14/01/2021 - #Bentley , #Bugatti , #Dacia , #Ferrari , #Lamborghini , #Nissan , #Peugeot , #Pininfarina , #Porsche , #Fiat , #Ford , #Chevrolet
Péchés Capitaux, version auto
Par Jean-Philippe Thery
C’est bien connu, nous sommes tous pécheurs, y compris -certains dirons surtout- en tant qu’automobilistes. Mais en ce début d’année, je vous propose une aide à la rédemption.
Spécialiste du Moyen-Age, l’historien Michel Balard ne s’en est pas moins intéressé au XXe siècle, qu’il fait véritablement commencer le 28 juillet 1914, jour où l’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Serbie, enclenchant les hostilités du premier conflit global.
Dans le même ordre d’idée, certains verront peut-être dans l’Annus Horribilis dont nous venons de nous défaire sans grand regret, le "vrai" démarrage du XXIe siècle. Comme si une catastrophe de dimension planétaire était seule susceptible d’initier une nouvelle période de 100 ans, quitte d’ailleurs à ce que cette dernière ne le soit plus tout à fait.
Mais laissons là ces considérations abstruses, puisque l’important, c’est de savoir que tous nos problèmes sont enfin résolus grâce au changement calendaire. Au diable donc les piafs de mauvais augure, qui ne manqueront pas de nous rappeler que c’est en 1919 que la terrible épidémie de 1918 fut la plus virulente.
Et c’est donc avec un enthousiasme non dissimulé que je vous présente formellement mes vœux, même si j’ai attendu la deuxième chronique de la nouvelle année pour le faire, afin de m’assurer que "l’autre" -que je me refuse à nommer par prudence superstitieuse- était définitivement révolue. Ne rigolez pas, on vient de voir que même les spécialistes ne respectent pas systématiquement les effets de seuil historiques.
Mais au-delà des formules circonstancielles, j’ai également décidé de me rendre utile en cette période propice aux bonnes résolutions, que je me propose de vous aider à définir, du moins s’agissant de celles qui feront de vous un automobiliste meilleur en 2021. Et comme je ne suis pas homme à agir sans méthode, je ferai appel à la grille de lecture aimablement fournie par Evagre le Pontique, (célèbre anachorète du IVe siècle), et validée par Grégoire le Grand qui fut, comme chacun le sait, Souverain Pontife de 590 à 604.
C’est évidemment des sept péchés capitaux dont il est ici question, dont je vous livre sans plus tarder ma version adaptée à l’automobiliste.
L’avarice (l’hypermiling)
C’est l’ordre alphabétique qui nous fait commencer par les pingres, grigous, grippe-sous et autres ladres. Et si vous pensez que leur pire vilénie consiste à rouler en Dacia Sandero entrée de gamme à 3 euros par jour sans apport (LLD de 61 mois), détrompez-vous. La liste des équipements de la voiture la moins chère de France aura tôt fait de vous convaincre que la radinerie n’est plus ce qu’elle était.
Et surtout, il existe en la matière une pratique autrement condamnable : j’ai nommé l’hypermiling. Evidemment dérivée du "mile", unité de mesure saugrenue donc anglo-saxonne, celle-ci consiste à rouler avec pour seule et unique préoccupation de réduire au minimum sa consommation de carburant, l’œil rivé sur l’affichage des "kilomètres au cent" dispensé par l’ordinateur de bord.
L’hypermiler -pardonnez-moi cet épouvantable néologisme angliciste- caresse donc la pédale d’accélérateur comme si elle reposait sur un œuf de naja prêt à éclore, ne délivrant le précieux carburant aux chambres de combustion qu’au compte-gouttes, ou plutôt gouttelettes. En contrepartie, il frise l’exultation à chaque fois que le chiffre des dixièmes effectue une rotation dans le bon sens, retardant d’autant la visite tant détestée à la station-self-service.
Si vous croyez que je fustige à tort un comportement vertueux qui devrait être encouragé au nom de la préservation d’un liquide à la fois dispendieux et de plus en plus rare, songez à ce que celui-ci peut avoir de dangereux, sans même faire appel aux plus radicaux de ses adeptes, lesquels n’hésitent pas à aborder les descentes moteur coupé et transmission au point mort, surgonfler les pneumatiques, ou coller au cul des camions pour bénéficier de l’aspiration qui accompagne leur sillage aérodynamique.
