29/10/2020 - #Renault , #Bentley , #Jeep , #Lamborghini , #Lotus , #Man , #Ford
La Maire de tous les SUV
Par Jean-Philippe Thery
Inutile de résister, les SUV sont parmi nous, et pour longtemps. Et je crois bien avoir découvert qu’ils bénéficient d’une forme de promotion tout à fait inattendue, de la part de ceux qui prétendent pourtant les combattre.
Vous allez vraiment croire que je suis complètement obsédé par les SUV.
Peut-être bien d’ailleurs, puisque c’est la troisième fois que je vous en parle. Promis, la prochaine fois que je songerai de nouveau à en faire le thème de ma chronique, j’irai d’abord consulter. Mais pour ma défense, je dois bien avouer que je ne choisis pas vraiment mes sujets, et que la plupart du temps, c’est en fait l’inverse qui se produit : ce sont eux qui viennent à moi.
De fait, j’écris mentalement la plupart de mes textes dans la rue, où les stimuli liés à l’automobile ne manquent guère. Bon, pas sûr que je vous rassure sur ma santé mentale avec ce genre d’explication.
D’ailleurs, ça a un peu changé dernièrement. En raison de la pandémie, je fréquente plus rarement les voies publiques, et j’ai dû apprendre à cultiver mon jardin intérieur, réfléchir plus intensément sous la douche et faire appel aux sources d’inspiration de proximité (si tant est que les réseaux sociaux puissent être ainsi qualifiés). C’est précisément ce qui s’est passé pour ce que je suis en train de vous écrire, dont le contenu m’a été suggéré par deux news malheureusement pas fake, et l’article d’un magazine.
Je commencerai par ce dernier, en l’occurrence un spécial quinze pages consacré aux 50 ans du Range Rover, paru dans le numéro de juin de Classic Cars. Je sais, ce n’est pas du très frais, mais ce n’est pas de ma faute si le courrier en provenance d’Europe arrive au Brésil au rythme d’un steamer en panne de charbon. Reconnaissons d’ailleurs que s’agissant d’un sujet consacré à une voiture lancée en 1970, ça n’est pas si gênant.
Et je vous vois déjà venir avec les commentaires de bas de page sur les pionniers des SUV antérieurs à cette date. De fait, un certain nombre de véhicules peuvent prétendre à ce titre, qu’il s’agisse de la Renault Colorale 1950, de l’International Harvest Scout 1961, de la Jeep Wagoneer 1963 ou encore du Ford Bronco 1966. Ceci étant dit, ne vous abstenez pas pour autant de me faire part de vos avis sur cette chronique, surtout si c’est pour en dire du bien.
Vous admettrez d’ailleurs que le Rangie a tout de même inventé quelque chose. Contrairement à une idée reçue, celui-ci n’a pas été conçu à l’origine comme un véhicule luxueux, même s’il l’est devenu par la suite, mais plutôt comme un engin tout-terrain offrant les qualités routières d’une berline classique. Certes, les modèles précédemment cités répondaient pour certains au même cahier des charges, mais aucun n’avait eu le culot de faire appel à une suspension dotée de quatre ressorts hélicoïdaux à la place des lames qui constituaient alors la norme dans cet univers.
Ce choix fut d’ailleurs contesté jusque dans les rangs du constructeur britannique, mais Charles Spencer King, alors responsable des projets futurs et qui en était responsable, ne s’en laissa pas compter. Il ne démordit donc pas de l’idée, qui lui était venue après avoir conduit une berline (Rover évidemment) dans un champ fraichement labouré.
A constater le succès commercial qu’a connu le Range jusqu’à nos jours et le fait que celui-ci est toujours en production, on se dit qu’il ne faudrait jamais interdire à un ingénieur de s’amuser au volant. Quoi qu’il en soit, pour toutes ces raisons et parce que ça m’arrange aujourd’hui pour cet article, j’affirme sans crainte que le Range-Rover originel est le père de tous les SUV.
Ce qui m’amène sans transition à la Maire de tous les SUV. Et pour surprenante que cette affirmation puisse vous paraître, il s’agit d’Anne Hidalgo
Pour être tout à fait honnête, Madame Hidalgo est loin d’être la seule. Il lui faudra donc partager le titre honorifique que je lui décerne unilatéralement avec nombres d’élus et représentants d’organismes ou assoces diverses, vertes et variées, lesquelles nous incitent involontairement et à leur corps défendant à rouler en SUV.
