22/07/2021 - #Tesla , #Audi , #Nissan
Dépassées, les bornes ?
Par Jean-Philippe Thery
C’est un sujet à haute tension que j’évoque aujourd’hui, où je me demande comment ceux qui ont en charge de promouvoir la voiture électrique comptent s’y prendre avec des bornes de recharge à image négative.
Au Brésil, l’électricité relève du miracle permanent.
A commencer par la tension, qui varie selon les états adhérant à des écoles de pensée différentes, entre partisans du 110 volts-qui-est-en-fait-du-127, ceux qui ont adhéré au 220 et quelques indécis. Mais comme rien n’est simple, ça ne signifie pas qu’on ne trouve pas du 220 dans les états 110 (et inversement), comme n’en témoigneront plus les différents appareils que j’ai déjà cramés, au rang desquels on compte un aspirateur, un écran d’ordinateur et quelques chargeurs de téléphone, à l’époque où ceux-ci n’étaient pas encore bi(volt). De toutes façons, tout ça varie joyeusement, obligeant les utilisateurs à recourir à des stabilisateurs pour protéger les appareils sensibles, ainsi qu’à stocker les fusibles qui fondent régulièrement dans les multiprises.
Et comme si les douches électriques dont la mise à la terre n’est pas toujours garantie, les fils qu’on entortille et qu’on adhésive plutôt que de les "sucrer", ou les installations hasardeuses qui sont courantes ne suffisaient pas, le pays a adopté depuis 2000 un drôle de format de prise à trois broches de type “N“, héritage d’une tentative d’internationalisation ratée de l’IEC (International Electrical Commission), qu’il partage uniquement avec l’Afrique du Sud. Le résultat, c’est que le meuble de ma cuisine qui supporte micro-ondes, grille-pain, cafetière et Nespresso se distingue par un empilage de câbles, connecteurs et prises plus ou moins multiples à faire se retourner dans leurs tombes respectives Alessandro Volta, Nikola Tesla et Thomas Edison. Comme la nouvelle norme a évidemment été mise en place “pour des questions de sécurité“ (en supposant sans doute que le reste du monde n’a rien compris), seuls les équipements compatibles sont autorisés à la vente, ce qu’ignorent évidemment les camelots et autres marchands de rue qui se font un plaisir de vous fournir en échange de quelques réais les adaptateurs permettant de maintenir en activité les prises aux formats divers et variés qu’on trouve encore ici.
Mais je serais injuste si je ne mentionnais pas le fait que le Brésil est le deuxième producteur au monde d’électricité d’origine hydraulique, laquelle subvient aux deux tiers de ses besoins courants, contribuant à un niveau d’émission de CO2 par habitant inférieur de 56% à la moyenne mondiale. Sans compter que le caractère parfois ubuesque des installation locales, illustré par mes petits soucis domestiques n’a probablement rien à envier à celui de notre réseau de recharge destiné aux voitures électriques.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, sachez que j’assume totalement mon ignardise en la matière. Mon expérience de la voiture électrique se limite en effet à la conduite d’une Clio dans les rues de São-Paulo dans les années 90, laquelle m’a surtout permis d’expérimenter les symptômes de la fameuse “range anxiety“, et plus récemment d’une 208 électrique qui m’a fait forte impression, mais qu’on m’a prêtée impeccablement préparée, nettoyée, parfumée et surtout … chargée !
Et ça tombe bien, puisque je me trouve ainsi dans la situation de l’acquéreur potentiel d’une automobile neuve disposant de certains revenus, et qui se demande si l’heure n’est pas venue de renoncer à des combustibles aussi fossiles que dégoûtants. Alors évidemment, j’ai fait exactement ce que notre acheteur en puissance -c’est le cas de le dire- ferait en pareille circonstance, en commençant par consulter les convertis parmi mes amis.
Ce qui m’amène à la voiture de fonction de Paul. Au moment de la remplacer, celui-ci était particulièrement content de se voir proposer une e-tron à mettre dans son étable, enfin je veux dire une Audi à batteries dans son garage. Et son bonheur ne s’est pas démenti au cours des deux semaines de navettage quotidien qui ont suivi, au cours desquelles il a pu apprécier entre autres qualités le confort acoustique et les performances procurés par la belle allemande.
