04/02/2021 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Ferrari , #Jaguar , #Nissan , #Opel , #Porsche , #Smart , #Chevrolet , #Toyota
L’icône des jeunes (et des autres aussi)
Par Jean-Philippe Thery
C’est une chronique mythique que je vous propose aujourd’hui. Histoire de rappeler que dans l’automobile comme ailleurs, n’est pas icône qui veut.
Il y a une quinzaine d’années, j’ai assisté à une présentation dans les locaux de Nissan France.
Je sais, “le présentiel” paraît complètement ringard de nos jours, mais je vous assure qu’à l’époque, mes collègues col blanc et moi-même passion une bonne partie de nos journées à regarder défiler des slides sur un écran, quand nous n’étions pas nous-mêmes occupés à ennuyer nos congénères avec nos propres Powerpoint.
Autant vous dire que si je m’en rappelle jusqu’à aujourd’hui, c’est que cette réunion-là était vraiment exceptionnelle. Ou du moins aurait-elle dû l’être, puisqu’il s’agissait de découvrir le T31, nom de code du successeur du X-Trail de première génération qui assurait l’essentiel des volumes de la gamme 4x4, dont j’avais la responsabilité marketing pour l’Hexagone. En fait, c’est un slide en particulier dont je me souviens, constellé de photographies montrant les générations successives des Volkswagen Golf, Mercedes Classe E et Range-Rover, modèles soigneusement choisis pour appuyer la rhétorique du “Kaizen X-Trail” qui nous était administrée ce jour-là.
Kaizen ou l’amélioration continue. Appliqué au SUV vedette de la marque, le fameux précepte nippon se traduisait par une longueur augmentée de 12 cm au bénéfice du volume de coffre, une qualité perçue en hausse grâce à des plastiques plus soft, ainsi qu’une motorisation Diesel ragaillardie et enfin accouplée à une boîte auto. Ces évolutions visaient à répondre très exactement aux critiques et motifs de non-achat dûment répertoriés par les études clientèles. En revanche, le style extérieur avait essentiellement été conçu à l’aide de la commande “Copier/Coller” du logiciel CAO/DAO utilisé par les stylistes, de façon totalement assumée. Normal nous avait-on alors expliqué, puisque le X-Trail premier du nom constituait déjà une icône, et que le T31 était le premier d’une longue série de futurs descendants.
J’ai nettement eu l’impression ce jour-là que nous étions en train d´écrire l’histoire avant qu’elle ne se soit produite. D’autant plus que si son design ne déplaisait pas, il ne constituait certainement pas l’élément d’attraction principal du T30 dont le succès était essentiellement dû au pionniérisme de la marque sur un segment porteur qu’elle avait contribué à créer. Lorsqu’il fut lancé en 2001, celui-ci ne trouvait guère que le Toyota RAV4 sur sa route, alors qu’il affrontait une bonne vingtaine de concurrents en fin de vie.
Bref, on n’iconise pas par décret, et la seconde mouture du X-Trail fut un désastre commercial, avec moins de 10.000 unités à partir de la troisième année de vente, à un moment du cycle produit où son prédécesseur frisait les 60.000 immatriculations. C’est d’ailleurs avec un style totalement revu, et plus conforme à l’air de son temps que la troisième itération du modèle renoua avec le succès, s’attaquant au passage avec le même bonheur aux marchés nord-américains et chinois. Mais pour ce qui est des icônes de la marque japonaise, c’est tout de même du côté des Z, GTR et autres Patrol qu’il convient de regarder.
Non pas que l’homothétie stylistique entre les différentes générations d’un même modèle ne fonctionne pas pour certains d’entre eux. Les Porsche 911, Chevrolet Corvette, ou dans un autre genre Toyota Land Cruiser et VW Golf sont là pour nous le rappeler. Mais l’équilibre subtil qui permet de garantir la permanence dans l’évolution ou inversement constitue sans aucun doute un vrai casse-tête pour les designers, lesquels semblent disposer de ce point de vue d’une liberté souvent plus restreinte que les ingénieurs.
La 911 a ainsi résisté au refroidissement liquide et à la transmission intégrale, la Corvette au moteur central arrière et le Land Cruiser aux suspensions indépendantes et ressorts hélicoïdaux, autant d’évolutions considérées en leur temps comme hérétiques par les gardiens du temple des marques concernées. Quant à savoir si l’icône permet la répétition stylistique ou si c’est cette dernière qui fait l’icône, vous avez 4 heures. Mais je vous déconseille fortement de copier sur le responsable produit du T31.