Aucun doute que s’ils me lisaient -ce qui est moins que probable- ceux-ci s’étrangleraient d’indignation devant mes propos, et n’hésiteraient pas à monter sur leurs grands chevaux-pas-vapeur pour expliquer à quel point ces engins sont inadaptés à nos environnements urbains, et qu’on n'a pas besoin d’un affreux 4x4 pour monter sur les trottoirs ou franchir les dos d’Anne parisiens.
A ce stade, vous attendez évidemment des explications de ma part. Pour vous emmener sur les chemins tortueux de mon raisonnement, c’est donc à bord d’une berline que je vous invite à prendre place, afin de réfléchir à ce qui peut encore inciter l’automobiliste contemporain à opter pour une voiture basse, en dehors de considérations esthétiques sans intérêt. Il n’y a pas si longtemps, la réponse aurait été évidente.
C’était en effet l’époque ou une modération certaine s’imposait à l’abordage des courbes au volant d’un 4x4 à la caisse mal retenue, susceptible de se vautrer à la moindre fantaisie voire plus si affinités avec les bas-côtés. Bref, une berline ou tout autre engin au ras du sol, ça tenait la route comparée aux camions crapahuteurs avec lesquels on n'était jamais très loin de mettre la niche sur le chien, pour reprendre l’expression d’un journaliste auto que j’adorais lire en cachette en classe quand j’étais môme.
De nos jours, cette assertion est totalement dépassée, à l’heure où les plusieurs centaines de chevaux des Lamborghini Urus, Bentley Bentayga et autres Range Rover Sport SVR sont dressés dans l’enceinte du Nurburgring, et savent se tenir en (réseau routier) public. Evidemment, les machines les plus modestes de la catégorie vous promettent elles aussi de rester en vie sur les petites routes serpentantes même franchies à vive allure.
Certes, il existera toujours une différence entre un Captur et une Clio, un 3008 et une 308 menés à la limite de leurs possibilités respectives. Mais sincèrement, quel drôle d’individu s’amuserait à pousser un Captur dans ses derniers retranchements à part les ingénieurs chargés de la mise au point du châssis ?
Restent les sensations, qui dépendent étroitement du point G. Oui, ben on se calme, et on laisse le bon Docteur Gräfenberg tranquille, parce que c’est de gravité dont il est ici question, même s’il me faut bien faire une rapide allusion à votre fessier. Parce que la perception qu’on a de la route est intimement (c’est le cas de le dire) liée à sa position dans le véhicule, particulièrement la hauteur.
Grossièrement dit (c’est le cas de le dire, bis), plus le cul est bas, plus on fait corps avec la voiture. Ceux qui ont déjà conduit une Lotus (la voiture, pas le papier) sauront de quoi je parle. Les autres se contenteront de l’imaginer.
Sauf que les sensations que je viens d’évoquer font déjà partie d’un autre âge, du moins en ville, où ce qui peut vous arriver de plus émouvant au volant d’une voiture basse, c’est d’être arrêté au feu rouge à côté d’un camion avec de grosses roues qui font peur. Et ça ne va pas s’arranger à Paris, avec la première des nouvelles à laquelle je faisais allusion au début de cet article, puisque notre chère Anne a décidé de mettre la ville au régime à 30 km/h quasi-intégral.
Pour l’instant, elle se contente de consulter sur le site de la mairie où les internautes sont invités à se prononcer sur la mesure, non sans avoir lu le dithyrambe inductif concocté à son sujet. J’ignore ce qu’il en sortira, mais quoi qu’il en soit, il y a bien longtemps que la conduite urbaine n’est plus pourvoyeuse de grand-chose à part d’ennui ou de stress. Dans ces conditions, admettons que la dynamique d’une voiture basse n’y présente pas grand avantage.
