26/11/2020 - #Renault , #Alpine , #Ferrari , #Lotus , #Porsche
Mon Plan avec Alpine
Par Jean-Philippe Thery
Je vous l’avais annoncé la semaine dernière : j’ai enfin pu conduire une Alpine ! Du coup, je me sens habilité à vous livrer mes impressions de (bonne) conduite, qu’il s’agisse de l’A110, ou de l’avenir de la marque…
Jusque très récemment, mon expérience Alpine était des plus limitées. Mais j’ai tout de même connu dans ma jeunesse une brève idylle avec une berlinette 1600S, sur les routes environnant du Circuit Paul Ricard où officiait justement son propriétaire, moniteur de pilotage de son état.
C’est d’abord en passager que j’y ai connu mes premiers émois, à un rythme pour le moins soutenu. Je me rappelle notamment que mon pilote d’un jour dument Ray-Bané n’ayant pas manifesté la moindre intention de soulager l’accélérateur à l’approche d’un croisement, j’avais cru bon de risquer un timide "ça freine ?" en forme d’avertissement.
Mais c’est le pied encore à la tôle -ou plutôt à la résine- que le maître du volant m’avait répondu en me toisant goguenardement : "Oh tu sais, ce sont des freins de R8", avant de taper comme un sourd dans la pédale du milieu, et de descendre 2 ou 3 rapports à grands coups de talon-pointe savamment administrés.
Ayant survécu à cette soudaine montée en régime coronarienne, j’eu le droit de prendre le volant, responsabilité que j’assumai crânement mais avec la circonspection seyante au novice qui se baladait encore à l’époque avec un "90" adhésivé à l’arrière-train. Si je n’ai évidemment pas sollicité l’engin avec la même vigueur que son propriétaire, j’en garde néanmoins le souvenir d’une expérience très tactile, et de l’extraordinaire ambiance régnant à bord, sans doute la plus proche de l’univers de la compétition de ce que j’avais connu jusqu’alors.
Toutes proportions métaphoriques gardées, cette brève rencontre tint néanmoins d’avantage de la séance de bécotage auxquelles se livrent les ados en sortie de lycée que d’une véritable étreinte.
J’aurai donc attendu trois bonnes décennies pour avoir enfin un vrai plan avec une Alpine. Cette fois, j’ai pu passer trois jours complets avec une A110, sans chaperon. Mais n’attendez pas pour autant du preneur en main occasionnel qu’il se prenne pour un essayeur, même si je me suis évidemment montré beaucoup plus hardi avec la belle bleue (elle l’était) qu’à l’âge des premières amourettes mécaniques bégayantes.
Nos ébats s’étant toutefois déroulés sur route ouverte ont donc été empreints d’une certaine retenue, mes deux principales préoccupations étant de restituer l’auto en un seul morceau, et de ne rapporter de souvenirs photographiques que ceux que j’avais moi-même réalisés.
Je ne prétends d’ailleurs pas qu’un passage sur circuit m’aurait permis de vous livrer une analyse plus fine, même s’il m’aurait évidemment donné l’occasion de me lâcher en débranchant les "dispositifs de correction de conduite", pour reprendre la terminologie du manuel de bord.
D’ailleurs, si j’ai aimé l’Alpine -et je l’ai aimée- c’est essentiellement pour les mêmes raisons que celles qui m’on fait apprécier la berlinette originale, même si 30 ans de "progrès" sont passés par là. La position de conduite basse et allongée, le son du moteur arrière remplaçant l’habitacle, et l’impression de vitesse même à faible allure qui en découlent sont toujours là.
Mais les performances sont évidemment d’un autre ordre, même si certains blasés redemanderont toujours du cheval. Pour ma part, j’ai trouvé les 252 bestiaux largement suffisants en usage courant par rapport aux montures auxquelles je suis habitué, mais je comprends qu’on puisse avoir envie de chatouiller un peu plus le châssis, ce que la version "S" et ses 40 équidés supplémentaires font probablement très bien.
