rajoutez un "z" quand c’est nécessaire, pour éviter la promiscuité entre voyelles (zinho, zinha). Au fait, "nh" en portugais se prononce comme "gn" en français. Maintenant que je vous l’ai dit, vous pouvez relire les deux phrases précédentes.
Mais passons aux travaux pratiques. Par exemple, la bière (cerveja) devient "cervejinha" si vous avez décidé d’être raisonnable, et un petit café se dit "cafezinho". Ça marche aussi avec les adjectifs, puisqu’on passe de beau (bonito) à mignon avec "bonitinho" (ou bonitinha au féminin). Et bien sûr, suivant le contexte et le ton employé, le suffixe "inho" et ses dérivés permettent d’exprimer toute la gamme de nuances liées à un diminutif, de l’appropriation amoureuse jusqu’au plus profond dédain.
J’arrête ici ce préambule grammatical, n’ayant pas l’intention de vous enseigner le portugais à distance. Celui-ci ne constitue d’ailleurs qu’une introduction au sujet du jour puisque que c’est d’un petit lion dont j’ai l’intention de vous parler, autrement dit un…"leãozinho".
L’occasion m’en est donnée par le lancement de la 208 II au Brésil, la même que celle qui vous attend chez les bons concessionnaires de la marque en Europe depuis octobre dernier. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci intervient dans un contexte pas très reluisant pour la marque, avec une part de marché à quelque chose après la virgule depuis l’année dernière (0,6% depuis le début de cet annus horribilis).
Des chiffres qui justifient donc le titre de cette chronique, puisque le rugissement du roi de la savane s’apparente plutôt à un timide miaulement au pays du "futebol" et du carnaval (alerte : phrase à forte teneur en clichés caricaturaux).
Et je crains que la nouvelle venue n’y change pas grand-chose, puisque malgré sa plastique avantageuse, celle-ci a été largement conspuée sur la toile sociale avant même son lancement. Et le coupable, c’est EC5, fils de TU5JP4.
Même si ça ressemble à la bande annonce d’un nouvel épisode de Star Wars, c’est bien de moteur dont il s’agit. L’EC5, est en effet un quatre cylindres essence 1.6 (1.587 cm³ exactement), développé sur la base d’un TU dont les origines remontent aux 80’s, auquel on a offert une nouvelle distribution avec admission variable, et dont on a diminué les frottements pour améliorer la consommation. Une modernisation qui permet d’obtenir 118 équidés honnêtes sans plus, et 158 Nm de couple, à condition que le tout s’abreuve à l’éthanol, plus énergétique que l’essence de pétrole.
Mais il y a un hic, pas seulement dû à l’alcool. Il faut en effet solliciter une pédale d’accélérateur peu coopérative, avec -comme on dit ici- une course plus longue qu’un soupir de veillée funèbre, pour aller chercher les derniers Newton mètres sur les 4.750 tr/mn où ils sont perchés.
Or, Chevrolet, Hyundai et Volkswagen ayant turbo-downsizé leur mécanique, leurs modèles concurrents disposent tous trois d’une motorisation 3 cylindres 1.0 suralimentée avec un couple supérieur à celui de l’EC5, délivré à un régime ne dépassant jamais les 2.000 tr/mn, avec les bénéfices qu’on imagine en matière d’agrément et de consommation. On décernera au passage une mention spéciale au GDI coréen qui donne généreusement tout ce qu’il a dès 1.500 tr/mn.
L’ironie de la situation, c’est que le Brésil est en quelque sorte un précurseur du downsizing, à son corps défendant. En 1993 y fut en effet créée une catégorie dite "Popular" réservée aux véhicules de moins de 1.000 cm³ de cylindrée, afin de stimuler un marché automobile alors morose et de faciliter l’accès à l’automobile aux classes laborieuses.
Voulue par le gouvernement de l’époque, celle-ci a subsisté jusqu’à nos jours, bénéficiant d’un avantage fiscal qui a varié au cours du temps. L’IPI (Impôt sur les Produits Industrialisés), équivalent de la TVA pour la partie fédérale (auquel s’ajoute une autre taxe pour chacun des 27 états brésiliens) est ainsi réduit à 2% pour ces petits cubes, contre 8% pour les véhicules de 1.000 à 2.000 cm³, et beaucoup plus pour les voitures importées.
Pendant des années, le moteur "um ponto zéro" a donc constitué une espèce de punition (faiblement) motorisée dont personne ne voulait vraiment mais que la plupart achetait, et qui représenta jusqu’à 70% des ventes de voitures neuves. Mais les choses ont aujourd’hui bien changé, puisque beaucoup d’acheteurs potentiels ont désormais les yeux de l’amour pour les petites mécaniques turbinées.