La deuxième mesure concerne la suppression de milliers de places de stationnement en surface dans la capitale, “quasiment la moitié“ des 140.000 actuellement disponibles, si l’on en croit David Belliard, adjoint à Madame le maire (ou la maire, ou la mairesse, je ne sais plus). Là encore, on encense et on consulte sur la même page, sur un mode parfois émotif, avec des phrases du genre : “Et si les Parisiens pouvaient lâcher la main de leurs enfants dans les rues de la capitale ?“. Rappelez-moi d’envoyer pour Noël le “guide des questions biaisées pour les nuls“ à David et Anne.
Mais peu importe, puisque ce qui m’intéresse véritablement s’agissant de cette disposition, c’est que si elle est appliquée (en doutez-vous ?), celle-ci pourrait en fait bien se montrer favorable à certains SUV, particulièrement ceux du segment C. Comme vous le savez, je soutiens mordicus (façon de dire que je me répète), que l’automobiliste qui renoncerait à un SUV à force de se faire dégonfler (les pneus) par des terroristes écolos, choisirait une berline ou un break du segment au-dessus, afin de conserver l’espace intérieur auquel il est habitué, et dont il a sans doute besoin.
A titre d’exemple, un 3008 serait ainsi remplacé par une 508, et un Tiguan 5 places par une Passat. Sauf que se trimballer entre 27 et 30 centimètres supplémentaires en longueur avec bientôt deux fois moins de places pour stationner dans la rue pourrait dissuader immédiatement notre homme de changer son auto, et l’inciter plutôt à s’équiper d’un compresseur à brancher sur l’allume-cigares pour regonfler ses pneus quand ce sera nécessaire, qu’il fera d’ailleurs fonctionner moteur tournant à l’arrêt, histoire de balancer quelques grammes de CO2 supplémentaires dans son environnement immédiat.
Mais la supériorité des SUV sur les berlines en milieu urbain ne s’arrête pas là, puisque ceux-ci présentent un avantage qu’on évoque trop rarement, et que j’ai découvert au début de ce siècle, après avoir troqué ma Mégane II de fonction pour un X-Trail de première génération, suite à un changement de crèmerie professionnelle.
L’esprit sans doute pollué par les messages anti 4x4 déjà courants à l’époque, je me suis dans un premier temps inquiété de cette migration d’une “petite berline“ vers un “gros tout-terrain“, eu égard à la place de parking plutôt étroite de mon lieu de résidence.
Mais si la fiche technique de l’engin avouant une largeur inférieure à celle de la Mégane (1.765mm contre 1.780 pour la Renault) m’a plutôt rassuré, c’est l’expérience qui a totalement achevé de me convaincre.
Avec un véhicule d’architecture haute, l’expression “monter en voiture“ retrouve en effet tout son sens, grâce à une assise de siège beaucoup plus proche du fessier (décidément j’insiste) que dans une berline où il faut se laisser tomber dans un baquet dont il est plus difficile de ressortir que du sofa depuis lequel vous assistez à vos programmes de télévision favoris.
C’est particulièrement vrai si à l’instar de la majorité des acheteurs de voitures neuves on commence à accumuler les printemps, si on est sujet au mal de dos, lorsqu’on passe ses journées à entrer et sortir de l’auto, ou que le voisin du parking de supermarché s’est garé comme si la voiture d’à côté appartenait à un mannequin anorexique.
Pas étonnant donc que la police municipale de la commune où je me trouvais alors ait choisi elle aussi le X-Trail pour équiper ses agents, considérant le nombre d’entrées/sorties opérées quotidiennement par ces derniers.
Ce qui est amusant avec les SUV, c’est qu’ils sont à la fois détestés par ceux qui aiment l’automobile, et ceux qui la honnissent. Les uns parce qu’ils les considèrent comme des camions, et les autres… aussi.
Mais seuls ces derniers s’en font sans le vouloir les promoteurs, à force de nous inciter au style de conduite aseptisé, boitautomatisé, et surtout dépourvu de la moindre prétention dynamique qui fait le bonheur des voitures basses. C’est pourquoi je reconnais en Madame Hidalgo la Maire de tous les SUV
En ce qui me concerne, j’ai d’ailleurs pleinement conscience du fait qu’en affichant ma préférence pour les voitures proches du sol, je reconnais publiquement un état d’esprit dinosauresque. Que dire alors de mon penchant pour les coupés profilés, aux portières démesurément longues et difficiles à manœuvrer ?
Finalement, je crois bien que je vais consulter au plus vite.