29/04/2021 - #Man , #Ford
Mondeo man is dead, long live the Evos man
Par Jean-Philippe Thery
Où il est question d’un ex-futur Premier ministre qui inventa il y a 25 ans le portrait de l’acheteur-type de la voiture de demain. Enfin presque…
A la fin des années 90, Ford est devenue malgré elle fournisseur officiel de stéréotype au Royaume-Uni, lorsque naquit le fameux "Mondeo man".
On attribue volontiers à Tony Blair la création de ce que les marketeurs imprégnés d’UX (User eXperience) d’aujourd’hui qualifieraient volontiers de "persona". C’est à la fois vrai et faux, puisque celui qui n’était alors que candidat au poste de résident du 10 Downing Street avait en réalité fait allusion au modèle antérieur à la Mondeo.
A l’occasion d’une conférence du Parti Travailliste organisée en octobre 1996, Tony Blair relata sa rencontre avec un électricien survenue quelques années auparavant, lors une séance de démarchage dans une banlieue des Midlands, alors que l’homme bichonnait sa Sierra sur le perron de sa maison. Ce dernier avait alors expliqué à l’aspirant Premier ministre comment il était devenu conservateur après avoir monté sa propre entreprise et acheté sa maison, lui qui avait jusqu’ici toujours voté travailliste comme son père avant lui. Tony Blair vit alors dans le "Sierra Man" le symbole de l’échec des Travaillistes à se faire comprendre de la classe moyenne britannique.
Il faut croire qu’Anthony Charles su tirer parti de la leçon administrée par l’homme à la peau de chamois, puisqu’il fut élu en 1997. Et comme la Sierra avait depuis été remplacée par Ford en 1993, c’est donc logiquement au "Mondeo man" que furent attribués les mérites de la victoire, lequel rendait en quelque sorte la monnaie de sa pièce à l’"Essex man", autre figure symbolique supposée avoir porté Margareth Tatcher au pouvoir au cours de la décennie précédente.
Par la suite, ce sont les journalistes automobiles locaux qui se sont emparés de l’avatar du Mondeo man afin d’incarner le Sales Manager dûment cravaté parcourant les routes du pays, dans la quête incessante de ces clients qui lui permettraient d’atteindre ses objectifs commerciaux.
Et il faut croire qu’ils étaient nombreux ces VRP sillonnant inlassablement le réseau routier national, puisque dans le pays où la voiture de fonction est parfois plus importante que le niveau de salaire, la berline moyenne supérieure de Ford s’écoula à 1,2 million d’exemplaires au long de ses quatre générations, soit un quart des cinq millions d’unités vendues dans le monde sur la même période.
De fait, la Mondeo n’était pas qu’insulaire, puisqu’elle constituait la deuxième "World Car" du constructeur américain après l’Escort Mark III lancée en 1980. Une vocation mondiale qui explique d’ailleurs son nom de baptême, puisque Mondeo est inspiré du latin Mundus qui signifie tout simplement "monde".
Mais tout ça, c’est fini.
Le 25 mars dernier, Mondeo man est devenu orphelin. Ce jour-là, les responsables de la marque ont non seulement annoncé que son modèle de prédilection était arrêté, mais surtout qu’il n’aurait pas de successeur. Il faut dire que notre homme était depuis quelques années déjà inscrit sur la liste des espèces menacées, puisqu’il s’est à peine vendu 21.000 copies de la Mondeo l’année dernière. Autrement dit, quatre fois moins que dans le seul Royaume-Uni en 2001, quand au temps de sa magnificence, les vendeurs de la marque signaient 87.000 bons de commande. Autant vous dire que nous sommes désormais très loin des 376.000 exemplaires qui ont trouvé preneur sur le continent en 1994.
A en croire Kieran Cahill, vice-président industriel de Ford Europe, le coupable était tout désigné, puisqu’il déclara que ce jour funeste constituait "une nouvelle étape du voyage de Ford vers l'électrification, ouvrant la voie à un futur où 100% des véhicules particuliers seront électriques".