D’ailleurs, toutes les icônes motorisées ne sont pas issues ou génératrices de lignées, loin s’en faut. Et puis, rares sont les marques qui peuvent se permettre d´inscrire l’objectif “créer une icône” en tête du Cahier des Charges d’un de leurs modèles.
Prenez par exemple la Ferrari 250 GTO, modèle probablement le plus mythique parmi ceux issus des ateliers de Maranello. Lorsqu’il en ordonna l’étude au début des années 60, le père Enzo avait d’autres chevaux cabrés à fouetter que de faire de l’iconique, n’ayant d’autre ambition que de palier la baisse de compétitivité de la 250 GT châssis court, dont il fit passer la “Gran Turismo Omologata” pour une simple évolution, afin d’échapper à l’obligation d’en produire les 100 exemplaires théoriquement requis pour son homologation.
Quelques saisons et beaux succès plus tard, la GTO était elle-même complètement dépassée et n’intéressait plus grand monde, lot commun à l’époque des voitures de courses décaties. En 1969, vous auriez pu acquérir celle annoncée dans les pages du Chicago Tribune pour 3.500 billets verts (moins de 25.000 dollars actuels), alors qu’un amateur fortuné a signé un chèque record de 70 millions de la même unité monétaire en 2018, pour en mettre une semblable dans son garage.
Mais revenons sur terre. Ma chère maman posséda également une voiture rouge, qui peut désormais elle aussi prétendre au statut d’icône à quatre roues. Bien qu’à l’époque, j’étais plutôt préoccupé par l’absence de protections latérales de sa Renault 5, réservées à la luxueuse GTL que les parents de petits camarades plus chanceux exhibaient à la sortie de mon école. Ou comment faire de deux morceaux de polyester beige un marqueur social !
Quoi qu’il en soit, si vous appuyez sur la touche F.FWD du magnétoscope afin de rembobiner la cassette jusqu’au 15 janvier 2021, devinez qui tenait la vedette aux côtés de Luca de Meo au cours de la présentation – en distanciel évidemment – effectuée par ce dernier ? La 5 prototype a beau être électrique et ne pas craindre la rouille perforante ayant attaqué 100% des ailes arrière du modèle original, elle n’en possède pas moins les gimmicks stylistiques nous rappelant l’auto de nos parents, avec ou sans plastique sur les portières. Question subsidiaire : le rétro-design utilise-t-il ou crée-t-il les icônes ?
GTO et Renault 5, même combat ! Pour construire une icône, il faudrait donc donner le temps au temps, particulièrement celui d’extirper du purgatoire celles qui y ont été sentenciées parce qu’elles étaient anciennes mais pas assez. Songez par exemple à cette brave Citroën BX, "voiture de vieux" par excellence, à la plastique (c’est le cas de le dire) tellement 80’s qu’elle fut condamnée à la ringardise la fin de la décennie étant venue.
Rappelez-vous également les Renault 12 et autres Fuego, sauce-tomatisées avec bandes blanches latérales sur des parkings périphériques, à l’époque où TF1 diffusait “Starsky & Hutch” le dimanche après-midi. Sans oublier leur cousine Germaine de chez Opel, qui donna ses lettres de (petite) noblesse au “Manta-Fahrer”, adepte de la coupe “mulet” et du poignet sur le haut du volant. Eh bien vous pouvez remballer vos moqueries, maintenant que les exemplaires de ces modèles, remis en état d’origine ou presque, font la fierté de leurs jeunes propriétaires dans les “rassos” ou ça cause Youngtimer.
Le cas de la Renault 5 nous démontre cependant que le statut d’icône n’est pas qu’affaire de réhabilitation, certaines autos se le voyant attribuer “de leur vivant”. Avec son moteur installé à la place des mômes et ses ailes amphétaminées, la “Turbo” fut ainsi instantanément mythifiée à sa sortie en 1980, même si la patine nostalgique en a évidemment depuis rajouté quelques couches. A l’époque, Ferrari avait d’ailleurs déjà appris à exploiter le filon, et la GTO deuxième du nom n’eut pas même à courir pour assurer sa légende, bien qu’elle ait initialement été pensée pour la compétition. Il y a d’ailleurs fort à parier que les 272 exemplaires distribués entre 84 et 85 firent beaucoup plus pour les finances de l’Officine que celle devenue entre temps la voiture la plus chère du monde.