Par la grâce de la suralimentation, et en vertu d’une inversion de valeur inimaginable il y a seulement quelques années, les 3 cylindres "um litro turbo" sont en effet devenus les représentants d’une espèce de noblesse mécanique dans le segment B qui domine très largement le marché brésilien.
Prenez par exemple la VW Polo et son dérivé tricorps, la Virtus. Si vous avez réussi dans la vie, vous en choisirez une version haut de gamme, propulsée par le 200 TSI, équipée de la fameuse turbinette associée à l’injection directe, permettant de disposer de 127 pur-sang et 200 Nm (d’où son nom). Dans le cas contraire, il vous faudra vous rabattre sur un 4 cylindres atmosphérique et roturier, dispensant 117 canassons laborieux et de maigres 162 Nm, dont les 1.600 cm³ sont désormais considérés comme un symbole d’archaïsme mécanique. Rarement des expressions telles que "Small is beautil" ou "less is more" n’auront trouvé de meilleure illustration dans le monde de l’industrie automobile.
Mais reprenons donc le manche du couteau qui remue dans la plaie du lion. Parce que figurez-vous que dans sa première mouture, la 208 brésilienne disposa à partir de 2016 d’une version atmosphérique de 90 ch du moderne EB2, autrement dit le 3 cylindres 1.2 connu sous le pseudonyme de "Puretech". S’y ajoutait en haut de gamme l’EP6, alias 1.6 THP de 163 ch.
Autrement dit, la nouvelle venue se prend un vent non seulement de la part de ses turbo-concurrentes, mais aussi de sa devancière. C’est d’autant plus dommage que celle-ci marque avec la CMP l’introduction d’une plateforme qui n’a jamais été aussi bien adaptée au réseau routier local, notamment par la grâce de suspensions au débattement généreux. Sans même mentionner une belles dotation en équipements, dont certains inédits dans la catégorie, comme la superbe instrumentation TFT en 3 dimensions. Autant d’atouts malheureusement occultés par le mauvais buzz de la mécanique.
Le pire, c’est qu’il a fallu "taper dans la tôle" pour faire rentrer l’EC5 et son cylindre supplémentaire dans un compartiment moteur qui n’était pas "étudié pour" comme aurait dit Coluche. Voilà qui règle au passage le cas d’un AP6 encore plus volumineux, mais qui ne répond pas à la question de savoir pourquoi l’EB2 n’a pas été reconduit.
Eh bien, pour incroyable que cela puisse paraître s’agissant d’un des pays les plus protectionnistes au monde, exigeant un contenu local d’au moins 60% en valeur sur les modèles produits sur place, l’EB2 était importé de France. On comprend qu’une fois passé au crible des tableurs Excel, ce genre de bizarrerie propre à PSA n’ait pas été reconduite. J’ai d’ailleurs eu beau chercher, je n’ai pas trouvé d’exemple de mécanique venue de l’extérieur sur des véhicules de la concurrence fabriqués localement à grande échelle.
Quant à ceux qui suggèreraient que l’EB2 aurait dû être industrialisé localement (en atmo et turbo), je doute qu’ils aient eu le courage de solliciter de Carlos Tavares le chèque monstrueux que représentent les investissements d’une ligne de production mécanique, particulièrement avec des projections de volumes incapables d’en assurer le retour financier.
De fait, alors que des marques comme Renault et Hyundai semblent s’inscrire dans la trajectoire des 10% de parts de marché constituant l’objectif de tous les "newcomers" arrivés sur le marché brésilien dans les 25 dernières années, celles du groupe PSA se sont enfermées dans un terrible cercle vicieux réduisant leur capacité de conquérir des volumes faute d’investissements, et d’obtenir des investissements faute de volume.
Et de mon point de vue, l’histoire remonte aux débuts. J’ai eu l’occasion de raconter dans une chronique précédente (Groupes en fusion, la suite) comment le succès initial de la marque grâce à la 206 avait paradoxalement provoqué l’infortune de Peugeot au Brésil. Avec sa jolie frimousse, la petite berline importée dès 1999 y causa un impact plus fort que partout ailleurs, puisque c’est elle qui introduisit véritablement la marque dans le pays, d’autant plus qu’elle en fut le premier modèle fabriqué localement à partir de 2001.
