05/12/2022
Dans une usine de roues, produire la nuit pour éviter les coupures d'électricité
Par AFP
(AFP) - "Bravo à tous, économie de 19%": à l'usine de roues Accuride, près de Troyes, les salariés travaillent désormais la nuit pour réduire la consommation d'électricité et les risques de coupure de courant.
A l'extérieur du bâtiment, un écran indique le niveau de la consommation énergétique de la veille et félicite les équipes de leurs efforts.
Des hangars de la Chapelle-Saint-Luc sortent des roues en acier pour utilitaires et véhicules de tourisme ainsi que des roues de métro destinées au monde entier. Des machines y déroulent de gigantesques bobines de feuilles de tôles, tandis que des jantes circulent sur des tapis roulants comme sur autant d'autoroutes interconnectées.
Les 240 salariés du site Accuride Wheels Troyes -- une filiale du géant industriel américain Accuride -- travaillent habituellement en deux équipes
(2X8) de 5H00 à 21H00. Mais, depuis novembre, les chaînes de production ont tourné trois semaines de 13H00 à 5H00 du matin, un rythme qui sera aussi imposé mi-décembre et en janvier.
"Nous avons volontairement décalé notre production afin 'd'effacer' 3,6 MWh de consommation du besoin national, lors du pic du matin 8h00-12h00", "c'est l'équivalent de la consommation de 1.000 foyers", indique Hugues Dugrés, directeur général.
La direction s'est basée sur les analyses du gestionnaire du réseau de transport d'électricité, RTE, relevant les périodes de tension en alimentation à l'échelle nationale.
En fonction des estimations à venir de RTE, "il est possible que nous décalions encore en janvier ou février", anticipe Hugues Dugrés.
"Responsabilité sociétale"
Outre l'envolée record des tarifs, la production électrique française est historiquement faible car près de la moitié des réacteurs nucléaires sont à l'arrêt.
D'autres sites industriels, Toshiba à Dieppe ou Setforge et Ascométal en Lorraine, ont ou vont réorganiser leur production, selon franceinfo.
A Accuride, la motivation n'est pas pécuniaire, insiste M. Dugrés, pour qui la réorganisation traduit une "responsabilité sociétale" et un souci de protéger l'outil industriel.
Derrière lui, une machine d'emboutissage produisant des pièces métalliques à partir d'une fine feuille de tôle : "En cas de rupture soudaine d'approvisionnement, elle pourrait rester bloquée plusieurs heures voire plusieurs jours, on ne peut pas prendre ce risque".
La facture énergétique de l'usine est passée de 1,8 million d'euros en 2021 à plus de 4,4 millions en 2022. La réorganisation a permis la semaine dernière une économie de presque 10.000 euros. Mais la somme est en partie réabsorbée par les majorations salariales du travail de nuit, affirme Alexis Beck, responsable de l'énergie pour le site troyen.
"Pas forcément le choix"
"L'électricité est notre troisième poste de dépense historique sur notre fabrication", après l'acier et les salaires, mais "cette année l'énergie va certainement arriver à l'équivalence de la masse salariale", indique-t-il.
"Travailler la nuit, quand ça fait des années qu'on ne l'a pas fait, c'est dur", constate Nicolas Godard, producteur suppléant sur une ligne qui prépare les disques d'acier.
"La prime de nuit, ça fait un petit plus sur la paie à la fin du mois", reconnaît toutefois ce père de deux enfants. D'autant qu'il a trouvé une solution de garde gratuite, avec un grand-père qui "peut garder les gamins pendant la nuit".
"J'arrive à comprendre qu'on décale nos horaires pour délester un peu le réseau, mais ça fait toujours un petit peu plus de contraintes", confie aussi Antonio Garcia, dépanneur, depuis 22 ans à Accuride.
Pour Didier Le Beller, délégué syndical FO, "tout le monde joue le jeu parce qu'on n'a pas forcément le choix mais c'est pas évident, il y a des gens pour qui cela crée de gros problèmes" pour la vie de famille.
Il chiffre à environ 120 euros brut à la fin du mois le bénéfice pour les salariés concernés.
Cette bascule sur la nuit fait partie selon EDF, des formules choisies par les industriels pour faire face à la crise énergétique.
RTE indique pour sa part travailler avec les entreprises pour éviter des coupures, avec une panoplie "d'éco-gestes".