29/09/2022
La Douanière Rousseau (et le Chef de Gare)
Par Jean-Philippe Thery
C’est une chronique un peu saignante que je vous propose comme plat du jour. Car ce n’est pas parce que je prends le train en marche, que je ne vais pas ajouter mon grain de sel à la désormais fameuse affaire de l’entrecôte…
A moins qu’on ne vous ait dernièrement envoyé paître sur la lune, il est sans doute inutile de vous remémorer les faits. Ce que je vais néanmoins m’empresser de faire en vous rappelant cette journée du 27 août dernier au cours de laquelle Sandrine Rousseau, député de son état -ou plutôt de sa circonscription- déclara lors d’une table ronde consacrée à la consommation de viande et ses répercussions pour le climat : “Il faut changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité“.
Forcément, ça a rué dans les brancards chez des Français qui veulent bien être pris pour des veaux par le Général, mais pas traités comme des bœufs par une édile verte. Même si les nombreux amateurs de bidoche devraient plutôt la remercier de leur avoir filé un tel os à ronger -quitte à se prendre une gamelle en public- à constater l’abondante littérature que la simple évocation du morceau de steak a généré. Evidemment les médias toujours prêts à faire monter la sauce béarnaise ou bourguignonne n’étaient pas en reste, même si je ferais sans doute mieux de ne pas trop la ramener sur le sujet.
Ça s’est passé en deux temps, avec une première vague de réactions outrées, dont la cinglante “on mange de la viande en fonction de ce que l'on a dans le porte-monnaie, et pas en fonction de ce qu'on a dans sa culotte ou dans son slip“, habilement servie par le secrétaire du Parti Communiste en la personne de Fabien Roussel, ne fut certainement pas la moins bonne. Mais parce que nous sommes Français et que nous jouissons d’une réputation à défendre, l’analyse -l’intellectualisation diront certains- s’est rapidement substituée aux commentaires à chaud.
Et c’est comme ça qu’on s’est vu rappeler que la consommation médiane de viande (hors volaille) est de 43 g par jour pour les hommes de 18 à 79 ans, contre à peine 27 g pour les femmes. C’est l’INCA qui nous le dit, pas l’Empire mais l’étude Individuelle Nationale des Consommation Alimentaires, réalisée par l’Agence Nationale pour la Sécurité de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail, ou ANSES pour les intimes. Et comme je n’ai pas pour habitude de contester les résultats d’enquête sans un minimum de fondement méthodologique, j’admets volontiers que les porteurs de chromosomes XY ingurgitent en moyenne 60% de bavette d’aloyau ou de faux-filet en plus que leur compagne (ou pas). Ceci étant dit, Madame Rousseau s’en bat probablement les steaks, puisque c’est de représentation sociale et non de quantité à laquelle elle faisait allusion.
Or, n’étant pas sociologue, je me garderai bien de nier le constat sur lequel elle s’appuie. Je ne serais d’ailleurs pas surpris outre mesure que les dignes représentants de la profession soient en mesure de démontrer ce que notre (de plus en plus) chère entrecôte et les rites qui accompagnent sa préparation sur une grille -ou plutôt un grill- comportent de représentation masculine. C’est d’ailleurs là tout l’intérêt des sciences humaines que de nous éclairer sur nos comportements, leurs origines et significations, et je ne suis personnellement pas scandalisé par le contenu potentiellement genré des fibres protéinées d’origine animale, à condition que la démonstration soit correctement argumentée.
Alors me direz-vous, où est le problème, et surtout, quel est le rapport à l’automobile ?
J’y viens, ou plutôt, c’est Monsieur Krakovitch qui y vient. Un nom que vous avez forcément retenu depuis que le directeur de TGV-Intercités et Président d'Eurostar Group chez SNCF a vertement -c’est le cas de le dire- tancé les dirigeants du PSG sous prétexte que leur équipe s’était rendue à Nantes en aéroplane plutôt qu’à la rame (à grande vitesse). Mais je vous épargnerai un énième avis sur le sujet, puisqu’une sortie plus récente de notre homme m’intéresse davantage, celui-ci n’ayant jamais un train de retard -contrairement à un nombre croissant de ses passagers- quand il s’agit de se faire remarquer. Et c’est aux détenteurs d’un avantage en nature motorisé qu’il s’en prend cette fois-ci, lorsqu’il déclare : “il y a 2,8 millions de voitures de fonction en France, c’est monstrueux“, d’autant plus précise-t-il au sujet de ces dernières qu’elles “servent essentiellement à partir en week-end“.
Au cas où Sandrine et Alain n’auraient pas été assez explicites, comprenez que manger de la viande c’est mâle, que rouler en voiture est d’autant plus répréhensible quand elle est mise à disposition par l’employeur et qu’on s’en sert en fin de semaine, surtout si c’est pour se rendre à la boucherie. Et vous savez quoi ? Je vais tout de même revenir très brièvement sur l’affaire du PSG. Parce que si j’en veux à Christophe Galtier -l’entraineur de l’équipe- et à l’ami Kylian, ce n’est pas tant pour le caractère un rien puéril de leur réaction, mais parce que celle-ci me parait avoir contribué à masquer l’essentiel. De fait, je crois bien que nous tenons dans le couple improbable constitué par l’élue de la neuvième circonscription de Paris et le responsable d’une grande société à capitaux publics des adeptes du “shehui xinyong tixi“.
