25/02/2021 - #Renault
Puccini et Pompili
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je navigue entre drame lyrique et dialogue de sourd, un grand compositeur et une ministre de transition. De fait, à chacun sa spécialité.
L’Avenue de l’Opéra, la Place de l’Opéra, l’Opéra.
Extérieur nuit (américaine), illuminée par le scintillement des célèbres lampadaires à trois lanternes devant la façade du Palais Garnier. Des portes battantes s’ouvrent sur une lumière aveuglante, et c’est à l’assaut du grand escalier que se poursuit un travelling effréné. Soudain, c’est Haendel qui surgit dans le champs de la caméra, plus grand que nature mais restant de marbre sur les vocalises d’In quelle trine morbide. Le second acte de Manon Lescaut n’émeut pas non plus le buste de Berlioz, qui s’efface prestement devant celui de Puccini. Le visage sculpté, qui a reconnu son œuvre, perd l’espace d’un instant son impassibilité minérale : les lèvres tremblent avant que ne coule une grosse larme sur sa joue que même un œil de pierre n’a pu contenir. La soprano monte dans les aigus : Come un sogno gentile di pace e d'amor!
"Cassettes Chrome Super BASF. L’émotion intacte" égrène la voix monocorde qui met un point final à 45 secondes échantées.
En 1981, la Badische Anilin & Soda Fabrik, premier groupe chimique au monde, faisait ainsi pleurer une statue qu’on ne trouve même pas dans le célèbre opéra, afin de promouvoir ses cassettes à enregistrer, dans l’un des spots publicitaires les plus réussis qu’il m’a été donné de voir. A l’époque, je n’avais pas encore reçu le Walkman de Sony sans lequel je n’imaginais pas me balader quelques années plus tard, même si j’écoutais alors plutôt les standards de Simples Minds ou New Order plutôt que la voix de Maria Callas ou Tiri Ke Kanawa.
Peu importe néanmoins le style musical, puisque dans tous les cas de figure, la bande magnétique supportant les signaux auditifs était constituée du même film plastique chargé en oxydes de fer et de chrome, enfermée dans un boîtier en plastique lui-même rangé dans une boîte en plastique. Une aberration environnementale qui ne manquerait pas d’être dûment dénoncée de nos jours si la musique ne s’était depuis dématérialisée, mais passée sous silence dans les Eighties. Il faut dire qu’à l´époque, notre actuelle ministre de la Transition Ecologique n’avait pas encore l’âge de Greta à sa première conférence de presse, et à peine celui de se visser un casque audio sur les oreilles.
Reconnaissons néanmoins que Barbari Pompili s’est depuis largement rattrapée sur le sujet, comme elle l’a encore démontré le 10 février dernier au cours de l’interview qu’elle a accordée sur les ondes de France Info à propos du projet de loi "Climat et résilience". Questionnée sur la timidité d’un texte qui ne prévoit d’interdiction publicitaire que pour les énergies fossiles, celle-ci a en effet déclaré qu’"à la fin, il n’y aura plus de pub pour tous les produits polluants", avant d’ajouter afin qu’il ne subsiste aucune ambiguïté sur la cible principalement visée : "les voitures n’y échapperont pas".
Interdire la publicité, voilà qui rappelle le 10 janvier 1991, une dizaine d’années après les larmes parisiennes de Puccini, lorsqu’était promulguée la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, plus connue sous le nom du ministre des Affaires Sociales et de la Solidarité d’alors, un certain Claude Evin. En plus d’envoyer les téteurs de mégot avaler leur fumée dans la rue, celle-ci prévoyait l’encadrement stricte de la publicité relative aux boissons alcoolisées, alors que celle des produits du tabac était tout simplement prohibée. On lui doit également les célèbres étiquettes anti-sèches collées sur les paquets de 20, estampillées "fumer nuit gravement à la santé", accompagnées du portrait explicite d’une victime du tabagisme.
Je m’attends à trouver bientôt une version de ces mêmes étiquettes sur la vitre arrière de nos automobiles, puisqu’au train ou Madame la Ministre semble souhaiter qu’aillent les choses, les annonces vantant les mérites de nos apéros favoris survivront à celles célébrant la mobilité individuelle motorisée. Entre produits fermentés et nicotineux, Madame Pompili n’a en effet pas hésité à déterminer sur quel modèle la promotion ou plutôt la non-promotion de l’automobile devait s’aligner.
Du coup, je me suis rendu sur la page de Santé Publique France "point fr" portant sur le tabagisme. Et comme je me doute bien que vous ne la fréquentez pas souvent, je vous en reproduis ce passage pour le moins "inspirant" à propos de la fumée de cigarette : "on y retrouve la nicotine, les goudrons et les agents de saveur mais il en existe beaucoup d’autres, tels que des gaz toxiques (monoxyde de carbone, oxyde d’azote, acide cyanhydrique, ammoniac) et des métaux lourds (cadmium, plomb, chrome, mercure). La nicotine est la substance (un alcaloïde puissant) qui entraîne la dépendance". Je vous fais néanmoins grâce du passage rappelant que le tabagisme constitue la première cause de mortalité "évitable", et qu’un fumeur régulier sur deux meurt de ses conséquences après avoir contracté un cancer, une maladie cardiovasculaire, une bronchopneumopathie chronique obstructive ou toute autre charmante maladie du genre.
