25/04/2024 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Alfa Romeo , #Bentley , #Ferrari , #Hyundai , #General Motors , #Peugeot , #Porsche , #Fiat , #Chevrolet , #Stellantis
Escalope pas née
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’une voiture aux saveurs italiennes. Ou presque…
Si vous poêlez une escalope de veau préalablement passée dans la farine, des œufs battus et de la chapelure, ça s’appelle une "Cotoletta Alla Milanese". Et que votre cuisine se trouve en plein cœur de Lombardie ou ailleurs ne change rien à l’affaire, sauf du côté de chez moi où l’on rajoute du lait dans la mixture de la "Wiener Schnitwel". Mais là n’est pas la question, puisque depuis que son existence a été attestée en 1183 dans un ouvrage relatant ce que les moines de l’abbaye de Saint-Ambroise avaient dégusté la veille, une escalope panée est milanaise, que vous la dégustiez à Milan, Paris, Cracovie ou ailleurs.
Mais pas pour Adolfo Urso
Le "Ministro delle Imprese e del Made in Italy” (Ministre de l’entreprise et du "Made in Italy”, en italien dans le texte) a en effet récemment pris ombrage du fait qu’une autre spécialité -automobile cette fois-ci- soit construite non pas dans la cité dont elle a emprunté le patronyme, mais en Pologne. On en déduit que selon notre homme, le badge "Milano" apposé sur la carrosserie du dernier modèle de chez Alfa-Roméo devrait constituer l’équivalent d’un sceau d’appellation contrôlée, quand bien même les autos frappées du Biscione – le dragon avaleur d’enfants légué comme emblème à Milan par les Visconti- sont depuis plusieurs années assemblée à Pomigliano d’Arco dans la banlieue de Naples, depuis que l’usine d’Arese a cessé son activité en 2005. Sans compter que le siège social de la marque a été transféré en 2021 à Turin.
Selon la même logique, sans doute les édiles québécois auraient-ils dû se manifester quand le constructeur -encore- milanais lançât sa belle Montréal en 1972. Et dans le même ordre d’idée s’agissant d’une marque voisine, les citoyens de Sacramento auraient pu exiger de Ferrari qu’elle installe une unité de production dans la capitale de l’Etat dont la California s’est attribué le nom en 2016. Même si autant que je sache on n’a jamais produit de Chevrolet à Malibu, pas plus que de Bentley à Mulsanne ou de Hyundai à Santa Fe. Je sais, il y a une certaine dose de mauvaise foi dans ces arguments-là, puisqu’aucune des cités citées n’a vu naître la marque qui utilise son nom sur l’un de ses modèles. Mais sans doute pas plus que dans les propos d’un homme politique qui fustige les efforts d’une marque à l’image pourtant fortement associée à celle de son pays.
Quoi qu’il en soit, Stellantis -dont on sait que les relations avec le gouvernement italien n’ont dernièrement pas été des meilleures- a choisi d’esquiver le conflit en rebaptisant son SUV compact "Junior". Une appellation certes puisée dans le registre historique de la marque, mais lui retirant à mon sens ce charme indéniablement latin que lui conférait la concaténation des noms de son constructeur et de la capitale lombarde. A ceux qui en doutent, je suggère de répéter plusieurs fois à voix haute en alternance "Alfa-Romeo Milano" et "Alfa Romeo Junior". Et si d’aventure certains ne se rangeaient pas rapidement à mon point de vue après deux ou trois itérations, qu’ils sachent qu’ils n’ont vraiment pas l’oreille musicale.
Pour autant, rien n’indique que cette rebaptisation affecte la carrière du modèle, comme en témoigne la "jurisprudence" en la matière, dûment remémorée par les réseaux sociaux. Que Porsche ait dû renoncer au badge 901 préempté par Peugeot comme tous les nombre à trois chiffres avec zéro central n’a en effet pas empêché la 911 de devenir une icône. Même constat s’agissant de la Fiat Gingo présentée au salon de Genève en 2003, pour laquelle les dirigeants de Fiat ont dû réanimer un logo Panda précocement mis au repos quand ceux de Renault ont froncé les sourcils pour cause de trop grande proximité avec le petit nom de la Twingo. Des références historiques qui n’ont cependant pas empêché les internautes de tomber sur les dirigeants de la marque Italienne à bras raccourcis, comme si ces derniers pouvaient être tenus pour responsable des réactions de certains dirigeants en mal de populisme.
Avec tout ça, les râleurs en ligne en auraient presque oublié la vindicte qui était la leur à l’égard de la voiture elle-même, qu’ils avaient pourtant exprimée avec véhémence quelques jours auparavant dès la divulgation de ses photos officielles. Et certains ne l’ont vraiment pas ratée, qu’il s’agisse de fustiger "un SUV de plus", une parenté jugé trop évidente avec le Peugeot 2008 ou la présence des célèbres moteurs "Puretech" dans le compartiment moteur, même si la marque s’est bien gardée de pratiquer l’autoflagellation par courroie lubrifiée en évitant d’y faire explicitement référence. Sans oublier l’inexcusable allégeance de la marque à l’électrification, puisque la version "Elettrica" marque l’avènement de son premier Véhicule à batteries.