Mais le hic avec certaines voitures iconiques, c’est qu’à faire dans le disruptif, elles sont particulièrement difficiles à remplacer. Aussi originale que fut la Citroën CX à sa sortie en 1974, elle pouvait difficilement recréer le choc provoqué par l’Ovni DS atterri dans les couloirs du Salon de l’Auto 20 ans plus tôt. L’année suivante, ce fut la pauvre Jaguar XJS qui eut le malheur de s’essayer à la succession de la Type E, qualifiée de "plus belle voiture au monde" par Monsieur Ferrari lui-même. Et qu’on le veuille ou non, la 300SL restera LA voiture aux portières en ailes de papillon, quand bien même certains modèles – y compris chez Mercedes – articulent vainement leurs ouvrants passager vers le ciel. Quant à la stratégie de non-remplacement de la 205 par le duo 106/306, elle ouvrit une brèche dans laquelle la Clio n’hésita pas à s’engouffrer. Sans oublier les Citroën Dyane, Renault 6, Rover Metro et autres Porsche 928, qui furent enterrées par celles qu’elles étaient supposées remplacer.
Ajoutez à cela la tendance naturelle qu’ont les icônes à perdurer, compliquant davantage encore leur substitution. Tenez, mettez-vous un instant dans les baskets des concepteurs du Land-Rover Defender lancé au début de 2020, faisant suite à un véhicule n’ayant quasiment pas évolué depuis 1948, en ayant dû intégrer pêle-mêle l’ADN de l’ancien, les normes dépollution et sécurité drastiques en vigueur, les exigences du consommateur contemporain et un niveau élevé de carry-across avec le reste de la gamme. Tout ça pour succéder à un objet dont la personnalité provient précisément de son caractère suranné, et dont les acheteurs sont naturellement surreprésentés parmi ceux qui considèrent que “c’était mieux avant”.
L’un de ces courageux, Nick Rogers, directeur général de l’Ingénierie Produit a ainsi raconté dans les colonnes de la revue britannique Autocar comment les discussions sur le remplacement du Defender existaient déjà lorsqu’il a intégré la compagnie en tant que stagiaire il y a 36 ans. “L'idée d'un nouveau Defender et moi avons grandi ensemble dans l'entreprise”, a-t-il ainsi déclaré. Hat’s off, Nick ! De mon point de vue, le résultat en valait la peine. Même si le tarif du nouveau modèle le destine probablement plus à des joueurs de foot en ascension qu’aux gentlemen farmers qui useront leur vieil exemplaire jusqu’à la corde.
C’est par un hommage à l’une de ces icônes irremplaçables que je terminerai mes divagations. Une auto dont on a appris récemment que son nom allait bientôt disparaître, mais qui nous manque depuis 2012 quand la seule qui méritait véritablement de le porter nous a tiré sa révérence.
Il ne peut exister de “Kaizen-Twingo” que sous forme d’oxymoron, comme le prouvent ses deux tentatives de remplacement ratées. D’une affligeante banalité, celle qui l’a immédiatement suivie a tout simplement oublié de révolutionner l’automobile, comme avait su si bien le faire le drôle d’engin qui fit ses débuts un beau jour de salon parisien, en 1993. Quant à la dernière en date, je la déclare coupable d’adultère conceptuelle en ayant adopté l’architecture de la Smart, sans se montrer plus intelligente pour autant.
La Twingo est née avec un vieux moteur Cléon, sans Diesel à une époque où le carburant gras dominait le marché, dotée de seulement trois portes, affichant ses tôles apparentes à l’intérieur et un tableau de bord qui n’oubliait pas de dire qu’il était en plastique injecté. Une vraie recette pour un désastre. Mais avec un rapport habitabilité/encombrement extérieur comme on ne saura plus jamais en faire, une architecture de petit monospace et une banquette arrière coulissante, elle chouchoutait ses passagers comme personne, y compris ceux de l’arrière qui avaient droit à la même place aux jambes que les patrons d’industrie se trimballant en Mercedes Classe S par chauffeur interposé.
La Twingo, c’était aussi un look extraordinaire, avec une bouille de batracien espiègle incitant à la paréidolie, de jolies rondeurs jamais pataudes et des couleurs de bonbon acidulé. La Twingo savait se faire bonne copine, ouverte à tous les vents avec un toit en toile, fashion en “United Colors of Benetton”, et même chic dans ses versions Initiale ou Série Limitée “Elite”.
La Twingo était aussi une voiture joyeuse, à l’image de son nom onomatopéique, mi-saxon, mi-latin. Une grenouille à roulette qui a force de les enjoindre à “inventer la vie qui va avec” a fini par créer des souvenirs à toute une génération de Français. Qui parmi ceux de mon âge ou autre, n’a pas eu droit à sa tranche de vie Twingo, même si on se gardera bien de raconter ce que son espace intérieur hors pair pouvait suggérer aux paires amoureuses ?
Bref, la Twingo c’était une icône une vraie. Celle des jeunes, et des autres aussi.