05/09/2024 - #Tesla , #Bmw
Good ADAS, bad ADAS
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, il est question de puces savantes qui nous aident au volant. Peut-être un peu trop au goût de certains…
Ceux d’entre vous qui me font la gentillesse de me lire régulièrement savent que je suis passé il y a quelques mois de Karl à Hermann.
Autrement dit, d’une Mercedes W203 conçue au début de ce siècle à une BMW série 1 mise au point une vingtaine d’années plus tard (oui, je donne un nom à mes voitures). Certes, j’ai tout de même eu entre temps régulièrement l’occasion de conduire des voitures récentes, que je les aie louées ou qu’elles m’aient été prêtées, mais pas sur une période suffisamment longue pour créer le genre de relation intime que l’on finit par nouer avec sa voiture quotidienne. Quoiqu’il en soit, le principal point commun entre Karl et Hermann, c’est sans doute qu’ils parlent tous deux allemand, avec l’accent de Berlin où je réside. Parce que pour le reste, deux décennies constituent tout de même une sacrée différence.
D’ailleurs, la mise en main de la Bimmer à sa livraison s’est faite à 95% dans l’habitacle et sur écran, sans qu’il ait été un seul instant question de soulever le capot. Et si le coffre à bagages a bénéficié de plus d’attention, c’était uniquement pour tester l’"Automatische Heckklappenbetätigung" dans laquelle les germanophiles d’entre vous auront reconnu l’ouverture sans contact du hayon. Un truc bien pratique quand on a les bras chargés en sortant du Lidl, mais qui demande tout de même un certain coup de main -ou plutôt de pied- pour faire réagir les deux capteurs planqués sous le bouclier. Pour le reste, c’est au volant que j’ai découvert les particularismes de ma nouvelle monture, notamment pour ce qui en fait définitivement une machine du XXIe siècle, autrement dit les ADAS, dans lesquelles les spécialistes en acronymes automobiles anglo-saxons auront reconnu les "Advanced Driver Assistance Systems"
Non pas que Karl en ait été dépourvu, même si le menu des aides à la conduite -comme on dit chez nous- se limitait au trio ABS/ESP/ASR et au duo Tempomat/Speedtronic. Autrement dit, en Molière dans le texte, aux Antiblocage de freins/Correcteur de trajectoire/Antipatinage et Régulateur/Limiteur de vitesse. Sans oublier néanmoins les capteurs de proximité logés dans les boucliers, activant un buzzeur au son de plus en plus irritant à mesure qu’on s’approche d’un obstacle, alors qu’ils sont précisément conçus pour éviter de stationner "au bruit".
Des nounous électroniques dont je n’ai pas été mécontent qu’elles veillent sur moi en certaines circonstances, notamment lors du périple que j’ai raconté en détail dans "Paris-Berlin, pas express", qui m’a vu ramener Karl de la région parisienne à son pays d’origine en 1.200 km, dont les trois quarts sous une neige qui m’ayant pris par surprise en Belgique, ne m’a pas lâché jusqu’à destination. Et si je n’ai déclenché qu’une fois le voyant orange de l’antipatinage de tout le voyage, c’est parce que j’avais pris soin d’ajouter un niveau d’ADAS supplémentaire entre les articulations de la cheville et du genou commandant la pédale d’accélérateur.
Je suis pourtant d’un temps que les moins de 20 ans (de permis) ne peuvent pas connaître, et d’une classe d’âge qui n’était pas du genre à chanter les louanges de ces bidules-là. Il faut dire que la Fiesta de 1979 avec laquelle je me suis fait la main (récupérée de ma grand-mère qui l’avait achetée neuve) bloquait les roues avant lors de freinages un peu appuyés, partait volontiers en Chupa Chups sur le mouillé et cirait de ses petits 12 pouces quand on envoyait les 45 chevaux au démarrage, sans compter que rien ne venait altérer les informations remontant fidèlement du bitume, et surtout pas une direction assistée. A l’époque, je militais même contre l’air conditionné dont je n’acceptais pas qu’il prélève de la puissance moteur pour un surcroît de confort qui me paraissait superfétatoire, la génération pré-réchauffement climatique à laquelle j’appartenais ne craignant alors pas de suer dans les habitacles. Bref, on était des "badass"
Ajoutez l’âge au temps qui passe et me voilà devenu utilisateur intensif d’ADAS. Evidemment ni d’ABS ni d’ESP -touchons du bois- mais plus particulièrement de l’"Aktive Geschwindigkeitsregelung", pour reprendre la terminologie BMW, puisqu’en fonction du jargon de chaque marque, le régulateur de vitesse se fait désormais adaptatif, intelligent ou -dans le cas présent- actif. J’imagine que vous en connaissez le principe, le dispositif maintenant une distance constante -et réglable- avec la voiture précédente allant jusqu’à l’arrêt complet s’il prend à cette dernière de s’immobiliser. Un truc auquel je ne donnais pas cher avant de l’avoir essayé (bien avant Herman), mais dont je suis désormais devenu fan.
Evidemment, j’en abuse particulièrement sur autobahn, où j’apprécie également l’affichage en tête haute de la limitation de vitesse à venir, évitant de rentrer comme un sourd dans les freins en découvrant le panneau "120" en fin de portion libre. Et je profite d’autant plus de la fonction permettant de se caler à la vitesse limite d’un clic depuis que j’ai découvert il y a quelque temps dans un sous-menu -en allemand s’il vous plaît- comment y ajouter systématiquement quelques km/h supplémentaire lorsqu’on l’active, histoire d’exploiter au mieux la marge cumulant la tolérance légale au très léger optimisme du tachymètre. Quand on rame à vitesse stabilisée ennuyeuse, il est important d’optimiser.