Mais ça, c’était avant que Paul n’ait la folle idée de partir en weekend quelque part en Champagne, très loin de son domicile de la banlieue Ouest de Paris, un trajet pourtant compatible avec l’autonomie affichée au départ par l’écran de l’ordinateur de bord. Mais après 100 km d’autoroutes parcourus à des allures pourtant très légales, celle-ci a fondu comme un fusible en surtension, obligeant à un arrêt recharge non prévu dans une ZAE dont on imagine volontiers le caractère riant un vendredi soir. Bien qu’arrivé en retard chez les amis qui l’hébergeaient, Paul s’en fut néanmoins dormir avec la sérénité de l’électromobiliste sachant qu’il retrouverait au petit matin une auto gonflée à bloc après une nuit d’alimentation continue au jus de secteur alternatif.
Las, les trente malheureux kilomètres d’autonomie récupérés en nocturne le contraignirent à consacrer une partie de sa matinée à une nouvelle visite de borne. Autant vous dire qu’en arrivant au bureau le lundi matin, Paul met l’Audi en sous-sol pour ne plus y toucher, et récupère aussitôt un autre spécimen lui aussi marqué de quatre anneaux, mais cette fois du genre motorisé par un exemplaire de la mécanique à allumage par compression inventée par un certain Rudolf, dont nous tairons pudiquement le patronyme afin d’éviter de possibles représailles de la part des représentants de la cancel culture thermique.
Si en homme d’études (de marché), je n’étais pas convaincu qu’on ne construise ni de règle générale sur un ou deux exemples, ni d’échantillon avec ses potes, je vous raconterais volontiers le périple effectué à bord d’une Nissan Leaf par mon ami Alexandre entre Versailles et Rouen, lequel nous ferait presque regretter le temps des diligences de la fin du XIXe siècle, quand on ne mettait guère que 18 heures pour rallier la capitale de la Normandie depuis la rue de Notre-Dame-des-victoires à Paris. Mais foin d’hyperbole, puisque c’est dans un souci de probité méthodologique que je me suis adressé au camarade Google pour vérifier si les assertions de mes aminches ne relevaient pas du cas particulier malchanceux.
Mais à lire les différents témoignages que j’ai trouvés sur le Net, force m’est de reconnaître que les gars de chez WLTP (acronyme Briton de “procédure d’essai mondiale" harmonisée pour les voitures légères) se montrent plutôt très optimistes quand il s’agit d’évaluer le rayon d’action des VE, alors qu’on avait justement fait appel à eux en septembre 2018 pour mettre fin à la norme NEDC (pour “nouveau cycle européen de conduite“), laquelle promettait à des automobilistes tournés en bourrique des valeurs de consommation de carburant liquide très en deçà (mais alors vraiment très en deçà) de la réalité.
Il faut dire que les VE sont apparemment sensibles à un tas de truc comme la température, le sens du vent ou la consommation d’accessoires gourmands, qui vous mettent à mal un rayon d’action en moins de temps qu’il ne le faut pour consulter sa conso instantanée sur l’écran du computeur embarqué. Mais le pompon, c’est sans doute que le facteur vitesse est le plus impactant. Alors que le conducteur d’une e-tron dispose d’une machine capable de torcher le zéro à cent en 5,7 secondes, celui-ci se voit contraint d’effleurer la pédale d’accélérateur en sortie de péage avant de se caler au régulateur à 110 km/h, afin d’éviter l’humiliation de voir la photo de sa voiture sur un camion balai à motorisation sale diffusée sur les réseaux sociaux.
Evidemment, il y a toujours des âmes charitables qui n’oublieront pas de nous rappeler que “le Français moyen“ ne parcoure que 22 km par jour pour ses déplacements du domicile au travail et retour, soit une distance très inférieure à l’autonomie du plus limités des VE. Un raisonnement qui fonctionne sans doute très bien pour une seconde voiture, ou pour des véhicules de flotte effectuant des trajets standardisés, mais qui oublie complètement que l’acheteur de la voiture principale du foyer choisit son modèle en fonction de son usage maxi, s’exerçant principalement à l’époque des grandes transhumances estivales.
