13/02/2025 - #Tesla , #Dacia
Allons zenfants de la batterie…
Par Jean-Philippe Thery

Aujourd’hui, je vous explique comment raconter une révolution avant qu’elle n’ait eu lieu…
Comme chacun le sait, janvier -januarius en latin- doit son nom à Janus.
Le dieu romain des commencements et des fins, ambivalent et bifrons, autrement dit doté de deux visages opposés. Tourné vers le futur, l’un nous rappelle que le premier mois du calendrier grégorien est aussi celui des bonnes résolutions, même si paradoxalement sans lendemain pour la plupart d’entre elles. Quant à son opposé lui tournant le dos et contemplant le passé, c’est au bilan de l’année qui vient de s’écouler qu’il nous incite. Une dichotomie génératrice de dissonance cognitive, expliquant sans doute pourquoi -en sus de la météo- janvier est généralement considéré comme le mois le plus déprimant. Même si le fameux "Blue Monday" qui en constitue le point d’orgue -ou plutôt bas- n’a aucun fondement scientifique, puisque né d’une campagne de pub réalisée en 2005 pour l’agence de voyage britannique "Sky Travel", visant à donner des envies d’évasion aux sujets de sa gracieuse Majesté en décrétant que le troisième lundi de janvier était le jour le plus déprimant de l’année.
Il n’empêche. N’y voyez surtout pas un hasard si l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobile) a choisi le mardi 21 janvier plutôt que la veille pour publier les statistiques de ventes de voitures neuves pour 2024. Avec 0,8% de croissance des volumes par rapport à une année 2023 elle-même en toute petite forme, les professionnels du secteur n’ont de fait pas de raison de se réjouir, même si ce n’est pas le sujet dont je compte vous entretenir aujourd’hui. En même temps, le chiffre que je m’apprête à vous livrer ne devrait pas non plus vous inciter à la rigolade, puisqu’avec à peine 13,6% des ventes de voitures neuves, la part de marché des voitures électriques à batterie a en effet reculé pour la première fois dans l’UE, de très exactement un point. Et même en ajoutant le Royaume Uni ainsi que les pays de l’EFTA (à vos souhaits), constituée de l’Islande, le Lichtenstein, la Norvège et la Suisse- celle-ci ne dépasse pas 15,4% (contre 15,7% en 2023).
Je sens bien que je vous ai déjà gâché le plaisir de lire la chronique du jeudi, et vous m’en voyez désolé. Mais ne partez pas pour autant, puisque je m’apprête à vous raconter de toutes autres histoires sur le même thème. Tenez, prenez par exemple celle des "véhicules à énergie nouvelle", associant aux modèles 100% électrique ceux qui embarquent deux types de motorisations inventées au XIXe siècle.
En rangeant sous la bannière générique des "électriques" des engins hybrides mus principalement par un dispositif à pistons alternatifs sirotant du jus de diplodocus fermenté, on donne en effet un joyeux coup de fouet aux chiffres de vente de la catégorie, tout en réinventant l’art de faire passer des V6 pour dans lanternes (à piles bien sûr). Dans le même esprit, je peux également vous conter la fable des volumes, ou mieux encore, de leur progression. Si vous l’avez déjà entendue aux débuts de l’électrification, alors qu’ il était facile d’annoncer des croissances spectaculaires en partant de rien ou presque, elle reste efficace de nos jours. Par exemple pour commémorer une "année record" aux Etats-Unis, puisque les ventes de voitures électriques y ont augmenté de 8% en 2024 pour s’établir à 1,3 million d’unités. Bon évidemment, on passera sous silence qu’en dehors d’une partie des volumes additionnels imputables à la croissance du marché total la participation des VE est passée de 7,8 à 8,1%.
Laissez-moi encore vous faire le coup de "la voiture la plus vendue au monde". Celui-ci produit toujours son petit effet, même si l’incontestable performance commerciale de la Tesla Y signale davantage le succès de la marque que celui de son marché. Mais que le modèle ait désormais été dépassé en Europe par la Dacia Sandero semble augurer de perspectives moins favorables, entre une concurrence chinoise de plus en plus pressante, une gamme qui a pris un sérieux coup de vieux et des clients potentiels ne goûtant pas tous les gesticulations de son président.
Je sais, tout ça sonne un peu faux, et je n’ai sans doute pas réussi à vous mettre du baume au cœur. Mais que voulez-vous, l’ancien chef de produit qui sommeille en moi se réveille volontiers à la vue de statistiques de ventes. Et ce gars-là sait bien que pour mesurer la performance d’un produit quel qu’il soit, c’est la part de marché qui constitue le juge de paix -ou plutôt le KPI comme on dit aujourd’hui- et non point les volumes, lesquels sont influencés par les variations du marché ou du segment considéré.