De fait, les décideurs de la marque ont annoncé au début de l’année que celle-ci ne vendrait plus que des voitures zéro émission sur le Vieux Continent à partir de 2030. Mais considérant que le premier véhicule 100% électrique frappé de l’ovale bleu (la Mustang Mach-E) n’a été lancé qu’en octobre dernier, il semblerait tout de même que le vrai responsable soit à chercher ailleurs. Du côté des SUV par exemple, catégorie qui a représenté en 2020 39% des Ford dans toute l’Europe, en hausse de 8 points par rapport à l’année précédente. En vérité, je vous le dis, Mondeo man a adopté un Kuga.
Voilà qui ne surprendra personne, mais qui ne manquera pas de provoquer des poussées d’urticaire aux écologistes de service autant qu’aux adeptes de la "vraie" voiture, celle dans laquelle on descend quand on y monte. Deux catégories qu’en principe tout oppose, mais qui se trouvent ainsi bizarrement réunies dans le rejet des autos à l’architecture haute.
En ce qui me concerne, je me bornerai à faire remarquer aux uns et aux autres que si le Kuga est 20 centimètres plus haut que la Mondeo et un poil plus large (mais c’est la faute des rétros), il est surtout 26 centimètres plus court. Un jour peut-être comprendront-ils que les "énoooormes" SUV sont bien souvent plus courts que la berline qu’ils remplacent, les acheteurs migrants ayant tendance à descendre d’un segment lorsqu’ils changent de carrosserie. Dans l’exemple qui nous préoccupe, la Mondeo appartient au D, le Kuga au C. CQFD.
Mais peu importe, puisque l’avenir, c’est l’Evos.
C’est à Shangaï qu’a été présentée le 19 avril dernier la grande nouveauté du constructeur de Dearborn, et pas seulement parce que la mégapole chinoise est encore l’un des rares endroits où l’on tient salon automobile. L’Evos est en effet le premier véhicule développé dans le cadre du Plan "China 2.0", annoncé il y a deux ans, visant à renforcer la présence dans le pays de Ford et Lincoln, notamment par la construction d’un plan produit local, la mise en place de plusieurs centres de design et d’ingénierie, des coopérations avec des tech companies locales et le recrutement de talents chinois. L’Evos a donc été largement conçue et mise au point dans le pays auquel elle est destinée, et où elle sera industrialisée par la JV établie avec Shangan.
Avouez-le, c’est la photo qui l’illustre qui vous a incité(e) à lire cette chronique. Et que l’Evos vous ait tapé dans l’œil ou pas, la première question qui vous est probablement venue en tête fut "qu’est-ce que c’est que ce truc ?".
Selon son constructeur -dont on admettra qu’il est particulièrement bien placé pour en juger- il s’agirait d’un SUV. Mais ça, c’est avant d’ajouter que l’Evos est "le premier véhicule à refléter la philosophie du design ‘Energie Progressive en Force’ de Ford, avec sa silhouette innovante qui transmets les valeurs d’agilité et de dynamisme d’un coupé, associées à la robustesse et au sentiment de liberté propre au SUV. L’éclairage qui connecte les deux flancs, la calandre 3D à motifs paramétriques (sic), les feux arrière à structure et autres éléments de design distinctifs intègrent l’héritage Ford aux valeurs esthétiques chinoises."
Si je veux bien revendiquer la qualité approximative de la traduction à partir d’un anglais que je soupçonne d’avoir été lui-même adapté du chinois, avouez que la lecture du communiqué de presse ne nous éclaire guère sur le sujet. D’ailleurs, un certains nombre de journalistes pourtant habitués à l’exégèse de ce type de littérature se sont empressés d’évoquer un "SUV breakisé", un "Break haut", un "SUV-break" ou encore un "SUV aux proportions d’une berline surélevée" pour désigner ce qui constitue au final une "familiale qui brouille les segments". Autant dire qu’ils ont aussi bien compris que moi.
Pas sûr que Mondeo man s’y retrouve dans cet imbroglio. Et pourtant, l’Evos pourrait bien être sa prochaine voiture, si l’on en croit les rumeurs persistantes selon lesquelles l’objet serait amené à substituer la Mondeo autant que la Fusion, son pendant américain. Et Ford a beau nier farouchement, alléguant que l’engin a été exclusivement conçu pour le marché chinois, la présence dans les environs de Detroit d’un prototype parfaitement reconnaissable malgré les camouflages de circonstance ne fait rien pour crédibiliser ses dénégations. Sans compter que l’idée d’une nouvelle "world car" de la part d’un fabricant habitué du genre est loin d’être insensée.
