19/11/2020 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Alpine , #Honda , #Jeep , #Man , #Peugeot , #Porsche , #Fiat
Utilitaire, Utilitaire, est-ce que j’ai une gueule d’Utilitaire ?
Par Jean-Philippe Thery
Ça sent la sueur dans la chronique de ce jour. Même si les utilitaires d’aujourd’hui sont de plus en plus rarement dépourvus d’air conditionné et qu’il ne sont pas si éloignés que ça des "VéPés".
Je ne m’en rappelle pas les circonstances exactes, mais durant une très courte période, mon père s’est retrouvé à conduire une Renault 4 Fourgonnette vitrée. Probablement lui avait-elle été prêtée pour quelques jours à peine par un garagiste, le temps que son véhicule habituel soit réparé ou tout simplement révisé, parce que je n’ai aucune réminiscence des trajets effectués avec elle.
Toujours est-il qu’avec deux mômes à trimballer dans une voiture dépourvue de banquette arrière, le paternel pourtant piètre bricoleur dut recourir au système D en amarrant par les pieds les deux petites chaises en osier que ses rejetons utilisaient à la maison. De l’auto en question, je me souviens qu’il s’agissait d’une version F4 avec les petits feux arrière ovales de la berline, qu’elle était "bleu petite culotte" comme dirait mes amis brésiliens, et que j’ai trouvé l’installation improvisée très rigolote.
Mais allez savoir avec les souvenirs d’enfant, souvent rapiécés par l’hippocampe -cette zone du cerveau qui stocke la mémoire épisodique- comme le fait Photoshop lorsqu’il substitue les morceaux manquants des vieilles photos dont on lui confie la restauration.
Si le niveau de sécurité passive de l’équipage en question serait aujourd’hui de nature à provoquer un grave malaise chez les inspecteurs d’Euro NCAP, il n’en constituait pas moins un avant-goût de ce qu’on désigne aujourd’hui sous le label de "ludospace".
Mais loin de moi l’idée de considérer mon père comme un inventeur : à l’époque ou les (sales) gosses voyageaient sur les genoux à l’arrière des berlines, en regardant le conducteur de la voiture suiveuse pour mieux lui tirer la langue, il n’était probablement pas le seul à pratiquer ce genre de montage peu recommandable.
A voir les premières photos du Kangoo de 3e génération releasées la semaine dernière par Renault, on se dit que les choses ont décidément bien changé. Si la version utilitaire ne peut renier sa vocation, son mufle et ses optiques ne dénatureraient pas la face avant de l’un des SUV de la marque, avec lesquels il partage d’ailleurs un indubitable air de famille.
Quant au "combispace" -on ne dit plus "ludospace" puisque les services marketing adorent les changements terminologiques- il évoque davantage les anciens monovolumes aujourd’hui quasi-éteints qu’un dérivé de camionnette des familles. Mais c’est surtout à l’intérieur qu’il s’avère le plus difficile de repérer les gènes utilitaires, avec un habitacle qui ferait rougir de jalousie n’importe quel véhicule particulier du segment B d’il y a 10 ans ou moins.
En plus d’une instrumentation complète bien qu’analogique, on note l’écran-tablette multimédias un rien "planté" sur la planche de bord, mais offrant toutes les fonctionnalités connectées qu’on peut attendre de ce type de dispositif, ainsi qu’un volant au look presque sportif avec ses trois branches, dont deux garnies comme il se doit des commandes de l’autoradio et probablement du régulateur/limiteur de vitesse.
Il n’y a donc guère que la position haute du levier de vitesses qui trahisse véritablement les origines laborieuses de l’engin, dont on pourra toujours arguer qu’elle ne diffère guère de celle qu’on trouvait dans la Honda Civic septième génération, y compris dans sa version "type R" la plus débridée.
Et que dire alors du concept "Vision Renndienst" de Porsche ? Quand le constructeur de Stuttgart s’essaye à la camionnette, ça donne un engin au look monovolume futuriste plutôt réussi, virtuellement propulsé par une motorisation électrique à la puissance non annoncée, mais qu’on devine plus que suffisante. Ne croyez pourtant pas que la marque allemande ait pour autant décidé de se compromettre avec le petit peuple, puisque son attitude à l’égard de la catégorie montre implicitement le peu d’estime qu’elle lui porte.
D’abord parce que le show-car s’inspire des rutilants Volkswagen Transporter T1 rouges qu’elle utilisait sur les circuits dans les années 50 ("Renndienst" signifie "service de course" en Goethe dans le texte), dont on reconnaitra volontiers qu’ils bénéficiaient d’un destin beaucoup plus enviable que celui des millions de véhicules-travailleurs subissant au quotidien les affres d’une vie automobile besogneuse.
Mais surtout, Porsche a semble-t-il hésité deux bonnes années avant d’oser révéler l’objet qui existait depuis 2018. De plus, le Vision Renndienst n’est probablement qu’une maquette en résine non fonctionnelle et dépourvue d’intérieur, à une époque où la plupart des constructeurs ont l’habitude de présenter des prototypes en parfait état de marche.
Ce drôle d’exercice nous rappelle au fond la fracture sociale existant entre les altières sportives wurtembergeoises, dont la maison-mère s’autorise une incursion probablement sans lendemain au sein d’une classe à laquelle elle semble en fait vouloir démontrer qu’elle n’appartient pas, et ceux qui constituent le véritable prolétariat de l’automobile, soumis à une vie de dur labeur, quand ils ne sont pas tout simplement maltraités par des chauffeurs occasionnels ne leur vouant pas le moindre attachement.
Nous les avons tous rencontrées, ces véritables bêtes de somme cravachées sans ménagement, et portant sur une carrosserie qu’on soupçonne avoir été blanche sous la crasse, les stigmates des maltraitances infligées à ces véritables esclaves motorisés.
