13/01/2022 - #Renault , #Dacia , #Mg , #Fiat
Perte de (Euro-N) Cap
Par Jean-Philippe Thery
C’est une chronique de choc que je vous propose aujourd’hui, de ceux qui se produisent quand on sort de la route. Ce qui n’arrive pas qu’aux voitures…
Un bruit effroyable, à vous congeler le sang dans les artères.
Puis ce silence qui n’en est pas vraiment un, lorsque l’hébétude qui suit le chaos ressemble encore à un bruit. Et déjà les techniciens qui se précipitent pour adhésiver les portières, par crainte que l’un des spectateurs invités -dont je fais partie- n’ouvre l’une d’entre elle par curiosité, les privant de la mesure de l’effort nécessaire, l’une des nombreuses répertoriées au cours de ce test.
Je descends du promontoire où l’on m’a placé par sécurité, en me donnant pour instruction de fixer mon attention -et mon regard- sur le point d’impact. Pas sûr pourtant que j’ai véritablement perçu tout ce qui s’est passé, même si je me souviens avec une étonnante précision des trains arrière qui se soulèvent et pivotent à quelques centimètres du sol avant de retomber lourdement. Un mouvement résultant de la configuration choisie, un choc frontal en décalé avec recouvrement partiel côté conducteur, simulant les terribles conséquences d’un dépassement mal évalué sur une route à double sens, quand s’additionnent les vitesses respectives des deux mobiles (64 km/h, si ma mémoire est bonne). Une situation qui n’a rien de fictionnelle.
Encore un peu ahuri, je me balade quelques instants au milieu des débris de plastique, verre et métal distors libérés par la violence de l’impact entre les Espace et Scénic choisis pour interpréter le rôle morbide des victimes d’un test de “compatibilité“ entre véhicules de gabarits différents. Les deux monovolumes se sont arrêtés net au-dessus de l’épaisse glace de verre sous laquelle pointe l’objectif d’une caméra à 1.000 images/seconde. Je me repasse mentalement le film de qui vient d’être -littéralement- projeté devant moi, me remémorant le frottement des câbles métalliques tractant les voitures en passe d’être sacrifiées, puis la déflagration provoquée par leur fatidique rencontre.
C’est à Lardy que je me trouve, petite commune de l’Essonne dont pas loin de 20% du territoire est occupé par le Centre Technique appartenant à Renault, avec ses 13 km de piste d’essai, ses bâtiments où sont quotidiennement torturés sur bancs d’essai composants ou véhicules entiers, ses installations acoustiques et ses chambres froides où l’on reproduit des niveaux de température négative qu’on verra de moins en moins avec le réchauffement climatique qu’on a. Et puis, il y a surtout les 2.000 m² de la “Cathédrale“, drôle de bâtiment en forme de pyramide, véritable temple de la vivisection automobile où l’on achève bien les chevaux mécaniques, au cours de cérémonies percutantes connues sous l’anglicisme de “crash-test“
Nous sommes en hiver, mais le froid que je ressens procède moins des deux ou trois heures d’attente que je viens d’endurer qu’à l’impression durablement imprimée dans ma mémoire par le spectacle percutant auquel je viens d’assister. A l’époque, vers la fin du siècle dernier, Renault “cassait“ pas loin de 400 caisses par an pour s’assurer que celles qui seraient impliquées “pour de vrai“ dans telle mésaventure protègerait au mieux leur précieuse cargaison humaine. On appelle ça la sécurité passive, qui intervient justement quand le choc se produit, par opposition à l’active à laquelle contribuent l’ensemble des dispositifs et caractéristiques d’une auto travaillant à éviter la collision. Peut-être parce que j’avais alors la tête à l’envers, j’aurais volontiers inversé la sémantique juste après le choc, considérant que ce que je venais de voir m’avait paru particulièrement actif, à l’inverse de l’attitude qui est la mienne quand ABS ou ESP interviennent pour corriger mes maladresses au volant (et aux pédales).
