06/01/2022 - #Volkswagen Vp , #Bmw , #Peugeot , #Smart , #Fiat , #Chevrolet
Trop Share !
Par Jean-Philippe Thery
Pour la première chronique de l’année, je vous partage mes premières expériences de partage automobile. Comme une forme d’incitation à de bonnes résolutions…
Acheter deux tickets zone ABC auprès du distributeur jaune de la BVG[1] , puis emprunter la ligne 9 du S-Bahn durant 36 minutes jusqu’à Warschauer Strasse. Quitter la gare et rejoindre les couloirs du métro jusqu’aux quais de la ligne numéro 1 pour embarquer en direction de Uhlandstrasse. Descendre 18 minutes plus tard à la station de Wittenbergplatz. Y faire surface par l’ascenseur -bagages oblige- et tracter sur les 600 derniers mètres les valises se prenant les roulettes dans le tapis de feuilles automnales, en affrontant la morsure d’un froid paraissant plus vif encore dans l’obscurité de rues pauvrement éclairées.
Décidément, je ne me voyais pas lui imposer une telle épreuve.
Du moins si je souhaitais que ma tendre moitié, devant débarquer de Rio quelques jours plus tard pour me rendre visite à Berlin ne le reste (tendre et moitié). Aussi m’étais-je déjà résigné à opérer son extraction de l’aéroport de Brandebourg en lâchant un billet de 60 euros au chauffeur de l’une de ces "limousines 4 portes" dont l’inimitable teinte beigeasse caractérise les taxis d’outre-Rhin. Au moins pour ce tarif aurait-elle droit au luxe d’une confortable Mercedes Classe E ou équivalent, plutôt qu’aux amortisseurs épuisés d’une Fiat Siena ou Chevrolet Cobalt luttant avec les cratères asphaltés constituant le réseau routier carioca.
Mais ça, c’était avant que je ne prête attention aux carrosseries adhésivées de berlines berlinoises labellisée dans le style "Oui Share" ou "Share Nao". Et là je me suis dit que je tenais probablement un truc, puisque les autos en question offraient ostensiblement leurs services de mobilité moyennant finance au premier automobiliste venu. Applicatifs promptement downloadées, j’ai tout de même dû sacrifier au rituel d’inscription, limité à la photographie de mes documents pour l’un des opérateurs, alors que j’ai dû montrer mon meilleur profil par visioconférence pour le deuxième. Un effort somme toute raisonnable pour se retrouver à portée de portable d’une flotte dépassant les 3.000 véhicules.
Moi qui n’avait jamais pratiqué, j’ai donc adhéré d’un seul coup à deux services de "carsharing". Il faut dire que ceux-ci proposent des flottes très différentes, avec deux modèles électriques du constructeur local de voitures du peuple auquel il appartient pour le premier, et pas moins de 17 véhicules thermiques de différentes marques pour le deuxième, bien qu’issu d’un certain conglomérat étoilé. Aux inévitables Smart et Mercedes s’ajoutent donc des Fiat, Béhème ainsi que Citroën ou Peugeot, avec même un choix de plusieurs cabriolets, ce qui est tout de même très utile en novembre vers le 52e parallèle Nord. Quoi qu’il en soit, les deux prestataires mettent à disposition de "vraies" voitures, à la différence des affreuses Bluecar qui ont enlaidit Paris de 2011 à 2018, non seulement nées moches mais de surcroît très rapidement dégradées par des utilisateurs visiblement peu soucieux de l’état d’origine.
Décidé à impressionner Madame dès son arrivée en territoire germanique, je me suis dit que lui faire goûter pour la première fois de sa vie aux joies de la propulsion électrique était loin de constituer une mauvaise ID, surtout s’agissant d’une 4. Ne souhaitant rien laisser au hasard, j’effectuai néanmoins un test la veille, lequel me permit de m’assurer que quelques clics sur l’écran tactile de mon téléphone intelligent permettait effectivement de déverrouiller les portières et de mettre l’engin en mouvement. Mais celui-ci me révéla également que le responsable du style intérieur des modèles zéro émissions de chez Volkswagen est un fan de la Citroën Visa et de son célèbre tableau de bord avec satellites. Je ne vois en effet pas d’autre explication à la localisation et au dessin de la commande que j’ai mis cinq bonnes minutes à découvrir, et dont j’ignore si je dois encore la qualifier de transmission. Disons qu’elle permet de choisir entre "D", «R" et "P", et que ce repérage m’a évité de passer pour un idiot le jour suivant.
J’étais donc fin prêt le lendemain, ce qui ne m’a pas empêché de me prendre les pieds dans le tapis, en commençant par me pointer en retard à l’aéroport, par la faute de perturbations sur le réseau de transport en commun. Après les effusions de rigueur, je nous ai ensuite dirigés vers le Parking P4 réservé aux véhicules en autopartage, dont j’ai découvert trop tard que situé à l’extérieur, il nous obligeait pour le rejoindre à parcourir une immense esplanade balayée par des vents glacés. Fallait-il que la malheureuse Brésilienne transie de froid soit contente de me retrouver -ou tout simplement d’arriver au terme de son périple- pour supporter stoïquement la remontée de files de voitures à la recherche de celle que j’avais réservée quelques minutes auparavant, et dont je lui ouvrais enfin la portière après avoir scruté dans le noir deux ou trois dizaines de plaques d’immatriculation.