Mais admettons qu’une autonomie réelle sensiblement inférieure à celle annoncée par la fiche technique du prospectus ne fasse pas renoncer un prospect disposé à effectuer de savants calculs planificateurs pour les trajets dépassant la porte de son bureau, du supermarché ou de la salle de gym locale. Alors à lui le jeu des 1.000 bornes ! Ou plutôt des 43.700 que compte aujourd’hui l’hexagone (selon Barbara Pompili, notre ministre de la Transition écologique) auxquelles il aura donc tout le loisir de se brancher. Enfin, s’il trouve la bonne prise entre les modèles 1, 2 ou 3, Chademo ou CCS, dont la diversité n’est donc pas en reste par rapport à l’installation électrique de ma cuisine carioca, et à propos de laquelle l’UE pourtant si désireuse de nous priver de la combustion interne n’a semble-t-il pas encore mis bon ordre, à constater que trois des modèles de prises en question ont été adoubés au standard européen.
Mais j’exagère une fois encore, puisqu’un individu normalement entraîné au jeu des formes géométriques dans sa tendre enfance n’aura sans doute aucun mal à connecter la bonne prise à son alter-égo, s’il na pas oublié son câble que les bornes ne fournissent pas pour certains formats. N’imaginez pourtant pas qu’il soit au bout de ses peines, si l’on en croit le retour d’expérience d’un certain nombre d’utilisateurs se plaignant d’équipements régulièrement en panne, et de la difficulté de faire fonctionner certains d’entre eux, malgré l’interopérabilité permettant théoriquement d’y accéder quel qu’en soit l’opérateur. Et avant d’imaginer que ceux-là sont de mauvaises langues à la solde du lobby pétrolier, sachez que plusieurs études mettent en avant le mauvais état du parc de bornes existant, avec un entretien qui laisse visiblement à désirer. C’est le cas de celle publiée en février par l’AFIREV (Association Française pour l'Itinérance de la Recharge Électrique des Véhicules) selon laquelle un quart des installations présenterait des défauts de fonctionnement.
Bon, mais il y a tout de même bien des gens qui arrivent à se brancher, non ?
Sans aucun doute. Reste à voir à quel type de matériel dans un univers visiblement constitué de castes entre bornes à petite, moyenne ou haute puissance de recharge et celles proposant un courant mono ou triphasé, qui ne présentent évidemment pas toutes les mêmes performances. C’est particulièrement vrai s’agissant de la recharge dite rapide, supposée restituer 80% de leur tonus aux batteries le temps de prendre un expresso (double) et un croissant (en mastiquant bien). Sans mentionner des variations de tarifs allant de moins de 10 euros à plusieurs dizaines d’entre eux pour un “plein“, dont l’avantage économique promis qui est pourtant supposé constituer un avantage de l’électrique par rapport à l’essence apparaît donc peu évident.
Histoire d’enfoncer encore un peu le clou, laissez-moi encore évoquer la question de l’expérience client. Parce que même si je ne fréquente pas (encore) les stations de recharge, j’ai pu observer par photos interposées que la plupart de ses concepteurs n’ont visiblement pas été informés de l’existence des intempéries ou du rayonnement solaire, puisque nombre d’entre elles sont dépourvues ne serait-ce que d’un semblant d’auvent. Et puis, la scène de l’automobiliste se saisissant d’un câble pour brancher son auto me rappelle immanquablement les séances de regonflage des pneumatiques, avec ce truc noir serpentueux qui finit immanquablement par se frotter sur le Burberry beige de l’infortuné propriétaire. Malheureusement, il semblerait que le chargement par induction soit pour l’instant réservé aux téléphones portables posés sur la console centrale.
Bref, il semblerait qu’à l’aune de la transition énergétique, les bornes soient déjà dépassées. Avec 600.000 VE semble-t-il en circulation sur le territoire français, le ratio d’un point de chargement pour 10 véhicules préconisé par l’UE -même si on se demande sur quelle base- est donc loin d’être atteint, sans même prendre en compte les difficultés évoqués précédemment. Evidemment, personne n’imagine sérieusement que l’objectif des 100.000 bornes un temps mentionné pour la fin de l’année sera atteint. Et à ce rythme-là, les 800.000 unités affichées par la PFA dans l'"ambition de la feuille de route à 2030 pour la filière automobile en France au sein de l’Europe" ressemblent à de la science-fiction
Pourtant, si nos édiles veulent convaincre Vincent, François, Paul et les autres de venir -ou revenir- au plus vite à l’électrique, il va falloir mettre un sérieux coup de boost aux infrastructures, au-delà des déclarations de "bornes intentions".
En attendant, je vais me préparer un expresso. Ou du moins vais-je essayer.