08/02/2023 - #Volkswagen Vp , #Buick , #Man , #Smart , #Toyota
Ranger des voitures
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, j’avance à reculons. Et le pire, c’est que j’aime ça…
Dans une autre vie, j’aurais peut-être pu être valet.
Pas de cœur, ni de chambre et encore moins de pied ou à pied, mais plutôt de parking. Parce que même si vous devez trouver ça bizarre, il me faut bien vous avouer que j’adore manœuvrer. Et plus ils se montrent compliqués, plus j’affectionne les créneaux et autres exercices préludant à l’immobilisation d’un véhicule.
Une forme particulière de masochisme motorisé ne manqueront pas de penser certains, dont je suis toutefois curieux de savoir si elle constitue un cas isolé. Alors si vous-même ou l’une de vos connaissances êtes atteint de la même pathologie, n’hésitez pas à vous faire connaître auprès de la rédaction qui transmettra. A moins bien sûr que vous ne l’assumiez, et que les commentaires de bas de page ne vous fassent pas peur…
"Freud explique" dirait sans doute ma chère et tendre, même si mon attirance pour les places exiguës n’est pas pour lui déplaire, surtout lorsque celles-ci nous rapprochent du restaurant ou nous avons prévu de dîner. Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il ne m’arrive pas de me louper. Mais quitte à me reprendre, je ne manque jamais d’aligner l’auto sur les bords de trottoirs ou le long des lignes peintes, même si les voitures d’aujourd’hui me font savoir par buzzer interposé qu’elles n’apprécient guère que j’ouvre la portière conducteur pour assurer la finition. Quand elles ne déclenchent carrément -comble du comble- le frein automatique… de parking.
Aux esprits goguenards affichant un sourire en coin, je rappellerai d’ailleurs que le sujet est d’importance, puisque nos soi-disant automobiles sont en fait pour une grande majorité d’entre elles la plupart du temps immobiles. Et que lorsqu’elles occupent pendant des heures -et parfois- plus le même emplacement, il a bien fallu que quelqu’un les y installe (quoique).
De mon point de vue, un rapport d’essai digne de ce nom devrait d’ailleurs consacrer au moins un ou deux paragraphes à ce qui occupe une partie non négligeable de l’agenda d’un automobiliste. Songez en effet que selon une étude publiée en 2017, le conducteur français consacre en moyenne environ 26 heures par an à stationner, chiffre qui devient mensuel pour l’infortuné parisien. On se doute bien que ce sont les urbains -je n’ai pas dit les plus polis- qui souffrent le plus et que ceux-là ont donc particulièrement intérêt à maîtriser la géométrie dans l’Espace, surtout s’ils en conduisent un.
Voilà qui ne manquerait sans doute pas de surprendre Luc Court, fondateur éponyme et lyonnais de la marque qui fut la première à pourvoir ses modèles d’une marche arrière dès 1898, si celui-ci était encore parmi nous. Quoiqu’il en soit, c’est aux commandes d’un Volkswagen T6 d’autopartage que j’ai pu assouvir le weekend dernier mon penchant pour la musculation au volant de butée à butée.
Un "Kombi" comme on dit ici, d’une longueur somme toute raisonnable avec ses 5.304 cm, mais dont l’espace de chargement tôlé compromet sérieusement la visibilité vers l’arrière. Ce qui ne m’a pas empêché de le déplacer la veille au soir du trajet que j’avais prévu à son bord, officiellement pour le rapprocher de mon domicile, mais surtout pour le plaisir de l’insérer dans un espace tout juste assez grand pour lui, entre une Smart (un modèle totalement inintéressant à stationner) et un autre T6, certes passablement fatigué mais disposant d’un châssis long. Une manœuvre pas vraiment indispensable donc, contrairement à celle du lendemain qu’il me fallut exécuter à reculons dans l’ouverture étroite laissée par le portail de la propriété où je m’étais rendu pour enlever un objet volumineux.
Voilà pourtant le genre de plaisir qui se fera de plus en plus rare, sans aucun doute appelé à disparaître depuis que la technologie s’en est mêlé. Une tendance initiée de façon insidieuse par la généralisation des transmissions automatiques, puisqu’en raison du "rampage" produit par le convertisseur qui permet de mouvoir une auto au lever de pied (du frein), on en passé d’une conduite à trois pédales à une seule. Voilà qui facilite donc grandement les opérations de stationnement, même si mieux vaut tout de même encore ne pas être manche avec la direction.
Quant au destin de la marche arrière, il était annoncé dès 1956 outre-Atlantique, même si facticement puisque le téléviseur trônant sur la planche de bord de la Buick Centurion n’était relié à une caméra de recul que dans l’imagination de ceux qui eurent l’occasion de contempler ce magnifique concept-car futuriste. Il fallut en effet attendre 35 ans et le non moins superbe coupé Toyota Soarer pour que les victimes de torticolis puisse enfin manœuvrer sans se démonter davantage la nuque dans un véhicule de série.
De nos jours, l’écran embarqué est devenu chose courante -et même obligatoire aux Etats-Unis- et personne ne songera à contester leur utilité à bord d’autos dont la lunette arrière ne permet plus de voir depuis belle lurette, entre les contraintes liées à l’aérodynamique et l’épaississement de montants soumis à des impératifs de sécurité drastiques. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, les adeptes d’arabesques motorisées se sont tout de même adaptés, en profitant pour manœuvrer au millimètre près, quitte à énerver les buzzers.
Mais tout ça n’est rien en comparaison du mauvais coup joué par Valeo avec le système "Park4U" inauguré en 2007 par le Volkswagen Touran, et qui effectue carrément les manœuvres à la place du conducteur. A l’époque, ce dernier devait encore actionner les pédales, alors que le véhicule s’occupait du volant. Mais aujourd’hui, la dernière itération du dispositif permet de commander son véhicule à la façon d’une voiture radiocommandée, depuis l’extérieur, avec son téléphone intelligent.
Nul n’est donc besoin d’être futurologue pour prévoir qu’à terme, les opérations de stationnement seront intégralement sous-traitées à nos automobiles. Une tendance que nous ne serons sans doute qu’une poignée d’originaux à lamenter, tant il ne fait aucun doute que la grande majorité des automobilistes se réjouira de s’en remettre à la machine et à ses algorithmes. On peut certes les comprendre, mais je ne m’en interroge pas moins sur l’impact d’une telle évolution sur le niveau de compétence générale des conducteurs.
En d’autres termes, ceux qui se montrent plus habiles en manœuvres sont-ils de meilleures automobilistes sur la route ? Une question guère plus facile à résoudre que celle de l’influence de la calculette sur les aptitudes en mathématiques d’une population, et à laquelle je me garderai bien de répondre.
Pour le reste, je me console en pensant au parking souterrain de mon immeuble à Rio. Comme tous les autres de son espèce on y navigue entre des poteaux menaçant, dans un univers hostile aux carrosseries témoignant d’une absence totale de planification. Et je me dis que si les aides au stationnement tardent encore quelque peu à équiper les voitures de location locales, je ne suis peut-être pas si près d’arrêter de ranger des voitures…