03/10/2024
E-Calimero
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’un poussin branché, qui trouve certaines critiques vraiment trop injustes…
Si comme moi, vous fréquentez un peu trop les réseaux sociaux, sans doute vous arrive-t-il de lire non seulement certaines publications, mais aussi -incidemment bien sûr- les commentaires qui les accompagnent. En ce cas, il est probable que vous ayez remarqué un phénomène aussi fréquent qu’amusant. Il n’est en effet pas rare que la majorité des réactions à un post en particulier consistent à dénoncer d’autres réactions qu’elles surpassent largement en nombre. A tel point qu’il faut parfois descendre très loin dans le fil (le "thread" diront les pratiquants assidus) pour trouver enfin l’origine de la critique à la critique.
Si je vous en parle, c’est qu’il me semble avoir observé quelque chose de similaire à propos des publications émanant de promoteurs -souvent acharnés- de la voiture électrique, lesquelles commencent désormais rarement sans dénoncer ce que leurs auteurs considèrent comme une contre-vérité, voire un mensonge ou carrément du "bullsh1ting". Evidemment, les responsables de telles aberrations sont aussitôt cloués au pilori épistolaire, qu’ils soient nommément désignés ou assimilé à la confrérie aussi générique qu’hétéroclite des "anti-VE". Bref, l’heure est semble-t-il à la victimisation dans la VE-sphère, laquelle semble affectée par une espèce de syndrome de Calimero.
Qu’on ne se méprenne pourtant pas. Je suis parfaitement conscient de ce qui se publie régulièrement d’excrément de mammifère domestique ruminant à propos des autos à batterie, et je ne juge pas inutile d’y répondre, surtout de manière informée. Pas tant pour convaincre ceux qui en sont à l’origine -c’est en général parfaitement inutile- qu’à destination des indécis qui essayent de se forger une opinion ou ceux qui montrent suffisamment d’ouverture d’esprit pour en changer. Bref, ainsi va la vie en ligne où il s’écrit de tout à propos de n’importe quoi, et pas seulement de voitures. Mais quand les publications fustigeant le VE-bashing se montrent significativement plus nombreuses que celles qui le pratiquent, j’estime être en droit de m’interroger, même si je m’étais jusqu’ici abstenu d’évoquer le sujet dans ces lignes. C’est qu’il me semblait que peut-être, mes différents murs d’actualité pouvaient être biaisés, et que publier un texte à propos de textes critiquant des textes frisait le capillotractage.
Mais ça, c’était jusqu’à une certaine tribune.
Si l’on en croit l’un de nos dicos favoris, une tribune consiste -entre autres- en "une émission, page de journal, etc., offerts par un média à quelqu'un, à un groupe pour qu'il exprime publiquement ses idées, une doctrine". Et il me parait difficile de trouver définition plus adaptée que celle du père Larousse à celle mise en ligne et sur papier le 20 septembre dernier, intitulée : "Défendons la mobilité électrique face à la désinformation". Parce qu’après l’avoir lue -je vous recommande d’en faire autant- je me suis dit que je n’avais cette fois plus d’excuse valable pour ne pas me saisir de mon clavier.
J’aurais d’ailleurs pu le faire avant d’avoir pris connaissance de son contenu, tant son existence même semble confirmer implicitement ce que nombre de ses 7.738 signataires ne veulent pas forcément admettre, probablement dans une forme de déni amoureux. Autrement dit, que les ventes de voitures électriques sont loin d’être aussi florissantes que certains continuent à le prétendre. Imagine-t-on en effet qu’aurait été publié un tel papier si les usines chargées de les produire tournaient à plein régime pour alimenter des showrooms dans lesquels les clients branchés -ou désireux de l’être- feraient la queue devant le bureau des vendeurs ? Dans un tel contexte, on imagine plutôt que la Tribu des "anti-VE" n’aurait pas voix au chapitre, et serait tout simplement ignorée. Mais dans l’état actuel des choses -et des ventes- ce n’est pas nécessairement appartenir à cette dernière que de constater la baisse de la part de marché des VEB dans l’UE, lesquels ne représentent que 12,6% des ventes de véhicules neufs depuis le début de l’année, contre 14,6% en 2023.
Mais intéressons-nous plutôt à la substantifique moelle de ce manifeste, qui invoque sans surprise et très largement le changement climatique, justifiant que "les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre se multiplient, à l'échelle nationale et internationale". Mentionné en introduction et dans le corps du texte, il apparait également en filigrane dans une conclusion déclarant solennellement : "Ensemble, défendons la mobilité électrique et faisons entendre la voix de ceux qui croient en un avenir plus propre et durable". Or, si elle paraît très chouette à lire, cette grandiloquence me parait constituer une lame rhétorique à double-tranchant, considérant en premier lieu que les mieux-disants en la matière ne manqueront pas de faire remarquer qu’un "avenir propre et durable" passe par la disparition pure et simple de l’automobile individuelle quelle que soit sa chaîne de traction.
Mais aussi parce que ce genre de posture-là revient à situer l’acquisition d’une automobile sur le plan de la moralité. En clair, elle suggère de façon implicite que celui qui ne ferait pas le "bon choix" pourrait être tenu pour personnellement responsable d’épisodes climatiques plus ou moins inhabituels. En oubliant consciencieusement que les acheteurs de voitures neuves contribuent tous au renouvellement du parc automobile en mettant à la route des modèles qui ont réalisé depuis des années des progrès spectaculaires en matière de dépollution et d’émission de CO2 (ce qui pour mémoire, constitue deux choses différentes).
