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14/12/2023 - #Tesla , #Mclaren , #Porsche

Le temps des cerises

Par Jean-Philippe Thery

Le temps des cerises
Les Tesla, ça crame ! La preuve par le meme (Crédit : un anti-VE anonyme)

Aujourd’hui, on part à la cueillette. Mais pas forcément des meilleurs fruits…

Dans le livre III de Natura Deorum (de la nature des Dieux), traité philosophique qu’il rédigea en 45 avant que Jésus crie (pour la première fois), Cicéron fait allusion à une anecdote mettant en scène Diagoras de Mélos, sophiste et poète grec du Ve siècle avant qui vous savez, lequel était également homme de loi à défaut de foi puisque son athéisme ne faisait aucun doute pour le célèbre avocat romain.

Alors qu’on lui présentait comme preuve supposément irréfutable de l’existence de la providence plusieurs ex-voto offerts aux dieux par les rescapés d’un naufrage, Diagoras fit gentiment remarquer que le destin n’avait pas daigné accorder à ceux qui avaient péri noyés le sort enviable des chanceux dont subsistait la trace à Samothrace (puisque là se déroulait l’affaire). "La coutume est que l’on peigne ces gens-là. Mais on ne s’avise nulle part de représenter ceux qui périssent sur mer tout en ayant cru à la même providence."

Les pieux rieurs souligneront l’ironie qui voulut que Diagoras -condamné à mort pour impiété mais qui avait fui Athènes avant que ne soit exécutée la sentence- périsse en mer. Pas d’ex-voto pour l’incroyant donc, dont on retiendra surtout pour les besoins de cette chronique qu’il démontra en quoi le picorage n’est pas réservé aux seules poules. Une technique que les anglais désignent joliment comme "Cherry picking", consistant à ne cueillir que les plus belles cerises en laissant sur les arbres celles dont l’apparence viendrait compromettre l’image du verger.

Bien sûr, c’est de rhétorique au figuré dont il est ici question, quand les arguments se substituent aux burlats, bigarreaux et autres griottes, et que l’on cultive le biais de confirmation. L’honnêteté nous obligera d’ailleurs à reconnaitre que chacun d’entre nous goûte régulièrement la saveur sucrée de la compote de fallacies, quand ne sélectionnant soigneusement que ces chiffres ou données allant dans le sens de notre démonstration, on dupe à coups de drupe (ainsi nomme-t-on les fruits charnus à noyau).

Et si je vous en parle, c’est que jamais sans doute dans l’histoire de l’humanité, les cerises n’avaient volé aussi bas que dans le cinglant débat opposant les pros aux contres de l’électrique. Les réseaux pas toujours très sociables s’en font bien sûr l’écho quand s’écharpent en publications aussi électriques qu’électroniques les tenants de cette nouvelle querelle entre prétendus modernes et réputés anciens. De véritables morceaux de bravoure dont je vous propose un bref florilège, ou devrais-je plutôt dire : un "frutilège". Mais qu’on se le tienne pour dit : ce n’est pas parce que j’irai me servir alternativement chez les uns et les autres que je m’interdis la mauvaise foi ou les sophismes. En d’autres mots, je compte bien moi aussi disposer de mon droit à "cherrypiquer".

Cerise n°1 : Le moteur électrique possède le meilleur rendement
C’est vrai. Avec les neuf dixièmes de l’énergie consommée restituée, la messe est dite pour les thermiques qui ne transforment péniblement que 40% environ des hydrocarbures qu’ils ingurgitent, consacrant en conséquence par la motorisation l’immense supériorité de la voiture électrique. J’enjoins pourtant ceux qui ont encore le courage d’employer tel argument à s’assoir sur le bidule en question pour voir jusqu’où il les emmène, ce qui leur donnera tout le temps nécessaire pour se rappeler que dans "Véhicule Electrique à Batteries", il y a "batteries" et que le propre -pas toujours propre- de l’automobile est précisément d’embarquer l’énergie qu’elle convertit en mouvement. Et de ce point de vue, reconnaissons qu’un bête réservoir en alu ou plastoc est autrement plus efficace qu’un pack de cellules, aussi sophistiqué soit-il. En d’autres termes, la comparaison entre les différents types d’énergie doit se faire à minima sur la chaine de traction, voire en tenant compte d’un tas de trucs extérieurs aux véhicules concernés si on prétend mesurer leur empreinte "du puit à la roue". Une équation du genre complexe, dont le résultat varie avec les données d’entrées, notamment la matrice énergétique de chaque pays. Parlez-en donc à votre Casio FX-82…
 