Dans un segment à vocation économique, essentiellement composé de modèles dénués de charme et dépassés par rapport au marché européen, la petite Peugeot semblait débarquer tout droit des Champs-Elysées pour conquérir la jeunesse citadine aisée et ceux qui aspiraient à lui ressembler, ce qu’elle fit très bien.
Le problème, c’est que lion s’est cru arrivé, considérant sans doute qu’être le plus beau des animaux motorisés constituait un positionnement marketing suffisant. Au moment de remplacer son premier modèle, Peugeot oublia donc les raisons de son succès et reprit à son compte la recette locale consistant à faire du neuf avec du vieux, effectuant un virage à 180° par rapport à sa stratégie initiale.
C’est donc un restylage de la 206 qui fut proposé aux Brésiliens, pastichant la 207 européenne, jugée trop lourde et trop coûteuse pour être produite localement. Et tant qu’à se planter, la marque n’y alla pas par quatre chemins, en décidant de baptiser 207 celle qui n’en était pas une, provoquant le sentiment d’une véritable trahison auprès des clients et clients potentiels du modèle.
La supercherie fut d’ailleurs officiellement entérinée par son équivalent commercialisé en Europe, dont la désignation "206+" n’en donnait que plus de relief au mensonge brésilien. Ajoutez à cela une offre concurrente renouvelée, et probablement inspirée de la stratégie 206 avec l’apparition de modèles "premium" comme la VW Polo et la Fiat Punto, jusqu’ici inexistants dans le segment.
Evidemment, ça ne fonctionna pas. Bien que bénéficiant d’une carrosserie supplémentaire avec la Sedan (berline tricorps), la 207 locale ne permit jamais à la marque de faire mieux que les 3,6% de part de marché sur le segment des véhicules particuliers, qu’elle obtenait déjà en 2006 à la fin de vie de la 206.
Par la suite, la présence de la marque s’effrita progressivement, jusqu’à 1,7% de participation en 2013, lorsque la fausse 207 tira sa révérence. Il faut dire qu’en plus de ses troubles de la personnalité, cette dernière eut également à souffrir de problèmes de qualités qui ne firent rien pour arranger l’image d’un lion qui en perdit sa superbe.
Retour du balancier en 2013, grâce à une 208 de nouveau alignée sur le modèle européen, mais qui ne permit malheureusement pas de renverser la tendance observée depuis 2008, voyant la marque dégringoler régulièrement sur les classements publiés par l’ANFAVEA, notre équivalent du CCFA. Symboliquement, celle-ci disparu d’ailleurs en 2012 du graphique de la page 4, établi avec le Top10 des marques, pour ne plus jamais y revenir.
Il n’y a pourtant pas grand-chose à reprocher à la première 208 dans son environnement concurrentiel de l’époque, confirmant malheureusement que la "patate chaude" était déjà passée des modèles à la marque avant son lancement. Pour ceux qui comme vous et moi ont en tête la réputation de robustesse attribuée aux Peugeot, qui en fait pendant longtemps la marque de référence dans certains pays d’Afrique où l’état des routes ne pardonne pas, il est particulièrement rageant de constater qu’au Brésil, celle-ci est au contraire associée à une image tenace de fragilité, alors que la 208 n’a semble-t-il rien fait pour la mériter.
C’est la raison pour laquelle la deuxième itération du modèle n’y changera rien, et n’y aurait peut-être pas changé grand-chose, même équipée des moteurs qui vont bien. De toutes façons, parce que sa présence est réduite à la portion congrue sur le marché brésilien, Peugeot n’a presque plus le choix de ses politiques industrielles locales.
La nouvelle 208 n’est d’ailleurs construite que dans l’usine de Palomar en Argentine, les capacités brésiliennes de Porto Real étant réservées à un futur modèle low-cost de Citroën. Le choix de l’EC5 a donc aussi été effectué en fonction du marché où la voiture devrait connaître un certain succès, puisque les Argentins ne se sont pas encore rendus aux charmes des 3 cylindres turbo de petite cylindrée, même s’il se dit encore qu’eux pourraient bénéficier de l’EB2 sans turbo.
L’avenir de Peugeot au Brésil ne dépend donc pas de la nouvelle venue, qui se contentera de maintenir une présence minimale de la marque avec le 2008 et les importées. Il se jouera le coup d’après lorsque la stratégie industrielle du groupe Stellantis aura été déclinée au Brésil, où Fiat et Jeep détiennent 20% du marché. Espérons qu’il sera alors permis au lionceau de jouer dans la cours des grands fauves.
Je pourrai alors vous parler du "Leãzão" et des suffixes nominaux qui grandissant le sens des mots en portugais.