Pour revenir à Mondeo man, je doute que celui-ci se perde en considérations conceptuelles sur la catégorie d’appartenance de l’Evos. Sans nier l’intérêt des segmentations ou autres typologies bien utiles aux gens de marketing, reconnaissons que le job d’un client ou client potentiel, c’est avant tout d’être client.
En revanche, si je devais interroger ce dernier sur l’objet en question dans le cadre d’un clinic-test, je ne manquerais pas d’exposer à côté de l’Evos une certaine voiture française qui nous vient elle aussi de Chine. Plusieurs des journalistes mentionnés précédemment ont d’ailleurs eux aussi établi le rapprochement avec la Citroën C5 X, sur laquelle c’est Pierre Leclerc, directeur du style de la marque française qui nous éclaire : "Avec son style innovant alliant l’élégance d’une berline, le dynamisme d’un break et l’aspect rassurant d’un SUV, C5 X incarne toute l’audace du style Citroën."
Amusez-vous donc à remplacer Citroën par Ford, et C5 X et dites-moi si ça ne marche pas. D’ailleurs, un mélange de carrosseries (ou de silhouettes comme on dit chez PSA), est-ce que ça ne s’appelle pas aussi un crossover ?
Une fois encore, peu importe, puisque la vraie question consiste surtout à savoir si Mondeo man adhèrera, autrement dit s’il achètera.
Les sceptiques ne manqueront pas de souligner qu’indépendamment de ses penchants politiques du moment, notre homme s’est jusqu’ici plutôt montré conservateur dans ses choix automobiles. On leur rétorquera volontiers que s’étant récemment mis au SUV, celui-ci ne sera donc pas dépaysé par la position de conduite haute à laquelle il nous faudra d’ailleurs bientôt tous nous résigner puisqu’il faut bien loger les batteries d’un VE quelque part, et si possible au ras du plancher.
Pour le reste, quelque chose me dit que Mondeo man pourrait bien s’habituer rapidement au mélange de concepts traditionnels, qu’il s’agisse de berline, coupé, break, SUV ou je ne sais quoi encore, considérant de plus qu’en la matière, l’histoire nous montre combien l’innovation d’aujourd’hui constitue le lieu commun de demain. Demandez-donc aux monospaces ce qu’ils en pensent.
D’ailleurs, c’est plutôt à l’intérieur qu’un gros effort d’adaptation sera sans doute nécessaire, particulièrement si notre ami fait de la résistance aux écrans. Impossible en effet de manquer celui qui selon le charabia du communiqué s’étale "bord à bord" sous les yeux du conducteur, une autre façon de dire qu’il occupe quasiment toute la largeur de l’habitacle avec ses 110 cm. Celui-ci est en fait divisé en deux parties, entre le combiné instrumentation de 12,3 pouces, et l’affichage du système multimédia 4K de 27 pouces, soit presque 69 cm.
Mondeo man disposera donc de toutes les ressources aujourd’hui de mise sur les systèmes d’info-divertissement, entre commandes vocales, assistant virtuel, et même un mode "copilote" permettant au passager d’assumer le contrôle de sa moitié de l’écran et de relayer les informations qu’il juge pertinentes au conducteur. Voilà qui changera quelque peu ce dernier des interrupteurs et autre boutons rotatifs de son (ex) berline préférée.
Au final, la façon dont l’Evos autant que la C5 X, mais aussi la nouvelle C4 (que Citroën qualifie de berline, histoire de nous "confuser" encore un peu plus), cassent les codes traditionnels pourraient bien gêner davantage les adeptes de disputes terminologiques et les chefs de produit marketing contraints de remanier leur segmentation automobile, que ceux auxquels elles sont destinées.
Si c’était le cas, les historiens de l’automobiles nous rappelleront dans quelques années que Citroën et Ford ont chacun à leur manière mis le doigt sur quelque chose d’important.
Et nul doute que dans les bureaux de Dearborn on s’exclamera alors :
Mondeo man est mort, vive Evos man !