La traduction littérale en est semble-t-il “Système de confiance en la société“, mais on l’a volontiers comparé à une espèce de permis à points citoyen. Et vous avez sans doute entendu parler de ce dispositif destiné à récompenser ceux qui parmi les habitants de Chine se conforment aux règles établies, pénalisant leurs compatriotes qui ne les respectent pas. Le tout étant bien sûr associé à un très efficace réseau de surveillance à l´échelle du pays, faisant appel entre autres, aux technologies dernier cri en matière de big data ou à des caméras à reconnaissance faciale. Or je me demande si les déclarations tonitruantes de nos chers sauveurs de l’humanité autoproclamés ne démontrent pas qu’ils briguent l’ouverture d’un bureau permanent du côté de Zhongnanhai, où se trouvent le siège -et les sièges- du Parti communiste chinois.
Si vous trouvez que j’en rajoute, je vous rappelle qu’en tant que chroniqueur, je dispose d’un libre accès aux hyperboles, à la caricature et de manière générale à tout ce qui relève de l’exagération. Mais tout de même, il me semble que la Douanière Rousseau franchit allègrement les frontières de notre espace intime lorsqu’elle suggère la création d’un délit de “non-partage“ des tâches ménagères, prétextant que “le privé est politique“. Sans compter qu’elle ressert sérieusement ces mêmes bordures lorsqu’elle envisage qu’à l’automobile individuelle se substitue la voiture collective, sous forme de flottes gérées par les autorités locales dont elle imagine probablement qu’elles auraient -justement- autorité pour décider si nos déplacements sont justifiés ou non. Le collectivisme automobile, je ne suis pas sûr que Xi Jinping lui-même y ait pensé
Sandrine et Alain ne s’arrêtent donc pas au constat, puisqu’ils prétendent nous imposer les mesures supposées être les meilleures pour nous. Et pour amusantes ou irritantes (cochez la case de votre choix) que pourront vous paraître leurs suggestions, laissez-moi vous rappelez qu’elles n’ont rien d’isolées, particulièrement s’agissant de quelqu’un disposant d’un mandat électif. C’est qu’on aime bien s’autoriser à interdire dernièrement, qu’il s’agisse de trajets à réaction -privés ou non- de la consommation d’avocats venus du Mexique ou de l’usage d’un véhicule motorisé à roues. Et je trouve personnellement inquiétant de constater le nombre -dont j’ignore s’il est grandissant- de ceux qui prétendent imposer leurs choix à tous, au nom d’une cause certes noble, mais dont je ne suis pas certain qu’elle justifie les doses plus ou moins subtiles de totalitarisme que semblent suggérer certains de nos concitoyens, apparemment lassés des bienfaits de la démocratie
Or j’ai dans l’idée que l’être humain -race ô combien détestable selon certains radicaux verts pas très fins qui ne seront pour autant pas les premiers à vouloir se défenestrer- effectue avant tout les choix qui lui plaisent. Certes, j’imagine volontiers qu’il existe pour ceux qui ont résolu de se rendre au travail en pédalant, des matins plus difficiles que d’autres au moment de se mettre en selle. Mais vous ne me ferez pas croire que ceux-là n’aiment pas au moins un peu leur vélo, et qu’ils ne l’enfourchent que dans la douleur, dans la seule perspective de réduire leur empreinte carbonée. Faut-il d’ailleurs considérer comme absurde que nous-mêmes et nos semblables privilégions les bénéfices personnels dans nos choix ? En ce qui me concerne, je dois bien concéder que les trop rares fois où j’attrape le guidon, c’est aussi dans l’espoir de faire disparaître ces foutus kilos que le Covid m’a laissés en souvenir.
Voilà justement un conseil qu’ils ne suivront probablement pas, mais que j’adresserais pourtant volontiers à Sandrine et Alain : qu’ils retrouvent les vertus de l’incitation. Si le Chef de Gare Principal a dans l’idée de substituer le “train de fonction“ à la voiture de société, pourquoi pas s’il parvient à constituer une offre attractive ? Je le trouve d’ailleurs plus raisonnable quand il explique vouloir “réfléchir à une alternative que l'on pourrait proposer aux entreprises qui souhaiteraient elles-mêmes pouvoir proposer à leurs cadres supérieurs d'autres solutions répondant mieux aux aspirations grandissantes d'une mobilité plus éco-responsable“, même si je doute personnellement que les “jeunes recrutés“ supposés s’y montrer plus sensibles soient très représentés dans la population concernée. Mais s’il y parvient, qui suis-je pour contester le choix de ceux qui auront topé ?
Un message dont je crains pourtant qu’il s’assortisse mal de la radicalité assumée de la Douanière, dont je trouve les tableaux tels qu’elles nous les (dé)peints annonciateurs d’un avenir bien sombre. Et je me dis qu’à trop en faire, on risque de détourner la majorité de la population de mesures qui pourraient être véritablement utiles, mais qui vont rester lettre -pour ne pas dire nature- morte.