Et pourtant. Je suis le premier étonné de voir se multiplier dernièrement sur certains médias spécialisés des articles consacrés aux Renault Goélette, Peugeot J7 ou même Citroën C15, et plus encore de constater que certains jeunes accros aux Youngtimers remettent en état des Renault Express ou autre Citroën Accadiane. Or, je ne me souviens pas d’un tel engouement pour les véhicules de travailleur lorsque j’étais ado, et que j’assouvissais ma passion naissante pour l’automobile ancienne en lisant pendant les cours les articles d’Auto-Rétro, Rétroviseur et autres Auto-Passion.
Certes, quelques modèles y faisaient déjà figure d’icône, comme le VW Transporter T1 (encore lui) ou l’incontournable Citroën Type H, parfois improprement surnommé "TUB" par confusion avec son prédécesseur. Mais personne à l’époque n’aurait eu l’idée de commercialiser un kit carrosserie permettant à un modèle récent de ressembler à l’un de ses ancêtres.
Or c’est exactement ce que propose le carrossier Caselani, qui permet ainsi aux amateurs de néo-rétro-prolo de donner la "H Touch" à leur Citroën Jumper, Jumpy ou SpaceTourer. Une excellente idée pour les propriétaires de Food-Truck adeptes de vintage, qui peuvent ainsi s’adonner aux joies de l’huile à friteuse sans craindre de retrouver sur l’asphalte celle du groupe motopropulseur.
Mais ce juste retour en grâce des classes ouvrières automobiles pourrait bien ne pas concerner que le monde de la collection. Il y a en effet bien longtemps que les utilitaires ont montré la voie de ce qui constitue une tendance de plus en plus présente dans l’univers des véhicules particuliers, qui voit substituer progressivement la valeur d’usage à celle de possession.
C’est particulièrement le cas des flottes d’entreprise au sein desquelles 6 véhicules sur 10 appartiennent désormais à des loueurs longue durée, mais c’est aussi de plus en plus vrai chez les particuliers qui sont désormais 4 sur 10 à opter pour une formule de location pour leur véhicule.
Et je vous fiche mon billet que les VUL ne tarderont pas à prendre les devants en matière de propulsion électrique, non seulement parce que celle-ci utilise l’énergie idéale pour les livraisons urbaines dites "du dernier kilomètre", mais aussi parce que nombre d’utilitaires effectuant des parcours répétitifs avec retour systématique à la base possèdent en fait le profil de mission idéal pour rouler en mode Zéro Emissions.
Et puis, il faut bien admettre que la frontière entre Véhicules Particuliers et Utilitaires Légers n’est pas toujours aussi claire que leur classification administrative le laisse à entendre. Prenez les SUV. Selon vous, que signifie le "U" de leur petit nom ? La vocation utilitaire de ces véhicules que certains adorent détester, mais qu’une majorité d’acheteurs de véhicule neuf choisit dans le monde, trouve son origine dans l’après-guerre aux Etats-Unis, quand nombre de Jeep démobilisées se virent affecter la double mission de transport de charge et de troupe familiale par les civils qui les récupérèrent.
Il y a aussi le "Ute", ce pick-up natif d’Australie construit sur une base de berline et disposant dans certaines versions des performances d’une muscle car dont il reprend d’ailleurs la motorisation. A ne mettre dans les mains du livreur de lait que si vous souhaitez recevoir du beurre.
Et puisqu’il est question de pick-up, il me faut bien mentionner le Brésil, où les conducteurs de ce type d’auto arborent plus souvent des Ray-Ban qu’une casquette maculée de peinture. L’un d’entre eux y a même été le véhicule le plus vendu sur ce marché au mois de septembre, répétant l’exploit qu’il avait déjà réalisé durant un trimestre en 2014.
Il faut dire que le Fiat Strada -puisque c’est de lui dont il s’agit- n’a plus guère besoin dans sa version 4 portes double-cabine que d’un couvercle de malle arrière fermant sa benne aux dimensions réduites pour réinventer la berline tricorps. En voilà d’ailleurs un qui illustre parfaitement la tendance voulant que certains utilitaires aient de moins en moins la gueule de l’emploi, et de plus en plus une sacré gueule.
Bon, je peux maintenant vous avouer que ma première "voiture de fonction" fut une Peugeot 305 break tôlé, portant sur les flancs le nom de l’écurie sportive pour laquelle j’ai brièvement travaillé. J’étais bien sûr ravi d’en disposer pour me rendre du petit village varois où je résidais à la ZI ou j’officiais, mais comme elle était passablement rincée, je n’en regrettais guère que l’appétit frugal lorsqu’elle fut remplacée par un 4x4 Lada.
Mais ça ne m’empêche pas d’avoir pu apprécier ponctuellement la conduite des VUL, comme lors de ce déménagement entre amis pour lequel je fus désigné d’office chauffeur officiel du van à châssis rallongé loué pour la circonstance, et que j’ai adoré manœuvrer dans les rues étroites de la périphérie menant les cartons à destination. Les plaisirs de la conduite se nichent parfois là où on ne les attend pas.
D’ailleurs, figurent sur ma "bucket list" des véhicules que je me dois de conduire avant de quitter ce bas monde un 38 tonnes attelé à sa remorque, et/ou un de ces bus transportant des passagers au long court. Si les responsables de marques commercialisant ce genre d’engin et disposant d’une piste d’essai privée me lisent, qu’ils n’hésitent pas à me contacter, ça pourrait faire un article rigolo.
En attendant je vous laisse : j’ai une Alpine A110 à essayer. Oui, je sais, je m’embourgeoise.