Nous sommes ensuite allés déjeuner avec les hommes qui détruisent les autos, dont on comprit très vite au cours de la discussion qui s’ensuivit qu’ils se considéraient comme investis d’une mission. Pendant que mon équipe et moi-même jonglions entre contenu produit et calculs économiques pour définir les autos à même de séduire le chaland comme de remplir les caisses du constructeur, eux cherchaient plutôt à sauver des vies. N’y voyez nullement l’expression d’un complexe, tant dans la conception d’un nouveau modèle, tous les métiers sont importants. Il n’en reste pas moins que dans un univers soumis à une constante pression économique, il était rafraîchissant et même rassurant de penser que ces gars-là se préoccupaient peu de la cellule en bas à droite sur la feuille Excel. Et puis ça nous laissait à penser que les grandes corporations aussi sont constituées d’êtres humains, quand bien même ceux-ci partagent la majeure partie de leur temps avec des humanoïdes en plastoc.
Décembre 2021. La Renault Zoe, crashée pour la deuxième fois depuis son lancement par l’organisme indépendant Euro NCAP n’obtient aucune étoile. Rien. Nada. La honte absolue. La compacte électrique fait même moins bien que sa cousine Dacia Spring, qui ne décroche certes pas la lune avec une seule étoile, mais dont on rappellera la vocation économique, puisque dérivée de la Kwid conçue comme l’entrée de gamme du constructeur français en Inde et au Brésil, où les impératifs liés à la sécurité sont loin d’équivaloir ceux de l’Europe. Et la marque au losange de se faire vertement tancer par Michiel van Ratingen, Secrétaire général d’Euro NCAP, en des termes peu équivoques : “Renault était autrefois synonyme de sécurité. La Laguna a été la première voiture à obtenir cinq étoiles, en 2001. Mais ces résultats décevants pour les Zoe et Dacia Spring démontrent que la sécurité est désormais considérée comme un dommage collatéral par le groupe dans sa transition vers les véhicules électriques“. Et d’enfoncer le clou en ajoutant : “Il est cynique de proposer au consommateur une voiture verte abordable si c’est au prix d’un risque accru de blessure en cas d’accident“. Et tant qu’on y est, notre homme passe la troisième couche en soulignant les efforts de la concurrence (4 étoiles pour la Fiat 500e et le SUV MG Marvel R) qu’il félicite pour “avoir offert aux consommateurs les niveaux de sécurité auxquels ils s’attendent. Ces résultats montrent une fois de plus que la sécurité repose avant tout sur une bonne ingénierie et moins sur le type de groupe motopropulseur ou le prix en soi“.
Monsieur le Secrétaire général n’évoque pas Laguna par hasard. La berline du segment D deuxième du nom fut non seulement le premier modèle au monde à obtenir la cotation maximale de 5 étoiles, mais aussi l’instigateur d’une longue lignée de Renault, quand le constructeur de Boulogne-Billancourt s’enorgueillissait de faire la course en tête sur le sujet, se targuant même à un moment de détenir au sein de sa gamme la moitié des modèles ayant obtenu la note maximale. En 2002, la filiale allemande du constructeur français s’autorisait d’ailleurs une pique lorsque la deuxième génération de Mercedes Classe C (génération W203) décrochait elle aussi ses cinq stars, avec une pub exposant la berline allemande sous un triomphant “Willkommen im Club“ (bienvenue au club). Dans les bureaux de Stuttgart, le “kolossaler französischer Humor“ a dû provoquer un certain nombre de fausses routes chez les dirigeants de la marque …à l’étoile
Quelques années plus tard -en 2013- tout semblait encore aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour les “Crash Test Dummies“ (les mannequins, pas le groupe de rock Canadien), puisque la toute nouvelle Zoe faisait elle aussi honneur à la famille en exhibant fièrement ses cinq étoiles. Alors que s’est-il passé pour que la version restylée en 2019 perde brutalement tout son brillant ? Les ingénieurs avec qui j’ai cassé la croute il y a une vingtaine d’années ont-ils tous pris un plan de départ, ou fait valoir leurs droits à une retraite bien méritée? A-t-on mis la clef sous le paillasson de la “Cathédrale“ et éteint le feu sacré animant ceux qui se dévouaient corps et âme à la cause de la sécurité routière ?