Mais pour le reste, j’avais vu juste.
Heureusement pour ma pomme, l’habitacle d’une électrique se réchauffe beaucoup vite que celui d’une thermique (eh oui), par la grâce de batteries contraintes d’opérer dans une plage de température donnée. A peine dépassé le périmètre aéroportuaire, il me fallut même réguler les ardeurs de l’air conditionné, et celles de sièges chauffe-fesses particulièrement efficaces. Le silence de fonctionnement, les affichages digitaux et l’ambiance lumineuse animée de l’habitacle s’occupant du reste, Madame se déclara bientôt conquise.
Bon, je parle évidemment de la voiture. Et quitte à voire une poupée à mon effigie transpercée d’épingles par les inconditionnels de la motorisation thermique, je dois bien avouer que moi aussi. A tel point qu’à force de recourir aux ID3 et 4 lors de nos déplacements effectués les jours suivants, j’ai fini par opter pour un abonnement payant (9,90 euros par mois) m’octroyant 30% de réduction sur le tarif de base. Il faut dire que l’auto partagée constitue sans doute l’utilisation idéale de l’électrique sur des trajets urbains dépourvus de toute angoisse d’autonomie (la fameuse "range anxiety"), et sans devoir se soucier de chercher une bonne de recharge pour stationner. Moi qui ai vécu de nombreuses relations stables avec des thermiques (de quelques mois pour les voitures de fonction à plusieurs années pour celles que j’ai choisies), je me retrouve donc aujourd’hui à "jeter" dans la rue mes compagnes motorisées de moins d’un jour, en mettant brutalement fin à notre relation par téléphone interposé.
Mais soyons juste, j’ai aussi "carsharé" en thermique. Ça m’a permis de constater que la Smart est à l’automobile ce que le cabri est au monde animal en matière de suspension, que la boîte "dualogic" de la Fiat 500 est la championne du monde des à-coups de transmission, que la Mini Countryman "fait le job" et que la BMW Série 1 offre tout de même un bel agrément de conduite malgré sa "honteuse" motorisation turbo-diesel. En fait, c’est aujourd’hui la disponibilité et la proximité des autos concernées qui me font opter pour l’un ou l’autre des services. Mais si j’éviterai d’avouer qu’en ouvrant les applicatifs respectifs, j’en suis à souhaiter qu’une ID se trouve dans le coin, c’est juste pour éviter de sentir la piqûre des aiguilles manipulées à distance…
Bon, il y a bien eu deux ou trois ratés. A commencer par cette voiture dont l’appli me jurait qu’elle était sous mes yeux et que je n’ai jamais trouvée, ou la première fois que j’ai récupéré une auto amarrée à une borne de rechange, à 5h30 du matin alors que la neige tombait dru. J’ai alors failli péter un câble à rechercher comment déconnecter celui de l’auto à chacune de ses extrémités, situation plutôt ironique alors que je me rendais justement à l’aéroport pour m’envoler vers Stuttgart où se déroulait le "Battery Show". Enfin, il y eut la note de 105 euros pour la journée passée à Potsdam, où je me suis vu contraint de conserver la Béhème toute la journée au pire tarif possible, pour n’avoir pas vérifié au préalable que le service y était indisponible. Mais admettons que ces deux derniers cas sont à ranger au chapitre de l’acquisition d’expérience. Je sais désormais débrancher sans coup férir et choisir les forfaits horaires quand nécessaire.
D’ailleurs, et puisqu’il est question d’argent, sachez qu’un trajet mon-domicile-Brandebourg coûte dans les 15 euros, correspondant à une grosse demi-heure de roulage, une taxe de parking de 7 euros (spécifique à l’aéroport) et 1 euro d’assurance. Soit l’équivalent de 4 parcours réalisés en transport en commun (mais en deux fois plus de temps), ou le ¼ d’un trajet en Mercedes beige pale avec chauffeur. J’ignore quelle est la tronche du business-case du côté des opérateurs, mais vue de la fenêtre de l’utilisateur, la proposition me paraît économiquement avantageuse. Dans certains cas de figure -par exemple quand votre douce compagne vous emmène assister à un évènement à l’autre bout de la ville dans un lieu où vous êtes sûr de ne pas trouver de voiture pour le retour- il est même avantageux de la conserver à l’arrêt, à un tarif réduit à presque rien.
Ajoutez à cela que les voitures auxquelles j’ai eu affaire étaient à de rares exceptions près propres et dans un état proche du neuf, et vous comprendrez que je sois devenu "trop share", surtout pour pas cher. A tel point qu’il m’arrive de songer à renoncer au joli cabriolet rouge d’occasion que j’ai vu en annonce sur un site local.
Aie aie… non, pas les aiguilles !
[1] La Berliner Verkehrsbetriebe est l'entreprise qui exploite les réseaux de métro, tramway et bus de l’agglomération de Berlin