02/11/2023 - #Honda , #Daihatsu , #Lexus , #Mazda , #Mitsubishi , #Nissan , #Suzuki , #Toyota
Lapinou
Par Jean-Philippe Thery
Au japon, on est plutôt du genre carré. Y compris en ce qui concerne les voitures…
Pas une seule 400Z.
Alors que je comptais sur mon passage en territoire nippon pour découvrir enfin le dernier coupé de chez Nissan, je suis reparti sans croiser un seul exemplaire de celle dont nous sommes privés en Europe pour sauver la planète. De la production locale, je n’ai d’ailleurs guère croisé de sportives en dehors d’une Silvia customisée à mort et de deux exemplaires de la très belle Lexus LS500, en admettant qu’on puisse ranger cette dernière dans la catégorie. Dans le genre exotique, j’ai cependant eu droit à une bonne dizaine de Toyota Century et Nissan President arrêtées le long des trottoirs chics de Ginza ou Shibuya, moteur tournant pour alimenter la clim rafraichissant le chauffeur assoupi, profitant d’un moment de répit avant le retour du CEO de je ne sais quel Keiretsu (conglomérat à la japonaise). Une clientèle huppée qui semble apprécier ces drôles de limousines associant la technologie dernier cri à des housses de siège en dentelle blanche et un style issu tout droit des seventies.
Mais pour le reste, j’ai surtout vu des Lapin.
Voilà bien un drôle de nom pour une voiture, même si on se rappellera que VW nous a déjà fait le coup il a un certain nombre d’années avec la Rabbit, version américaine de la Golf première du nom. Une dénomination sans doute choisie dans l’espoir que le léporidé motorisé se multiplie à grande échelle, stratégie qui s’avéra payante. Du coup, le badge Rabbit fit une brève apparition en Europe pour la fin de vie de la première génération de la GTI, faisant le bonheur de marchands d’accessoires proposant de le remplacer par un monogramme en plastoc d’un goût incertain, mettant en scènes de chauds lapins dans des positions pour le moins douteuses. Pas grand-chose à voir donc avec la petite Suzuki du même nom -mais en français- qui ferait plutôt dans le genre "Kawai" (mignon en japonais) version Beatrix Potter (si vous n’avez pas identifié l’illustratrice britannique qui dessinait ces charmantes petites bêtes, c’est que vous n’avez pas eu d’enfance).
Afin de fermer immédiatement le clapier de ceux qui songeraient à se moquer, dites-vous bien que la Lapin en est à sa quatrième génération et une vingtaine d’années de présence sur le marché japonais, et que ses représentantes pullulent dans les rues de Tokyo, Kyoto, Osaka ou autres cités de l’archipel. Sachez encore que l’engin est un poil (d’Alcantara) plus alto que l’Alto, petite berline compacte dont elle est dérivée et qui fait figure de vétérane avec ses dix générations. Deux modèles qui appartiennent à la bien connue catégorie des "Keijidōsha" ou "Kei-cars" créée dans l’immédiat après-guerre, dont le format et la cylindrée contenus ouvrent droit à des avantages fiscaux expliquant que celles-ci représentent de nos jours un gros tiers des ventes de voitures neuves. Ce qui fait de la Suzuki un gros lapin mais une petite voiture avec ses 3.395 mm de longueur pour 1.475 mm de largeur et 1.525 mm de hauteur, alors que son 3 cylindres de 660 cm³ développe gaillardement de 51 à 63 ch suivant les versions.
Je ne vous sortirai pas de mon chapeau l’essai routier de la Lapin, n’ayant malheureusement pas eu l’occasion d’en prendre le volant, et m’en tiendrai donc à des considérations d’ordre stylistique, domaine dans lequel la bête sacrifie au cubisme malgré son nom évoquant plutôt des formes rondouillardes. Elle est d’ailleurs loin d’être la seule puisque d’autres modèles ont rallié le mouvement, dont nous avons connu quelques rares représentantes en Europe, entre la WagonR (pour rester chez Suzuki), la rare Daihatsu Materia et la très bien nommée Nissan Cube même si cette dernière est un peu plus grosse qu’une Kei Car. Un genre d’autos qui n’a pas vraiment fréquenté les premières lignes des classements de ventes dans nos contrées, mais dont on trouve pléthore de modèles dans leur pays d’origine, dont je ne résiste pas à la tentation de vous fournir un aperçu non exhaustif.