Pas sûr néanmoins qu’ils fassent une telle différence là ou l’auto excelle véritablement, puisque c’est dans les courbes que se niche l’essentiel des plaisirs délivrés par l’Alpine, où l’on rêve de s’offrir les dérapages et autres pertes d’adhérence seulement accessibles à ceux capables de caresser les limites de comportements.
Au passage (c’est le cas de le dire), j’ai aussi entretenu d’excellents rapports -7 au total- avec la boîte à double embrayage, dispositif dont je n’avais jusqu’ici véritablement tâté que sur circuit. Au risque de faire hurler les puristes, la transmission mécanique -dont je suis pourtant adepte- ne m’a pas véritablement manqué sur le parcours alternant B-Roads et traversée de zones périurbaines qui fut le mien, où je n’ai pas été loin de trouver idéale la possibilité d’alterner en permanence entre les modes manuel et automatique.
Et puis que voulez-vous, à force de jouer sur Forza avec siège baquet et volant à retour de force, on finit par prendre goût aux "clics-clics" des palettes au volant. D’autant que ce type de transmission permet de freiner du pied gauche et d’éviter la transition de pédale à pédale, par fainéantise ou afin de prétendre anticiper la remise des gaz afin de mieux contrer le "turbo-lag" de la mécanique suralimentée.
Mais peut-être lamenterais-je l’absence d’un embrayage et d’une bonne vieille grille en H si je résidais dans un chalet haut-savoyard, en bordure de Départementale serpentante ? Si l’un des lecteurs de cette chronique correspond à cette définition, qu’il n’hésite d’ailleurs pas à fournir son opinion sur le sujet dans les commentaires de bas de page (les autres aussi d’ailleurs).
Si l’amour est aveugle, je n’en n’ai pas moins distingué quelques défauts chez ma compagne de trois jours. Par exemple, si vous aimez les gants de conduite à trou-trous, prévoyez de ne pas les quitter en l’absence de boite pour les y ranger dans l’habitacle, à peine remplacée par un minuscule vanity-case accessible par l’extérieur et situé derrière le moteur, très pratique pour cuire les œufs à la coque sur le trajet supermarché-domicile.
Quant au coffre situé à l’avant, son volume vous permettra de mettre en pratique les concepts les plus radicaux de Marie Kondo, alors que l’inaccessible rangement situé sous la console centrale donnera au machiste qui ne sommeille guère en vous l’occasion d’effleurer le genou de la passagère en prétendant y récupérer votre téléphone portable (ou inversement, puisque cette chronique milite pour l’égalité des genres).
En revanche, il est préférable de vous entrainer quelque peu si vous souhaitez l’impressionner par l’élégance de vos entrées-sorties d’habitacle, même si on reste loin des contorsions à la fleur de Lotus exigées par certaines concurrentes.
Et puis, je dois bien vous avouer que je ne suis pas très fan des changements de graphisme de l’instrumentation accompagnant la sélection des modes de conduite, dont l’existence ne semble précisément se justifier que par la nécessité d’assurer le conducteur qu’il est en "sport" ou "track".
Pourtant, ça s’entend par la grâce des borborygmes de l’échappement, et ça se sent au volant, à l’assistance durcie. A contrario, je ne suis pas sûr d’avoir apprécié les à-coups à la réaccélaration, dont je n’ai pas su à quelle cartographie les attribuer, du moteur, de la boîte, de la pédale d’accélérateur ou des trois à la fois.
Bon, j’arrête mes pinailleries, parce que la vérité, c’est que j’aurais volontiers accepté une relation plus durable avec l’A110, y compris en mode "daily" comme disent les jeunes d’aujourd’hui qui roulent en "young" (timer, évidemment) au quotidien. D’autant plus que je ne me suis pas senti trahi par une auto correspondant exactement à l’idée que je me fais de ce que "doit" être une Alpine. En revanche, je dois avouer que pas un seul instant, je n’ai songé à une "mini-Ferrari" durant les moments que j’ai passés à son volant.