Avouez que ça fait peur. Je parle bien sûr du fait qu’une ministre de la République puisse considérer qu’à l’instar du tabac, l’automobile constitue un fléau nocif, un truc inutile qui ne fait de bien à personne. Et si la comparaison vous semble capillotractée, sachez qu’une porte-parole de Greenpeace a elle-même qualifié de "Loi Evin Climat" la proposition émanant de la Convention Citoyenne pour le Climat de laquelle est issu le projet de loi en cours d’examen par les représentants du peuple. L’ONG ne se prive d’ailleurs pas de critiquer ce dernier pour son manque d’ambition, prise de position que ne semble pas démentir BP (la ministre), lorsqu’elle déclare : "Pour l'instant dans la loi on a plusieurs options possibles : soit il y a des engagements volontaires et ils arrêtent de faire de la pub pour leurs produits polluants, soit ce sera interdit". En ce qui me concerne, je suis curieux de savoir qui prendra l’initiative de la réunion au cours de laquelle les représentants de la bonne trentaine de marques automobiles commercialisées en France se mettront d’accord pour mettre immédiatement un terme à leur actions publicitaires.
C’est à Locoal-Mendon que j’ai trouvé un certain réconfort. Non pas que je me sois personnellement rendu dans cette charmante petite commune morbihannaise de 3.400 âmes, puisque Barbara s’en est chargée pour moi le 7 septembre dernier, lorsqu’elle y a visité le chantier d’une station d’épuration. Ayant visionné la petite vidéo de grand évènement, je puis vous certifier que c’est à l’arrière d’une Renault Talisman que Madame la Ministre y a effectué son arrivée, accompagnée de tout un aréopage motorisé. Ne comptez pas sur moi pour lui faire remarquer qu’elle aurait pu effectuer à pied ou à vélo les 3,2 km séparant sa destination de la gare toute proche de Landaul-Menton, puisque j’ignore si elle a voyagé en train de Paris et que je m’en fiche. Qu’une représentante du gouvernement se déplace en voiture ne me choque pas, surtout s’agissant du haut de gamme d’un constructeur national. J’attends juste qu’elle comprenne que ses concitoyens en ont aussi besoin qu’elle, fumeurs ou pas.
Mais tout de même, cette histoire de pub, je trouve cela inquiétant. D’autant plus que si le texte de la loi "Climat et résilience" déçoit logiquement ceux qui souhaitaient y voir promulguer l’interdiction de publicité pour les SUV (bon courage pour définir la catégorie !), notre chère Ministre semble se montrer plus radicale que les membres du CCC dont la proposition se limitait aux "produits les plus émetteurs de GES", puisqu’elle évoque "tous les produits polluants". Or, j’ai beau me creuser les méninges depuis hier sur le sujet, je n’ai toujours pas trouvé le moindre objet ou service issu de l’activité humaine qui ne génère son lot de pollution anthropique, sans même évoquer la publicité elle-même. Autant dire que pris au pied de la lettre, les propos de Barbara Pompili condamnent donc toute activité publicitaire. Chère Madame le Ministre, puis-je vous rappeler que nous avons tous deux vécu l’effondrement d’un monde où la publicité n’existait pas, et que les pays qui la composaient n’étaient pas spécialement connus pour les vertus de leur production automobile en matière de respect de l’environnement ? (Avec tout le respect voulu pour mon ami JD et sa Trabant).
Et puis voyez-vous, je m’interroge sur le but recherché. Parce que s’il s’agit de faire baisser les émissions polluantes et celles de GES, je crains que Barbara ne promeuve exactement l’inverse de ce qu’il convient de faire, dans un pays où l’âge moyen du parc automobile a tendance à vieillir, s’établissant à 10,6 ans contre 9 en 2017 et même 6 ans en 1990 ! Si on ne peut que saluer -contrairement à une idée reçue- les progrès en matière de fiabilité et durabilité effectués par les constructeurs expliquant en grande partie cette évolution, il convient de rappeler que nous avons vécu 5 changements de normes d’émissions sur les 10 dernières années, et qu’en stimulant la substitution de modèles anciens par de plus récents, on ne peut qu’améliorer le bilan global des émissions dues à l’automobile. A moins bien sûr de considérer la voiture comme un psychotrope, dont il convient de réduire la "consommation" à coups de taxes et de campagnes discriminatoires, comme a su le faire -à raison- la loi Evin avec le tabac.
Sur ce je vous laisse, je vais me visser un casque audio sur les oreilles. Quitte à pleurer, je préfère en rendre responsable Puccini plutôt que Pompili.