Je me contenterai donc de mentionner celui que nous rencontrons tous régulièrement, qui aborde les axes autoroutiers à 40 km/h sur une voie dont il feint d’ignorer qu’elle est d’accélération, laissant à celui qui déboule derrière lui à 36,11 mètres/seconde le soin de lui ménager la place dont il aura besoin pour se "poser".
Mais par-dessus-tout, comment ne pas répudier une obnubilation contraire à la nature même d’une automobile, dont la mécanique a pour noble mission de transformer un liquide hautement énergétique en mouvement, par la grâce de la sainte combustion ? On accordera certes des circonstances atténuantes au conducteur d’un véhicule électrique en fin de batterie, qui peut céder momentanément à l’hypermiling par crise de "range anxiety". Mais s’il est question de se déplacer sans carburant consommer, alors que ce soit à pied, à cheval ou à vélo, mais pas en voiture !
La colère (la vitesse)
En 2014, le jeune conducteur d’une Citroën AX 14 TRD Société de 1993 affichant 685.000 km bouclait un tour du célèbre circuit du Nurbürgring dans le temps record de 9 minutes et 55 secondes. Les modifications minimales apportées à son auto n’affectaient pas le vaillant 1.360 cm³, qui se contentait donc des 52 chevaux d’origine.
Voilà qui démontre, si besoin était, qu’il ne faut pas confondre vitesse et préparation, et que nul n’est besoin de grande puissance pour faire preuve de vélocité. Disponible sur ToiTube, la vidéo de ce véritable exploit à 126 km/h de moyenne permet de vérifier que notre homme exploita à fond les capacités de son humble destrier, sollicitant la mécanique jusqu’au dernier tr/mn, changeant de rapport avec la célérité d’un vrai pro et profitant au maximum de l’adhérence latérale des petits pneumatiques.
Elle nous rappelle également que ce qui distingue le vrai pilote du conducteur, c’est qu’il est capable de rouler vite dans une voiture lente. S’il est donné à tout un chacun d’écraser l’accélérateur d’une machine puissamment motorisée en observant sereinement l’aiguille du spidomètre visiter des zones graduées que la morale et la maréchaussée réprouvent, le professionnel conduit avec ses tripes.
S’il était encore parmi nous, Paul Morand nous le confirmerait probablement : l’homme pressé, le vrai, est un homme en colère.
L’envie (la frime)
Bertone, Giugiaro, Pininfarina, Scaglietti, Zagato!
Je sais ce que vous avez maintenant en tête : quelque chose comme une Lamborghini Miura, une Alfa-Romeo Giulia GT, un Coupé Peugeot 406, une Ferrari 250 GTO, ou encore une Aston-Martin DB4 GTZ. Ou un autre modèle peut-être mais peu importe. Parce que je vous fiche mon billet que 100% d’entre vous se sont représentés une élégante et voluptueuse carrosserie, mais pas un habitacle.
L’Homo Automobilis appartient tout de même à une drôle d’espèce, lui qui accorde grande importance lors de l’achat de sa voiture à ce qu’il en verra le moins lorsqu’il s’en servira, autrement dit, le design de son extérieur.
Pourtant, force est d’admettre que les occasions de s’admirer au volant d’une automobile sont plutôt rares, sauf à s’arrêter à hauteur d’un commerce généreusement vitré, offrant le reflet immobile -et donc forcément frustrant- d’un objet conçu pour le mouvement.
Il y a également ceux qui jettent un coup d’œil en arrière lorsque s’éloignant de leur voiture, ils actionnent la commande à distance de fermeture des ouvrants, avec le regard gratifié de celui qui se sait possesseur d’un bel objet roulant.