"Mini-Ferrari", c’est pourtant l’expression utilisée par Luca de Meo, directeur général de Renault lors du premier Renault "eWays" lancé le 15 octobre dernier, "événement inédit dédié à la mobilité électrique d’aujourd’hui et de demain" (extrait certifié conforme au communiqué de presse maison).
Il n’en n’a pas fallu plus pour qu’apparaissent des titres chasseurs de clic du genre "Alpine est-il capable de concurrencer Ferrari ?". Du calme les gars ! On écoute le Monsieur qui a bien dit "mini-Ferrari", et même précisé "en devenir", avant de faire allusion au savoir-faire technologique de Renault et à l’approche plus artisanale d’Alpine pour expliquer son propos. Reste cependant à savoir ce que cela signifie.
Parce que figurez-vous que même Ferrari n’a pas réussi à faire une "mini-Ferrari". Et pourtant, la marque italienne a bel et bien essayé, en collaboration avec l’ASA. Durant sa courte existence, de 1961 à 1969, l’Autocostruzioni Società per Azioni a tenté de développer puis commercialiser une très mignonne auto dénommée 1000 GT, mais surtout connue sous le pseudonyme de "Ferrarina", que je ne vous ferai pas l’affront de traduire.
Les trois premières années de l’ASA furent consacrées à la conception et au développement du modèle, sur le berceau (pas que moteur) duquel s’étaient penchés des parrains pour le moins prestigieux, qu’il s’agisse de Nuccio Bertone pour l’élégante carrosserie, Gioacchino Colombo pour les mécanique 4 et 6 cylindres en ligne directement issues du célèbre V12, et Giotto Bizzarini pour le châssis tubulaire, lui-même dérivé de celui de la célèbre 250 GTO.
Avec de tels géniteurs, un physique pour le moins avantageux, l’appui d’un programme en compétition et le support de Luigi Chinetti, célèbre importateur Ferrari de la côte Est des Etats-Unis, le succès de la "Ferrarina" était quasiment garanti.
Las ! cette prévision fut démentie par les moins de 100 exemplaires produits, sur les 3.000 prévus chaque année dans l’usine de Milan, montée pour l’occasion. S’il rend l’ASA 1000GT particulièrement désirable de nos jours, ce chiffre minuscule traduit un échec cuisant, attribuable principalement à un manque d’image et un tarif particulièrement salé, dans un pays ou la Corvette et son gros V8 de 427 cubic inches coûtait 25% de moins.
Tels que je vous connais, certains ne manqueront pas de me faire remarquer qu’il exista une mini Ferrari à succès avec les Dino 206 et 246 GT, modèle piloté par Danny Wilde dans "Amicalement vôtre", mais dont la remplaçante lancée en 1973 intégra la gamme Ferrari 3 ans plus tard. La 308GT4 fut d’ailleurs celle qui initia la lignée des berlinettas à moteur V8 central arrière, aujourd’hui représentée par la F8 Tributo, pas vraiment mini avec ses 720 chevaux et ses 232.694 euros en tarif de base sans options.
Monsieur de Meo songerait-il donc à faire mieux que Ferrari sur son propre terrain ? En tout cas, le patron du Groupe Renault a bien l’intention d’offrir un futur à Alpine, en s’appuyant sur une usine qui ne demande qu’à produire, le savoir faire des ingénieurs de Renault Sport Technologies, et l’image que l’écurie de Formule 1 rebaptisée Alpine à partir de la saison 2021 devrait véhiculer partout dans le monde, surtout si ses monoplaces ont la bonne idée de propulser leur pilote sur les podiums.
Or s’il y a bien un domaine qui me paraît légitimement alpin, c’est celui des produits dérivés. Mais vous pouvez oublier les colifichets à la qualité et au goût parfois douteux que la prestigieuse marque italienne n’hésite pas à sigler moyennant finance, à l’image du monument de kitsch maranellien que constitue le "Ferrari World" d’Abu Dhabi.