Mais surtout, j’ai été surpris de découvrir que ce truc-là était aussi très utile en ville, particulièrement lorsque comme moi, on a un mal fou à maintenir le genre de vitesse artificiellement basse qu’on nous y impose malheureusement de plus en plus. Y compris à Berlin où pullulent des zones 30 km/h variant ou non en fonction de l’horaire, que ce soit la nuit pour préserver le sommeil du citoyen endormi, ou le jour pour des raisons diverses et variées. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai récemment réussi l’exploit d’oublier de tourner à gauche à cette vitesse-là, obnubilé que j’étais par l’angle à la fois subtil et très inconfortable qu’il me fallait maintenir à la pédale d’accélérateur afin de ne pas dépasser ces fichus 30 km/h et m’attendant à être à tout moment dépassé par un cycliste appuyant un peu fort sur les siennes.
C’est donc pour pallier ce genre de désagrément que j’"Aktive Geschwindigkeitsregelung" à mort, de même que pour éviter de recevoir les photos-souvenir en noir et blanc que l’administration locale s’évertue à m’envoyer régulièrement en me les facturant à un tarif prohibitif compte-tenu de leur piètre qualité. Même si je ronge mon frein pour le coup peu sollicité en profitant du paysage urbain alentour, avec la sérénité de celui qui sait que le "système" évitera la collision avec l’auto précédente. Enfin, pas trop tout de même, parce qu’en dehors des deux ou trois fois où je l’ai testé "pour voir", je reprends la main -ou plutôt le pied- à l’approche des feux rouges, le bidule étant du genre "freine-tard".
Sans compter qu’il lui arrive aussi d’être mis en défaut par certaines situations, notamment lorsque l’ajout d’une file à l’approche des carrefours pour tourner à droite ou à gauche provoque un décalage de celles qui vont tout droit. Pour peu qu’un véhicule se trouve dans la ligne de mire au moment où se négocie le pif-paf ainsi créé, on a droit à un coup de frein d’autant plus intempestif qu’il peut surprendre le conducteur qui suit. Bref, si j’automatise volontiers, la confiance n’exclue pas le contrôle.
C’est qu’il me faut tenir compte des risques liés à l’homéostasie du risque. Rappelez-vous -du moins pour ceux qui le peuvent- l’apparition des premiers ABS, quand l’acronyme s’exhibait fièrement en lettres plastoc chromées au dos des hayons ou couvercles de malle, autant pour avertir le conducteur qui suivait que parce que "CX 25 TRD Turbo 2 ABS", c’était trop la classe. Il se dit que les compagnies d’assurance ont vite suspendu la ristourne qu’elles accordaient aux conducteurs "équipés" lorsqu’elles se sont rendu compte qu’ils en profitaient pour freiner au dernier moment, puisque l’électronique veillait au grain. Et s’il s’agit sans doute d’une légende urbaine, celle-ci illustre bien le fait que l’humain de service fonctionne derrière le volant comme il le fait dans sa vie, c’est-à-dire en maintenant un risque de niveau constant. Loin du garde-fou qu’elles sont censées constituer, les aides à la conduite sont alors prises comme prétexte pour s’enhardir, comportement qu’illustrent parfaitement certains conducteurs de Tesla lorsqu’ils enclenchent le mode "Full Self-Driving" (FSD), dont l’appellation trompeuse peut, il est vrai, inciter à le faire
Homéostasie ou pas, s’il y a un truc dont je ne veux pas, c’est du LDWS, surtout lorsqu’il est couplé au LKAS. La première fois que j’ai goûté aux "bienfaits" du "Lane Departure Warning System" et du "Lane Keep Assist System", c’est-à-dire l’"Avertisseur de Franchissement de Ligne" et le "Système d’Aide au Maintien de la Voie", j’ai eu l’impression de perdre le train avant sur une voie d’accès à l’autoroute, où j’avais eu le malheur de "trajecter" un peu trop au goût du système, en m’approchant de la ligne pleine intérieure en entrée de courbe, puis de sa collègue de gauche à la sortie.
Je me suis depuis habitué à débrancher autant que faire se peut ce genre de bazar, dont certaines versions conservent malheureusement une présence syndicale minimum dont je me passerais pourtant bien volontiers. Parce que si je veux bien confier temporairement le contrôle des pédales aux petites puces comme je compte sur leur sollicitude pour rattraper la bourde que je commettrai peut-être un jour, je tiens néanmoins à garder le contrôle du cerceau. Histoire sans doute d’avoir encore le sentiment d’être aux commandes, et de rester suffisamment attentif pour ne pas me livrer complètement aux distractions qu’offre le paysage.
Mais allez savoir, peut-être plait-il à certains d’être ainsi corrigés au volant, ou ceux-là l’apprécieront-ils dans un futur proche, même après en avoir contesté le principe. C’est possiblement le sort qui attend l’ISA ou "Intelligent Speed Assist" désormais obligatoire en Europe sur les voitures produites à partir de juillet. L’Adaptation Intelligente à la Vitesse, tel que le système a été traduit chez nous, empêche le conducteur distrait ou malintentionné de franchir la vitesse maximale autorisé, même s’il reste possible de le "bypasser" en insistant sur l’accélérateur ou de le débrancher complètement, opération à renouveler à chaque démarrage puisque le machin se réenclenche automatiquement. Dit comme ça, je ne suis pas sûr que l’ISA se fasse beaucoup d’amis, même s’il ressemble tout de même à une version automatisée de ce que je pratique en ville à Berlin.
Quoiqu’il en soit, il y a encore aujourd’hui celles que je considère comme "good ADAS" ou "bad ADAS". En attendant bien sûr que je change d’avis…