C’est fou le nombre de gens ayant une idée très précise de ce que devrait être une "vraie Alfa". Jusqu’à Ferdinand Piech, alors tout puissant patron du groupe Volkswagen qui à l’occasion d’un discours prononcé à l’ouverture du Mondial de l’Automobile parisien en 2011, n’avait pas hésité à affirmer que le constructeur lombard verrait ses ventes quadrupler s’il intégrait le giron de Volkswagen. Mais au moins peut-on créditer l’homme d’une compétence certaine sur le sujet, même si le doute subsistera à jamais sur la justesse de ses vues puisque l’offre fut poliment mais fermement déclinée. Comme le fut également celle de 2018 formulée cette fois par Herbert Diess, soi-disant dans l’idée d’exaucer le vœu de son prédécesseur.
Mais aux légions de Chefs de Produit autoproclamés sévissant en ligne, prônant le retour de musicales motorisations multicylindres et de carrosseries signées de grandes maisons italiennes de la carrosserie, je crains devoir annoncer une mauvaise nouvelle : Les "vraies" Alfa ne se vendent pas. J’en veux pour preuve les moins de 25.000 exemplaires de la très belle Giulia écoulés en Europe en 2017, et la petite dizaine de milliers d’entre eux ayant trouvé preneur en Amérique du Nord la même année, alors qu’elle était supposée être au sommet de sa forme commerciale. Une performance pour le moins décevante pour une auto qui ne manquait pourtant d’arguments sur aucun des critères correspondant à une authentique production de la marque. Force est donc de constater qu’il n’y a pas grand monde pour "joindre la monnaie à la parole" -pour traduire approximativement ce qu’en diraient nos amis américains- et que s’ils s’expriment en nombre, les gardiens du temple milanais ne sont pas acheteurs.
La terrible vérité -celle qui ne me vaudra pas que des amis- c’est qu’en 2024, il est du devoir du Directeur Plan-Produit Alfa-Roméo de ne surtout pas faire une "vraie Alfa", la marque ayant urgemment besoin d’une Alfa qui se vende. Et de ce point de vue, n’en déplaise aux Alfistes qui n’achètent pas les "vraies Alfa", les représentants de la marque me semblent parfaitement fondés à se tourner vers les SUV du segment B, compte-tenu de l’importance que la catégorie revêt désormais en Europe, même si on ne peut nier qu’une telle démarche se traduit par une descente en gamme. Quant à imaginer que ses concepteurs disposeraient d’autres ingrédients que ceux mis à disposition par la maison-mère pour concocter l’engin, ça me parait relever d’une profonde méconnaissance du fonctionnement de l’industrie automobile.
Leur restait à injecter la juste dose de condiments Alfa dans la préparation, ceux-là même qui permettent de saupoudrer généreusement le communiqué de presse du lancement d’allusions à l’inévitable "ADN" de la marque. En la matière, chacun pensera évidemment ce qu’il veut du design, même si on ne m’ôtera pas de l’idée que certains arguments relèvent davantage du biais de confirmation que d’un véritable jugement esthétique. D’ailleurs, je doute qu’un seul des lecteurs d’Autoactu.com n’ait pas reconnu la marque en observant la face avant du modèle débadgé s’il avait été mis en sa présence dans une salle de clinic-test. Quant à l’indispensable grain de sportivité associé à la marque, c’est principalement la version électrique "Veloce" qu’il assaisonne, entre la motorisation de 240 ch, la direction annoncée comme "la plus directe du segment", l’assiette rabaissée de 25% ou encore le différentiel mécanique autobloquant mentionnés dans le dossier de presse.
En fait, je me demande si le principal risque pour le Milano…pardon, Junior, ne réside pas -paradoxalement- au sein même du groupe qui tente d’assurer la survie de son constructeur, mais aussi des 13 autres qui le composent (et même 14 si on y ajoute le chinois Leapmotor). Parce que la richesse du portefeuille de marques de Stellantis n’est pas sans rappeler celle qui a poussé General Motors il y a quelques décennies, à sacrifier Oldsmobile et Pontiac sur l’autel de la réduction de diversité. A moins qu’à l’inverse, le modèle Italien de fasse recette au point de piquer dans l’assiette -et les clientèles- des autres membres de la famille.
D’autant plus que la recette du Junior Milanais (ou pas) me paraît loin d’être aussi mauvaise que certains veulent bien l’affirmer. Personnellement, je ne serais d’ailleurs pas mécontent que ses scores commerciaux n’infligent une cuisant démenti à un certain ministre, histoire de garantir l’avenir d’une marque italienne que personne n’a envie de voir disparaitre.
Et si tout ça se concrétise, allez savoir le genre d’Alfa qu’ils nous concocteront avec les bénéfices engrangés…