Parce qu’à mon sens, le vrai merchandising de la marque dieppoise, ce sont les versions sportives de modèles Renault, à l’instar des Renault 5 Alpine et 5 Alpine Turbo. Attention néanmoins à ne pas nous refaire le coup pour le moins raté de la Twingo Gordini, mauvais pastiche dénué de substance avec sa peinture bleue, ses bandes blanches et son compte-tours rapporté. En fait, le temps est sans doute venu de mettre fin à l’appellation Renault Sport au profit d’Alpine.
Mais ça ne suffira évidemment pas. Et paradoxalement, je crains que de ce point de vue, le problème principal de l’A110 ne soit justement qu’elle est une vraie Alpine. Et quitte à fâcher les ayatollah de la marque, j’ose affirmer que pour exister, celle-ci devra bousculer sérieusement la base de son fan-club sur ce qui semble pourtant constituer le cœur de sa tradition.
Pour m’expliquer, rien de telle qu’une métaphore. Tenez, prenez la question du poids. Avec ses 1.123kg tout mouillés, l’A110 nouvelle mouture est aujourd’hui considérée comme une voiture légère, alors que ce chiffre ferait hurler l’Alpiniste des Sixties, habitué aux 600 à 700 kg de la berlinette originelle.
Mais rendue en 2020, entre équipements obligatoires et facultatifs de sécurité active ou passive et autres éléments de confort, l’auto est plus maigre que la plus légère des Clio 5. Et surtout, elle rend 250 à 300 Kg à la Porsche Cayman, dont la version S doit recourir à une centaine de chevaux en plus pour échouer à un dixième du temps de 4,5 secondes au 0 à 100 km/h départ arrêté obtenu par la sportive française.
Or, si nous sommes capables de lire le poids de la berlinette actuelle en le situant dans son contexte historique, pourquoi ne pourrions-nous en faire de même sur ce qui constitue l’ADN de la marque, plutôt que de la figer dans une prétendue tradition qui n’est pas forcément la sienne ?
Si la firme normande ne fut pas la première à recourir à la fibre de verre pour ses carrosseries –initiative de la Glasspar G2 américaine- elle n’en fut pas moins l’une des pionnières et plus ferventes utilisatrices.
Même topo pour le châssis poutre, qui existait dès les années 20 sur les Tatra tchèques, et que Lotus remis à la mode après-guerre avec son Elan première du nom, avant qu’Alpine n’en fasse un élément constitutif essentiel de la Berlinette. Or aucune des ces deux spécificités n’a été reprise sur la voiture actuelle, ce qui ne l’empêche pas de revendiquer un patrimoine génétique légitime.
Pour (sur)vivre, même avec des volumes de niches, et se développer hors Hexagone où elle est encore trop cantonnée, Alpine devra investir de nouveaux territoires, quitte à irriter les conservateurs autoproclamés de la marque.
Personnellement, je la verrais bien proposer sur la prochaine A110 une déclinaison du concept Sport X, adaptée aux voies mal revêtues constituant l’essentiel du réseau routier mondial et permettant d’attaquer des marchés aujourd’hui peu concernés par les voitures de Sport.
Mais puisqu’il en est semble-t-il question, je ne serais fâché ni par un SUV, ni par des véhicules électriques ou électrifiés arborant le A fléché, à condition bien sûr qu’ils soient conçus avec un quelque chose d’une "Alpine Touch" qui reste à définir, d’autant plus s’ils permettent de financer le remplacement de l’A110 actuelle. D’ailleurs, chez Ferrari-pas-mini, on fait de l’hybride depuis 2013, du 4x4 depuis 2016, et on s’apprête à lancer le Purosangue, premier SUV de la marque.
Pas sûr que mes élucubrations correspondent pour autant aux plans de Luca de Meo, que nous découvrirons sans doute bientôt. En attendant, je me referais bien au plus vite un Plan Alpine avec l’unique représentante actuelle de la marque.
Et pourquoi pas une S et ses 292 chevaux, histoire de pimenter la relation ?