Mais rien de tout cela ne m’empêche de penser que c’est essentiellement en fonction des autres qu’on choisit la plastique de sa monture. Certains protesteront, jurant leurs grands dieux que c’est en esthète qu’ils goûtent à l’esthétique de leur "Bellissima 2000 GT", sans se soucier du qu’en dira-t-on. Vraiment ? L’exhibitionnisme me paraît encore plus retors lorsqu’il se pare des habits de la discrétion
Parce que même pour ceux qui ne visent que l’approbation discrète du connaisseur qui est visée, il s’agit ni plus ni moins que de provoquer l’envie.
La gourmandise (la glisse)
J’ai avoué dans une précédente rubrique l’activité coupable à laquelle je m’étais livré il y a bien longtemps au retour d’un voyage du Brésil. Surpris par le blanc manteau qui s’était posé un dimanche soir sur la région parisienne, j’avais dû me résoudre à déneiger ma voiture qui dormait dehors, la perspective d’une nuit annoncée glaciale promettant de tout congeler.
Après une session de balai plutôt pénible pour qui revenait de l’été austral, j’aurais dû rentrer me réchauffer. Mais je pris pour une invitation la couche immaculée de chantilly recouvrant les rues désertes environnantes, et je passais donc l’heure suivante à faire le finnois version pilote de rallye, en dérapage à 20 km/h dans les courbes de spéciales imaginaires, jouant d’un frein de parking qui était encore à ma main pour provoquer de belles dérives en caméra lente.
Depuis que les puces veillent sur notre conduite extérieure, les plaisirs de la glisse sont devenus rares. Un tas de dispositifs aux acronymes abscons répriment désormais le moindre mouvement latéral, nous empêchant de goûter aux joies simples que connaissait la génération de ma grand-mère, qui disait volontiers de sa Simca 1000 qu’elle "chassait" sur la poudreuse.
Ne restent guère pour en profiter que les modèles anciens -mais hors Crit’Air- ou ceux qui possèdent encore une touche magique "Machintruc électronique Off". A moins que… certaines sportives de haut rang disposent d’assistances sophistiquées à plusieurs niveaux de tolérance, permettant de "prendre de l’angle" sans danger, avant d’être remis sur le droit chemin. Souhaitons que se démocratisent bientôt ces systèmes, qui offrent en quelque sorte l’équivalent des plaisirs crémeux ou chocolatés sans les kilos en plus, mais sur quatre roues en dérapage.
L’orgueil (la taille)
Depuis quelques années, il est de bon ton de fustiger les grosses.
Je parle des voitures bien sûr. Ont fleuri récemment sur les réseaux sociaux des visuels confrontant les différentes générations d’un même modèle, mais fonctionnant à l’inverse de ces pubs "Avant/Après" faisant la promotion de programmes minceur. En l’occurrence, ce sont donc les versions modernes des Fiat 500, Austin Mini ou Porsche 911 qui exhibent leur surcharge pondérale.
La critique est facile, oubliant quelque peu qu’aux époques suscitant nos soupirs nostalgiques, le moindre choc sur une portière épaisse comme du papier à cigarettes se chargeait d’amaigrir définitivement son occupant le plus proche. Je doute par ailleurs que les rouspéteurs de service renoncent aux vitres électriques, air conditionnés et autres toits en verre qui migrent de plus en plus de la liste des options vers celle des équipements de série. Enfin, je rappellerais volontiers aux esprits chagrins qu’il faut bien loger leur propre embonpoint, entretenu par les nourritures rapides et super transformées.
J’ai d’ailleurs pour ces derniers une très mauvaise nouvelle. Parce que le modèle le plus vendu au monde est le Ford F150, un pick-up "full size", étalant son châssis échelle sur 244 pieds de longueur et 147 d’empattement (respectivement 6,19 m e 3,99 m) dans sa version "SuperCrew Caisse Longue" et pesant pas moins de 4 912 livres (2 228 kg), même avec la benne chargée d’air (ce qui est le cas la plupart du temps).
Je vois déjà les moues condescendantes à l’évocation de ce que d’autant considèrent comme le véhicule de fonction du "Bumpkin" par excellence (cousin pas germain du redneck), même si beaucoup rêvent en fait secrètement de le conduire. J’en sais quelque chose pour avoir roulé 6 mois en Nissan Frontier D22, modèle de la catégorie en-dessous avec un bon mètre en moins, mais largement aussi impressionnant ramené à l’échelle du parc automobile francilien.
