03/03/2022 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Audi , #Alfa Romeo , #Bmw , #Ferrari , #Peugeot , #Porsche , #Stellantis
Alfa donne le Ton(ale)
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’une voiture que je n’ai pas achetée. Et d’une autre que vous feriez bien d’acquérir si vous ne voulez pas voir disparaitre le constructeur dont elle porte l’écusson.
Figurez-vous que j’ai été à deux doigts de m’acheter une Alfa Romeo.
Voilà qui m’aurait permis d’obéir à l’injonction de Jérémy Clarkson, selon laquelle on ne peut décemment prétendre au statut de passionné d’automobile -ou de "petrolhead" en briton dans le texte- sans avoir au moins une fois dans sa vie possédé une voiture du constructeur milanais. Afin nous dit-il, de "faire l’expérience de la douleur, mêlée de déception et d’agonie" qu’un modèle de la marque ne manquera pas de procurer "dans l’attente des quelques instants durant lesquels tout fonctionnera parfaitement sur une route idéale". Un précepte qu’il a lui-même mis en application pour en avoir possédé plusieurs exemplaires, dont la superbe GTV6 2.5 qu’il a conservée et fait remettre en état à l’issue d’un tournage qui lui était consacrée, pour s’empresser de ne pas rouler avec.
Mais en dehors de celles qui ont peuplé son garage, le célèbre journaliste-chroniqueur-amuseur-ex-présentateur de Top Gear ne connaît semble-t-il pas de terme assez élogieux pour chanter les louanges des Alfa qui passent régulièrement dans ses mains d’essayeur professionnel, lui qui ne craint pourtant pas de s’en prendre aux idoles comme la Porsche 911, régulièrement qualifiée de "Coccinelle en baskets", ou d’ "insecte écrasé".
Tenez, prenez par exemple l’essai de la 8C qu’il effectua il y déjà quelques années. Une voiture qui devrait de son propre aveu être plus rapide avec un V8 4.7l de 450 chevaux, présentant des liaisons au sol perfectibles en raison notamment "d’amortisseurs faits de vieux sachets de thés", et affublée d’une direction dure comme du bois. Autant d’éléments, qui ne l’empêchèrent pour autant pas de considérer la 8C comme la preuve indiscutable qu’une automobile peut aussi être une œuvre d’art, en raison du dessin sublime de sa carrosserie. Un lyrisme qu’il réitéra au volant de la Disco Volante construite par Touring sur la même base, dont la dynamique perfectible, sa pédale de frein spongieuse et une visibilité arrière quasi-nulle ne peuvent rien contre des lignes à mourir et une ligne d’échappement à ce point lyrique qu’elle ne peut être que "faite d’Otis Redding".
Pas sûr néanmoins que JC ait été impressionné par le Coupé GT 2006 dont j’ai envisagé l’acquisition, selon lui dessiné à la main droite par un designer gaucher de chez Bertone. Inutile pour autant d’argumenter sur un point de vue aussi contestable, puisque la motorisation 1.9 JTD équipant l’exemplaire en question serait de toute façon rédhibitoire pour notre homme, l’usage du gazole étant de son point de vue destiné à "des gens pour qui la Joconde devrait avoir une moustache". Mais que voulez-vous, l’offre était alléchante avec un prix payable en deux billets, soit moins de la moitié du coût correspondant à l’installation d’un filtre à particules déjà effectuée en rétrofit, indispensable pour avoir "droit de cité" à Berlin. Sans compter que l’auto est équipée en prime d’un dispositif anti-belettes permettant d’envisager des séjours en Forêt Noire en toute sérénité.
Un autre qui ne sera probablement guère plus impressionné par mes velléités alfistes, c’est Jean-Philippe. Je fais bien sûr allusion à Monsieur Imparato, passé il y a un peu plus d’un an du Lion de Belfort -puisqu’il dirigeait auparavant Peugeot- au Biscione de Milan. Autrement dit, le serpent avaleur d’enfant ornant l’écusson des Alfa, emprunté aux armoiries des Visconti qui contrôlèrent la capitale lombarde durant le Moyen-Age. Ça, je vous l’ai déjà expliqué dans ma précédente chronique intitulée "Le mal Alfa", dans laquelle je rappelais également qu’Alfa Romeo est la seule marque automobile de la Renaissance Italienne, mais une renaissance encore non avérée bien qu’attendue depuis longtemps.
Et c’était encore vrai il y a quelques jours, puisqu’Alfa Romeo n’avait plus lancé de modèle depuis l’introduction du Stelvio en 2017, avec pour conséquence une gamme réduite comme peau de chagrin, à peine composée du SUV en question et de la berline Giulia. Une auto que dans sa version Quadrifoglio, mue par un V6 biturbo délivrant 510 chevaux, Jeremy qualifie de "fabuleuse" et même d’"épique" , du moins pour qui réussit à introduire sa bedaine dans l’espace restreint séparant le siège conducteur du volant. Une véritable Alfa, en conséquence à peine choisie par une poignée d’acheteurs depuis son lancement en 2015, et pas seulement parce que le segment D auquel elle appartient déclinait alors déjà au profit des SUV du C.