Cerise n°2 : l’électrique, ça ne date pas d’aujourd’hui.
Il me faut bien l’avouer : J’utilise celle-là régulièrement. En même temps, ça relève de la légitime défense à l’égard de ceux qui traitent volontiers de dinosaures les petrolheads auxquels j’appartiens. Et puis, il y a tout de même quelque chose de jouissif à leur rappeler qu’en dehors du Fardier de Cugnot de 1769 -qui roulait à la vapeur- l’une toutes des premières automobiles fut en 1881 le Tilbury électrique de Charles Jeantaud. Sans oublier la "Jamais contente" de Camille Jenatzy, espèce de cigare à batteries qui "fumât" tout ce qui se déplaçait à l’époque, en étant en 1899 la première voiture à dépasser les 100km/h. Mais quand j’exhume ces pionniers-là, je me garde bien de mentionner que les premiers engins électriques composant un bon tiers du parc automobile mondial au tout début du XXe siècle n’avaient pas grand-chose à voir avec les VE actuelles, avec leurs batteries au plomb non scellées distillant joyeusement des vapeurs corrosives. Et je me tais soigneusement sur le fait qu’à l’inverse de leurs homologues thermiques, leurs descendantes n'ont pas bénéficié de quelques 120 années de R&D…

Cerise n°3 : les ventes de VE explosent
Pas une journée désormais, sans qu’on se voie rappeler le succès éclatant de la transition électrifiée, chiffres mirobolants à l’appui. Et s’il est vrai que la VE est devenue en quelques années une réalité bien tangible dans les rues européennes, californiennes ou autres, certains manipulent à outrance lorsque cumulant les ventes d’hybrides avec celles des engins à batterie, il proclament la victoire de l’électrique sur des thermiques soi-disant minoritaires. Je suggèrerais volontiers à ces magiciens de la statistique de rouler en hybride -même "branchable" sans jamais s’approcher d’une station-service, afin de vérifier si leurs talents d’illusionnistes vont jusqu’à transformer dans la vraie vie une voiture thermique électrifiée en "pure électrique". Sinon, ils pourront aussi observer l’évolution de la part de marché de ces dernières sur les ventes de voitures neuves, seul véritable indicateur de la marche de l’électrification. Et ce n’est pas nécessairement aller à l’encontre des autos électriques que de constater qu’avec une proportion de 7,5% aux Etats-Unis et environ le double en Europe, leur croissance s’est significativement ralentie par rapport aux deux ou trois années précédentes. Parce qu’on est tout de même en droit de constater que des intentions à la réalité, il y a parfois un léger écart…

Cerise n°4 : les VE explosent
Que celui qui n’a jamais vu de Tesla en flammes sur les réseaux sociaux sorte de sa grotte. C’est bien connu, ces trucs-là prennent feu comme une boite d’allumettes posée sur un poêle à charbon, surtout quand une des cellules le composant s’offre un "thermal runaway", équivalent chez les batteries du "burnout" chez les professionnels de l’automobile (pilotes de F1 exclus). Si ce n’est que les thermiques aussi connaissent l’enflammement, et dans des proportions pas vraiement inférieures à celle des VE. Même si Elon s’emballe un peu lorsqu’il explique qu’entre 2012 et 2022, le risque qu’une Tesla s’immole par la combustion est onze fois moindre que pour une auto à essence ramené au mile parcouru, en oubliant quelque peu de pondérer tout ça par l’âge des parcs respectifs. Quoiqu’il en soit, il faudra trouver chez les "anti" un autre refrain que "on vous met le feu" s’agissant de leur cible de prédilection, l’argument ayant fait… long feu. Ce qui n’empêche pas qu’éteindre un incendie électrique, c’est tout de même très enquiquinant. 

Cerise n°5 : l’électrique, ça coûte moins cher.
La preuve par le TCO, autrement dit "Total Cost of Ownership" dans le langage des marketeux, ou "Coût total de possession" pour l’académie française, lequel ajoute à ce qu’il faut débourser à l’achat d’une voiture les frais d’entretien et de réparation. Et, bien que certains loueurs aient semble-t-il connu de mauvaises surprises en la matière, il n’en reste pas moins que sur le papier, un véhicule électrique pèse à l’usage moins que son équivalent thermique sur le portefeuille, qu’il s’agisse de la consommation d’énergie ou parce qu’il comporte un nombre significativement moindre de pièces en mouvement trempant dans l’huile. Mais pour l’acquéreur potentiel au taquet de ses capacités d’emprunt, pas sûr que l’argument convainque le banquier d’allonger les fonds nécessaires au financement de la différence de prix avec une auto à pétrole, qui reste significative malgré les aides de tout poil. Demandez-donc aux fameux "ménages modestes" pourquoi ils n’ont pas dépensé plus pour acquérir une auto "moins chère" que leur occase à 3 ou 4.000 euros : ils vous répondront sans doute que certaines économies sont réservées aux riches… 