Une réalité que je connais bien pour avoir bossé sur des pays à l’économie un peu "remuante", où la croissance de volumes peut en fait signifier la régression d’une marque ou d’un produit ci celle-ci ne dépasse pas celle du marché de référence (et inversement). Et ce qui est valide pour une marque ou un modèle vaut évidemment aussi pour l’électrification, dont seule la "PDM" des VEB par rapport au nombre total de voitures permet de rendre compte de l’évolution. Bref, je viens de vous réexpliquer de façon très alambiquée ce qu’est un pourcentage, et de confirmer que celui publié par l’ACEA le lendemain du lundi bleu n’est décidément pas bon.
Mais pour certains, rien n’y fait, puisque dans une version revisitée de "tout va bien Madame la Marquise", ceux-là verront dans ce type d’analyse une forme évidente de résistance face à un changement qu’ils jugent inéluctable. C’est la même logique nous expliquent-ils qui animait les adeptes du cheval à l’égard de l’automobile au début du siècle dernier ou qui a plus récemment condamné Kodak -dont ils adorent évoquer le cliché- la multinationale américaine n’étant plus que l’ombre d’elle-même depuis qu’elle a raté le tournant de la photographie numérique. Et pas la peine de faire remarquer que ni les premières voitures ni les caméras digitales n’ont bénéficié d’incitations sonnantes et trébuchantes à l’achat, pas plus que la législation n’a condamné l’usage du cheval ou de l’argentique. Celui qui s’y risquerait serait immédiatement assimilé à la catégorie des dinosaures dont les restes mortels ont fourni la matière première au pétrole, carburant duquel il serait immédiatement accusé d’être un incurable addict. Bref, la révolution électrique est en marche, et rien ne pourra l’arrêter.
Cela dit, cette dernière assertion n’est peut-être pas fausse. Qui de nous peut en effet affirmer avec une certitude absolue que la voiture électrique ne supplantera jamais son alter ego à propulsion thermique? Les progrès de la technologie aidant s’agissant notamment des batteries, rien n’interdit d’imaginer que la VE devienne à ce point supérieure à la voiture thermique qu’elle s’impose de façon évidente à tous. Pour reprendre la comparaison photographique, on rappelle d’ailleurs que l’erreur de Kodak fut en fait de ne pas avoir lancé un produit que l’entreprise avait pourtant bel et bien développé, faute d’avoir cru qu’un produit alors encore inférieur à celui existant pourrait trouver son public. Que les VE soient encore perfectibles ne signifie donc pas que nous ne soyons pas en train de vivre les prémisses d’une évolution -plus que d’une révolution- qui finirait par voir l’automobile zéro émission s’imposer comme solution technologique unique.
La mouche dans le potage, c’est qu’on n'écrit pas l’histoire avant qu’elle ne se produise. D’autant plus que si elle doit advenir, la substitution de l’intégralité du parc existant par l’électrique ne se fera certainement pas dans les conditions actuelles de la technologie et du marché. Ce qui n’a pas empêché les autorités européennes d’imposer la transition énergétique dans l’automobile à coup de normes contraignantes s’imposant aux constructeurs, en reléguant au rang de simple variable d’ajustement un acteur pourtant central dans toute économie de marché ouverte. Or, ignorer le consommateur consiste ni plus ni moins à réinventer l’économie planifiée dont on sait pertinemment ce que sont advenues les différentes tentatives. Que certains s’obstinent à soutenir cette démarche-là me paraît relever d’une logique quasi-religieuse quand elle est justifiée par la foi en une cause supérieure, à moins qu’il ne s’agisse de la défense d’intérêts propres de la part de ceux dont l’activité y est attachée.
Puisqu’il en est ainsi, je prêcherai moi aussi pour ma chapelle en proposant de restituer le sujet à celui qui aurait dû s’en occuper dès le début. Parce qu’en plus d’être le gardien de la part de marché, le chef de produit est surtout celui qui ausculte le consommateur, avec ses besoins, ses désirs, les motifs qui l’animent ou les résistances qui le freinent, afin de viser les bonnes cibles avec le produit qui va bien. Autant d’éléments ignorés par nombre de promoteurs de l’électrification qui s’étonnent pourtant de la résistance -c’est le cas de le dire- qu’offrent certains anti-VE, revêtant le même caractère dogmatique dont ils font preuve. A tel point que je me demande si la voiture électrique n’occuperait pas aujourd’hui une meilleure position dans les chiffres de vente, si on avait laissé dès le début le professionnel de service s’en occuper.
Mais considérant qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, rien n’interdit de renverser la vapeur -ou plutôt le courant- en substituant à l’interdiction de la voiture thermique prévue pour 2035 un vrai plan de développement de l’électrique à long terme. Une idée qui manque sans doute d’essence révolutionnaire, mais qu’on pourrait mettre en application dès aujourd’hui.
D’ailleurs ça tombe bien, puisque son étymologie nous rappelle que le mois de février est celui de la purification et du renouveau…