Et surtout, je me souviens avec délice du weekend à Curitiba où j’ai disposé d’un énorme Chevrolet Silverado, particulièrement du moment où je l’ai arrêté au feu à côté d’un S10 du même constructeur. En observant le géant qui venait de se ranger auprès de lui, son conducteur pourtant largement bodybuildé aux suppléments nutritionnels avait instinctivement retiré son bras tatoué de la portière, et s’était recroquevillé dans le siège d’un véhicule devenu soudain trop petit, alors que détendu, j’en profitais pour le toiser du haut de ma cabine étendue.
Vous pouvez dire ce que vous voulez : en certaines circonstances, ce qui compte, c’est la taille.
La paresse (l’autonomie)
Sélecteur de la transmission en position "Drive", régulateur de vitesse auto adaptatif calé sur 135 km/h pour échapper à la sanction des radars qui poussent derrière les piles de pont, le conducteur pianote sur l’écran tactile multimédia, histoire de … pianoter sur l’écran tactile multimédia.
L’assistant de maintien en ligne sanctionne immédiatement l’écart de trajectoire par une correction du volant. L’ennui règne déjà à bord, même si le gobelet de café installé dans le porte-du-même-nom encore chaud, témoigne de l’arrêt récent effectué à la station-service, ordonnée par le détecteur de fatigue.
J’en assez dit sur le sujet. Elle vient quand cette foutue voiture autonome ?
La luxure (l’opulence)
En 2012, Eric Clapton prit livraison d’une Ferrari SP12EC au siège maranellesi de la marque. Inutile de chercher dans sa gamme, puisque celle-ci constituait un modèle unique réalisé spécialement à l’intention du célèbre bluesman, évoquant la non moins fameuse BB512 des années 70 dont il avait auparavant possédé 3 exemplaires.
Tel(le) que je vous connais, ce qui vous intéresse le plus, c’est de savoir combien l’ami Eric a déboursé pour sa belle GT, réalisée dans le cadre du programme de personnalisation "one-to-one", avec l’aimable participation de Pininfarina et de quelques ingénieurs de la marque au petit cheval pas content.
Beaucoup plus que vous ne l’imaginez. Autrement dit, l’équivalent de 21 à 23 Ferrari 458, modèle qui a servi de base à cette réalisation exclusive, soit 4.750.000 euros. A ce tarif, on se réjouit que la Rock Star ait considéré ce projet comme "l’une des choses les plus satisfaisantes de sa vie". Même si l’affaire n’est peut-être finalement pas si mauvaise. Que représente en effet ce chiffre comparé au 11 millions H.T. déboursés par l’acquéreur anonyme de la Bugatti "Voiture Noire", dévoilée au Salon de Genève 2019 ?
Eh bien je vais vous le dire : de quoi faire rire le Sultan de Brunei, du garage duquel plusieurs jours sont parfois nécessaires pour sortir un modèle donné, parmi les 3.000 à 5.000 qui s’y trouveraient. L’homme a d’ailleurs lui aussi l’habitude de se faire confectionner des modèles bien à lui qu’il commande systématiquement en plusieurs exemplaires. C’est le cas des 7 magnifiques Ferrari 456 Station Wagon (eh oui, des breaks de chez Fezza), mais aussi des 18 copies de la Bentley Jawa de 1994, dont on ne peut pourtant vraiment pas dire qu’elle constitue ce que la marque a fait de mieux.
Et tant mieux si vous trouvez ça indécent, puisque ça confirme que le parallèle établi entre luxure et opulence avait bien lieu d’être. Ce qui caractérise d’ailleurs l’une autant que l’autre, c’est qu’elles ne connaissent pas de limite. Si on a du mal à savoir où elles commencent, il est plus difficile encore d’imaginer jusqu’où elles peuvent aller
Voilà, maintenant que j’ai rempli ma part du contrat, vous disposez de toutes les informations nécessaires pour établir la liste de vos bonnes résolutions automobiles pour 2021. Mais je vous laisse juge quant à savoir si elles doivent vous éloigner du péché, ou vous en rapprocher…