Sur place les Move, Canbus et Tanto de chez Daihatsu le disputent ainsi aux Honda N-Box, N-One ou N-Van, ainsi qu’aux Mitsubishi ek X Wagon, ek X Space, Delica ou TowBox. Mais rien n’empêche de préférer les Nissan Dayz, Roox ou Sakura, à moins d’opter pour les Subaru Stella ou Chiffon (sic), ou encore les Carol, Flair ou Scrum Wagon si les Mazda sont plutôt votre truc. Histoire de rendre définitivement fou le correcteur d’orthographe Wordien, j’ajouterai les modèles de Suzuki qui propose sans doute le meilleur choix dans la catégorie, puisqu’en dehors des Alto et Lapin, on peut aussi compter sur les Hustler et Hustler J Style II, WagonR et ses dérivés (Custom Z, Stingray ou Smile), à moins de se laisser tenter par une des versions de la Spacia (Base, Custom ou Gear My Style), l’Every, la Carry ou je ne sais quoi encore. Bref, y’en a partout, comme si les sociétaires parallélépipédiques du cubisme nippon motorisé se multipliaient entre elles, entre les différentes versions consanguines d’un même modèle et le cross-badging inter-constructeurs, sans oublier les dérivés utilitaires.
Cette inclinaison un tant soit peu étrange des acheteurs japonais de voiture neuve pour les lignes tirées au cordeau et les flancs parfaitement verticaux ne se limite d’ailleurs pas aux compactes, puisqu’on les retrouve par exemple dans la catégorie des gros monovolumes, comme les Nissan Elgrand ou le Toyota Alphard. Mais je ne lève là aucun lièvre pour ceux qui ont eu l’occasion de visiter le pays du soleil levant, lesquels feront valoir que nul n’est besoin d’être expert en sociologie de la mobilité individuelle pour comprendre qu’un Duplo® à roulettes procède d’une recherche d’optimisation de l’espace ô combien compréhensible dans l’univers urbain des métropoles japonaises caractérisé par une forte densité populationnelle, et qu’en la matière, on ne fera évidemment jamais mieux que le pavé.
Un raisonnement qui se tient bien que contrairement à une idée reçue, il y a environ 25% d’habitants au km² en moins dans la capitale nippone qu’à Paris, même quand on se limite aux 23 arrondissements composant la préfecture de la Tokyo en ignorant le reste de son agglomération. Il faut dire que les gratte-ciels qui contribuent pourtant à l’identité de l’une des cités les plus peuplées au monde n’y sont finalement pas si nombreux et presqu’entièrement dédiés à l’immobilier d’entreprise, alors que les quartiers résidentiels sont peu verticalisés avec nombre de petites maison à un ou deux étages. Sans compter que la majorité de ceux qui travaillent dans le centre pratiquent le navettage depuis et vers la banlieue où ils résident, n’ayant d’autre choix que d’emprunter un réseau de transport en commun d’une incroyable densité, puisqu’un péage urbain et la rareté des places de parking rendent ce genre de trajet en voiture totalement impensable.
Il n’en reste donc pas moins que l’espace est rare et cher, particulièrement pour des voitures interdites de stationnement dans les rues, et dont la possession est conditionnée à la délivrance d’un "Shako Shomeisho", certificat exclusivement accordé à ceux disposant d’une place de parking à distance raisonnable de leur domicile. Et quand celle-ci n’est pas louée à un tarif qu’on imagine prohibitif dans un parking public, elle est souvent "encastrée" dans la façade des maisons d’habitation constituant un emplacement calculé au plus juste. On comprendra dans ces conditions l’avantage dont dispose la Lapin par rapport à la Baleno, petite berline du segment B également signée Suzuki, dont les 4,20 de longueur n’ont pourtant rien de scandaleux, mais aujourd’hui à peine disponible en Inde et en Australie.
La Lapin est donc la résultante d’une forme de sélection plus ou moins naturelle, qui voit les automobilistes s’adapter logiquement à leur environnement. Mais bien qu’issues d’un espace urbain contraint, les voitures cubiques japonaises sont également particulièrement prisées en dehors des villes où les Kei Cars représentent une part de marché plus importante encore que dans les cités. Voilà une forme d’acclimatation surprenante, en quelque sorte contraire à celle que connaissent les marchés occidentaux où le succès des SUV traduit une forme d’invasion des villes par la campagne, même si de façon purement symbolique.
A l’inverse, Alphonse Allais avait bien imaginé les villes à la campagne, mais pas forcément au Japon. Mais s’agissant d’une Lapin, ne peut-on y voir une forme de retour aux sources ?