Bien sûr que non. Même si le remplacement d’un airbag tête-thorax par un simple coussin gonflable thorax ressemble à une économie façon “cost-killing à la CG“ dans sa période pré-violon (étui compris), et que les développements sécuritaires se sont malheureusement arrêtés dans le temps pour la petite berline électrique, la Zoe est surtout pénalisée pour avoir été conçue avant 2016, quand Euro NCAP introduisait dans sa batterie de tests une rencontre avec un poteau pour laquelle elle n’a visiblement pas été conçue. Mais surtout, elle est sévèrement punie pour ne pas être assez “ADAS“, autrement dit pour ne pas disposer d’un certain nombre d’aides à la conduite (Advanced Driver Assistance Systems en Shakespeare), comme un détecteur de fatigue, une assistance au maintien sur la voie, ou d’un système de freinage d’urgence AEB (Automatic Emergency Braking), même si ce dernier est disponible en option.
Et ça, ça m’ennuie. Si j’accorde la plus grande importance aux résultats d’un crash-test, c’est précisément parce qu’ils me donnent l’opportunité de visualiser ce à quoi je ne pourrais assister que dans des circonstances que je tiens absolument à éviter. Autrement dit, de me construire une idée de ce que ferait le modèle concerné pour moi ou pas, si je devais me faire emplafonner par un autre véhicule (ou inversement).
Pour le reste, je sais lire les fiches techniques ou jouer avec les configurateurs, merci. Non pas que je méprise les aides à la conduite, même si je débranche systématiquement le “lane assist“ que j’abhorre dans les voitures que je loue, tant l’impression de lutter avec une vieille direction assistée hydraulique dont la pompe d’assistance montre des faiblesses m’est désagréable. Et puis si j’ai envie de “trajecter“ en dehors de lignes peintes, c’est mon affaire.
En fait, le mélange des genres entre sécurité passive et active n’est pas nouveau chez Euro NCAP. Tenez, prenez la Mercedes Classe C à laquelle je faisais allusion quelques paragraphes auparavant. Eh bien figurez-vous qu’elle ne dut sa cinquième étoile qu’à un malheureux voyant d’oubli de ceinture lui permettant d’obtenir deux points supplémentaires par la grâce d’un protocole nouvellement mis en place, et dont n’avait pas pu bénéficier la Laguna dont les étoiles brillaient donc plus fort que celles de sa rivale allemande, ce qui -vous l’avouerez- constitue tout de même un comble pour une Mercos. Et comme Renault est décidément fâchée avec ce voyant-là, c’est le même qui valut en 2014 à la Mégane III de perdre une étoile, sous prétexte que “le texte informant le conducteur du statut des ceintures de sécurité arrière n’était pas disponible dans tous les langages“. Un truc vraiment essentiel quand on prend un camion dans les portières.
Du coup, je me demande si Euro NCAP n’est pas en train d’aller droit dans le mur à force de toujours plus. Parce que si l’organisation issue de la FIA a incontestablement contribué à l’amélioration de la sécurité passive comme à l’éveil des consciences chez de nombreux conducteurs -dont je suis- elle ne peut poursuivre sa mission d’amélioration de la sécurité passive en ignorant les ressources limitées dont disposent les acheteurs potentiels, sous peine de ne bientôt plus concerner qu’une poignée de modèles de luxe dont le tarif permet tous les amortissements (financiers, évidemment).
Sans doute doit-on au surenchérissement constant des normes de choc (mais aussi d’émissions) la mort d’un segment A dont le Prix de Revient Fabrication -le PRF comme on dit chez les constructeurs français- a fini par rejoindre celui d’au-dessus. Si on y rajoute la marche forcée vers l’électrification telle que décidée par la Commission européenne, il est de fait à craindre que l’automobile neuve ne redevienne bientôt un produit de luxe, avec pour conséquence désastreuse un vieillissement du parc accompagné d’un effet de diffusion ralenti des nouvelles technologies, principalement celles touchant à la sécurité.
Garder le cap de la sécurité tout en permettant à un nombre croissant de clients d’accéder à l’automobile neuve, voilà la délicate mission à laquelle Michiel van Ratingen et ses équipes devraient s’atteler. Mais ça, c’est plus difficile que de distribuer les bons et mauvais points