A bien y réfléchir, ce genre de discours culpabilisant ne peut donner lieu qu’à trois type de réactions, entre l’adhésion, le malaise ou le rejet. Or, s’il est sans doute inutile de prêcher des convaincus, il me parait pour le moins contre-productif voire carrément dangereux de susciter des réactions adverses, justement susceptibles d’alimenter les rangs des "anti". En d’autres mots et si elle ne doit être occultée pour autant, ce n’est pas la question du climat qui mobilisera en priorité les futurs acheteurs de VE, mais plutôt les avantages qu’ils y trouveront pour leur usage personnel.
Et puisqu’il est question de "bullsh1tage", rappelons tout de même que celui-ci n’est pas uniquement l’apanage des opposants, et que certains EVangélistes acharnés feraient sans doute bien de se saisir des balais du stator pour nettoyer leur seuil de porte. A commencer par ceux qui confondent hybrides et voitures électriques, histoire de les additionner selon leurs convenance aux chiffres de vente ou de production des "full électric" afin de servir une histoire, comme celle selon laquelle il se vendrait désormais plus de voitures électriques en Chine de que véhicules équipés d’un moteur à combustion. Pour avoir poliment expliqué que ces dernières -quand bien même pour certaines électrifiées- représentaient 70% des immatriculations de voitures neuves dans l’Empire du milieu, j’ai été récemment "bloqué" par un consultant très en vue sur les médias et qui chuchote à l’oreille de certains politiques. Visiblement, ma vision du marché est irréconciliable avec celle d’un ingénieur qui voit une voiture électrique dans un engin mu par des cylindres buvant du pétrole…
Il y a aussi un joli conte norvégien à la mode en ce moment, selon lequel le nombre de voitures électriques dépasse désormais celui de leur équivalentes à essence sur les routes du pays. Passons sur le fait que les hybrides sont soigneusement exclues du raisonnement pour consulter les mentions de bas de page en petits caractères, qui spécifient que par "essence", il faut comprendre "essence" au sens strict et non pas moteur à combustion, alors que la majorité des véhicules qui roulent au pays des trolls sirotent du gazole. Une manipulation plutôt qu’un mensonge stricto sensu, mais d’autant plus dommage que les 26% de voitures (vraiment) électriques composant son parc situent la Norvège au sommet du classement mondial. C’est donc aux décisions mises en place pour y parvenir qu’il conviendrait plutôt de s’intéresser, et dans quelle mesure celles-ci sont applicables ou non en terres gauloises.
Mais il me faut encore évoquer le point central de cette tribune, lequel tient dans la phrase suivante : "C'est pourquoi nous, professionnels de l'automobile, passionnés ou simples utilisateurs, signons cette tribune pour demander aux médias de tous types de faire preuve de plus de rigueur et de responsabilité dans leurs reportages sur la voiture électrique."
Et là, il y a un truc qui m’échappe. Laissons de côté cette nouvelle manifestation d’"EVictimisation", dont le message sous-jacent suggère que "les médias" (on comprendra "les autres") passent leur temps à diffuser des billevesées à propos de la voiture électrique, alors que les signataires du document font évidemment constamment preuve de la plus grande rigueur. Parce que c’est de liberté d’expression dont il est ici question, à l’égard de laquelle la tribune me semble virer subtilement au tribunal. Je sais, le grand mot est lâché. Mais je rappelle qu’en dehors des limités fixées par la loi, celle-ci ne saurait en principe faire l’objet de quelle que censure que ce soit, quand bien même s’agit-il d’une simple "pression" de la part de confrères invoquant un degré d’expertise supérieur.
Certains me répondront sans doute que c’est justement de cette liberté-là que font usage les auteurs et signataires de cette tribune, ce qui est sans doute au moins en partie recevable. Mais permettez-moi de trouver pour le moins curieuse cette initiative, de la part de ceux qui disposent en principe des meilleurs outils pour contester les publications qui les dérangent, ce à quoi j’ajouterai que s’ils considèrent disposer d’arguments supérieurs, leur métier consiste précisément à les faire prévaloir.
Qui plus est, je me demande dans quelle mesure tout ça rend véritablement service à la voiture électrique. On observera d’ailleurs dans ce texte comme dans bien d’autres, l’absence de celui qui constitue pourtant le principal intéressé en la personne du client potentiel, comme si tout ça devait se régler sans lui, entre le législateur, les constructeurs et les médias. Peut-être par réflexe professionnel, après 27 dans les services études de marché, planification produit et marketing de différentes marques, j’ai plutôt tendance à me demander comment on pourrait séduire ce gars-là et lui faire aimer la voiture électrique plutôt que de le traiter comme le dernier des "Brontosaures" -aimable qualificatif auquel j’ai récemment eu droit – quand il n’adhère pas spontanément
Il n’est d’ailleurs pas impossible que malgré les réticences qui sont les miennes -quant à la façon dont on veut l’imposer, et non point sur l’objet lui-même- je sois au final un meilleur défenseur de la voiture électrique que certains de ceux qui en ont fait -peut-être un peu trop- leur profession de foi. C’est pourquoi je conclurai ma mini-tribune à moi, en conviant tous ceux que la voiture à batteries n’a pas encore séduits à s’installer au volant de l’une d’entre elles, histoire de se forger leur propre opinion. Mais aussi à prendre le temps de bavarder avec ceux qui l’utilisent au quotidien, qui sauront mieux que quiconque les renseigner sur les joies et les peines de la VE.
Et surtout, qu’ils se disent que quel qu’il soit, leur choix n’est pas contestable, pas même par Calimero…