Cerise n°6 : l’électrique, ça coûte cher (à recharger)
De fait, il peut arriver quand on accouple une VE à certaines bornes rapides de haute puissance en bord d’autoroute de payer plus cher que pour l'équivalent en essence. De quoi faire grincer les dents quand l’électrique est supposée fournir la mobilité individuelle à un coût réduit. Mais à moins de ne jamais rentrer au domicile où s’effectuent 90% des recharges à un tarif défiant toute concurrence carbonée, une électrique coûte tout de même significativement moins cher au total en consommation d’énergie. "Pourvu que ça dure" nous dirons sûrement les sceptiques, qui pointeront du doigt le manque à gagner pour les pouvoirs publics, les produits pétroliers non consommés étant synonymes de pertes significatives en rentrés fiscales. Et nul n’ignore qu’en matière de taxation, nos édiles savent faire preuve d’une imagination débordante…

Cerise n°7 : Les Tesla humilient les Porches
Et les Lambo, McLaren ou Fezza, et autres bolides du même acabit, pour qui les versions hautes des modèles de la marque californienne constituent une véritable "Plaid" lors de défis dûment youtubé ou tiktokés. "Elan" Musk ne s’est d’ailleurs pas privé de recourir récemment à l’argument du Grand Prix des feux rouges en démontrant comment battre à plate couture une Porsche 911 à l’accélération avec une autre Porsche 911…juchée sur une remorque tracté par son pick-up. Le genre de démonstration qui tourne quasi systématiquement à l’avantage des Tesla boys, en raison de l’énorme couple dont disposent les motorisations électriques dès les premières rotations, mais qui interroge tout de même sur le pourquoi d’une telle débauche d’énergie pour arracher au plus vite de la position arrêtée de lourdes machines supposées sauver la planète par leur efficacité…énergétique. 

Cerise n°8 : On fait des heures de queue en VE
Il serait faux d’affirmer que ça n’arrive jamais, puisqu’il suffit de googler "Tesla queue for charging" pour trouver en ligne plusieurs vidéos en attestant. Mais qu’un certain nombre d’entre elles proviennent de tabloïds (forcément) anglais, ou soient répétées en des lieux ou à des époques différents met tout de même la puce à l’oreille : il y a aussi du fake ou de l’exagération en la matière. Et si ça ne garantie pas que la vie de l’automobiliste électrique soit toujours un long fleuve tranquille, ni que recharger ne soit pas plus contraignant que de faire le plein de combustible liquide, il n’en reste pas moins qu’il est de nos jours parfaitement possible de traverser l’Europe en VE sans affronter de longues files d’attentes. Bon, tout ça dans un contexte où les électriques représentent moins de 2% des voitures légères en circulation en Europe. Il faut donc espérer qu’en prévision d’une augmentation significative de cette proportion, les bornes vont se multiplier par milles pour ne pas être dépassées…

Je m’en tiens là même s’il reste de la place dans le panier. Complétez-le à votre guise, avec vos meilleures cerises, les pires, ou celle du gâteau. Pour ma part, j’ignore si la révolution électrique est en marche, mais celle-ci a me semble-t-il déjà trouvé son hymne dans la célèbre chanson écrite en 1866 par Jean-Baptiste Clément qui participa cinq ans plus tard à la commune de Paris à laquelle son historiette fut associée. La preuve, c’est que les vers sont dans le fruit, faisant clairement allusion aux partisans et adversaires de la mobilité alternative, dont je vous laisse choisir les noms d’oiseau auxquels associer les uns et les autres :

Quand nous chanterons le temps des cerises
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête...

Et ce n’est pas Diagoras de Mélos qui dira le contraire…

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Réactions

Merci pour cet article !
Et si sur le gâteau du marché de l'automobile, la cerise n'était pas forcément toute électrique ?
Malheureusement, la législation européenne nous dicte le contraire à partir de 2035...
;-(

Est-ce que vous cueillez les cerises avec la queue ?
Non, j'ai déjà assez de mal comme ça avec la main.
(Coluche)

Et de ne pas remettre à deux mains ce qu'on peut faire avec une seule...
;-)

@ Bruno Haas, Le 14/12/2023 à 09:44
Il jouait le temps des cerises au violon avec des gants de boxe. Car quand il les enlevait, c'était plus facile pour jouer de l'instrument...

Un peu comme Lucien Jeunesse qui faisait ça "à deux mains si vous le voulez bien !"

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