Mais comme on en parle, vous pouvez sortir les tambours et dérouler les parchemins, puisqu’il y a désormais une nouvelle Alfa-Romeo en ville. Ou plutôt un Alfa devrais-je dire s’agissant d’un SUV, précisément du segment C. Et comme j’en vois déjà certains de vous râler, mettons tout de suite les choses au point : l’anomalie, ce n’est pas tant qu’Alfa lance un nouveau SUV, mais plutôt qu’elle ne l’a pas fait avant. Parce que quelle que soit votre opinion sur les voitures hautes, il s’agit tout de même de la catégorie où il convient de se positionner quand on ambitionne des vendre des voitures. Avec le Tonale, la marque donne donc le ton : celui de la normalisation.
Sauf qu’Alfa-Romeo est tout sauf une marque normale.
Essayez d’imaginer ce que pouvait constituer avant-guerre l’équivalent de Ferrari, mais avec les mugs en plastoc et serviettes de bains à l’effigie du cheval cabré en moins, et un soupçon de classe et d’exclusivité en plus, et vous aurez sans doute une idée plus ou moins précise de ce qu’était arrivée à représenter la marque dans les années 30. Et si l’on songe qu’au plus fort de sa production, l’usine historique de Portello délivra en 1938 un total de 542 voitures à peine, on imagine aisément l’évènement que constituait alors la rencontre avec une Alfa, à l’époque où on ne youtubait pas encore les vidéos de kékés faisant burnouter leur berlinette rouge.
Le conflit mondial enfin terminé, c’est auréolée de ses lauriers d’image mais aussi de ceux qui cerclaient son logo depuis 1925, célébrant sa victoire au premier championnat du monde automobile de l’histoire, qu’Alfa s’engageait dans la production de masse. Mais n’imaginez pas pour autant que la marque donna dans la roture, même si la Renault Dauphine produite sous licence figura un temps à son catalogue. Non, ce que fit Alfa à partir de la Giulietta lancée en 1954, c’est du BMW avant l’heure, avec des autos dotées d’une plastique à se damner, de motorisations double-arbre aux vocalises envoutantes, et de qualités dynamiques capables d’enchanter le père de famille sportif comme le pilote de rallye amateur, en passant par un certain lauréat de grand-écran aimant à découvrir les femmes autant que sa voiture.
Voilà qui explique sans doute le miracle voulant qu’aujourd’hui encore, la marque bénéficie d’une image à nulle autre pareille, alors que depuis l’amorce de son déclin dans les années 70, ses chiffre de ventes tendent à se rapprocher dangereusement de ceux qui étaient les siens quand elle fit naitre sa légende. Le problème, c’est que si nous sommes nombreux à nous délecter des images de 8C ou Giulia filmées sur petites routes de montagne, peu d’entre nous sont prêts à parquer une auto de la marque dans leur garage, par crainte sans doute de la retrouver un beau matin baignant dans son lubrifiant pour cause d’incontinence mécanique, ou produisant au démarrage toutes sortes d’étincelles indésirables, mais pas celles qu’on attend d’une bougie. Les clichés ont la vie dure, et pour la "Anonima Lombarda Fabbrica Automobili" se côtoient les pires comme les meilleurs depuis plusieurs décennies, entretenant l’image d’une marque aspirationnelle, mais à peine aspirationnelle.
Et le Tonale alors ? Nul doute que les ingénieurs de Stellantis rattachés à la marque y ont mis tout leur savoir-faire. Pour autant, et si l’on peut faire confiance au SUV compact dans ses différentes versions pour concurrencer dignement les Audi Q3, BMW X1, Mercedes GLA ou Volvo XC40 et consorts, cela suffira-t-il ? Sincèrement, je ne le crois pas. Parce que si Alfa n’avait qu’à produire de bonnes autos pour rentrer à nouveau dans les grâces des acheteurs en neuf, ceux-ci – ou du moins ceux d’entre eux ayant conservé une silhouette fit à l’approche de la cinquantaine- se seraient tous précipités sur la dernière Giulia. Or il me semble que la marque doit affronter un défi qui va au-delà du plan produit, et d’autant plus complexe à l’heure de l’électrification forcée, qu’il consiste à convaincre un nombre suffisant de non-petrolheads d’opter pour une auto de petrolhead mais pas trop, sans toutefois perdre ces derniers. En d’autres termes, à faire du BMW.
Durant la préparation de cette chronique, j’ai passé beaucoup trop de temps online à regarder des vidéos et relire les essais de différents modèles. Mais je me suis également trituré les méninges à rechercher la recette qui pourrait bien sauver Alfa. Et je suis évidemment loin d’être le premier. Il se dit par exemple qu’en 2010, le Groupe Volkswagen avait monté une équipe complète chargée de concevoir une stratégie et un plan produit pour la marque italienne, qu’il ambitionnait alors de racheter. Je ne sais pas vous, mais je connais peu de constructeurs susceptibles de provoquer autant d’efforts de la part d’un concurrent. Quoi qu’il en soit, l’affaire en est restée là, et je n’ai pas non plus trouvé de solution. Il semble donc qu’il me faille laisser cette délicate mission à l’autre Jean-Philippe, qui serait néanmoins bien avisé de l’accomplir, s’il ne veut pas rester dans l’histoire de l’automobile comme le fossoyeur d’Alfa.
Et la GT me direz-vous ? Comme indiquée précédemment, je ne l’ai finalement pas achetée. Mais promis, ça n’a rien à voir avec les défauts, ni même les qualités de cette brave auto. Et Jeremy n’y est pour rien non plus.