06/02/2023
IRA : l'Europe, victime collatérale du face-à-face entre Washington et Pékin
Par AFP
(AFP) - L'affrontement économique entre les États-Unis et la Chine reste vif depuis cinq ans, à l'image du grand plan climat arraché par Joe Biden au Congrès et destiné à redonner aux États-Unis son indépendance en matière d'industries vertes. Au milieu, l'Europe entend siffler les balles... et en prend quelques unes.
Ce plan américain, baptisé Inflation Reduction Act (IRA) sera au menu de la visite mardi des ministres français et allemand de l'Economie Bruno Le Maire et Robert Habeck à Washington, avant que l'Union européenne ne prépare sa réponse à l'occasion d'un sommet des chefs d'État et de gouvernement les 9 et 10 février.
Doté de 430 milliards de dollars, l'IRA prévoit de distribuer des subventions aux industries vertes telles que les fabricants de batteries pour voitures électriques et de panneaux solaires, sur le modèle chinois des subventions sur son sol, la condition pour les entreprises étant de fabriquer ces produits aux États-Unis.
"Un des objectifs clés de l'IRA est d'exclure les fournisseurs chinois des chaînes de production de l'énergie propre", décrypte auprès de l'AFP Tobias Gehrke, chercheur auprès du Conseil européen pour les relations internationales, selon lequel les États-Unis ont pensé "d'abord et avant tout"
à leur intérêt propre en matière de créations d'emplois et d'industrialisation, et ensuite à la diminution de leur dépendance envers la Chine.
La Chine est un acteur majeur pour les véhicules électriques : elle détient 78% de la fabrication mondiale de cellules pour les batteries et les trois quarts des méga-usines mondiales de lithium-ion, selon une étude du groupe de réflexion américain Brookings Institution.
Face-à-face brutal
Pour les États-Unis, la question de l'Europe dans ce dossier ne s'est posée que dans un deuxième temps, poursuit M. Gehrke, au même titre que pour la Corée du Sud ou le Japon, traditionnels alliés mais exclus des subventions, à l'inverse du Mexique ou du Canada.
"L'Europe est un peu devenue un dommage collatéral dans cette histoire", relève Cecilia Malmström, ancienne commissaire européenne pour le Commerce, aujourd'hui membre du centre de réflexion Peterson Institute à Washington. "Je ne pense pas que cela était intentionnel", précise-t-elle à l'AFP.
La faute à un face-à-face brutal sur le plan économique et technologique depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Cela a d'abord pris la forme de taxes douanières punitives dès 2018, restées en place après l'élection de Joe Biden qui a lui aussi adopté un ton belliqueux envers Pékin.
De plus, Washington a imposé en octobre des restrictions d'exportations de certains composants électroniques vers la Chine au nom de l'intérêt national et mis en place un "Chips Act" qui prévoit près de 53 milliards de dollars pour relancer la production de semi-conducteurs aux États-Unis.
Puis est arrivée l'IRA.
"L'essor technologique de la Chine sera ralenti à tout prix" par les Américains, analyse Jon Bateman, membre du groupe de réflexion américain Carnegie Endowment for International Peace, dans la revue Foreign Policy.
Course aux subventions
L'inquiétude européenne est d'autant plus forte que la réindustrialisation est devenue une préoccupation planétaire avec la pandémie et la guerre en Ukraine qui ont profondément remis en question les règles de la mondialisation. Cette priorité mondiale laisse craindre une course aux subventions aux États-Unis, en Chine, ainsi qu'en Europe où la Commission veut faciliter la distribution d'aides d'État en réponse aux politiques de ses adversaires.
Pour Pascal Lamy, l'ancien directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Europe doit "mettre la pression" sur Washington, d'autant plus que l'IRA est "plus anti-européenne qu'anti-chinoise", car "l'industrie automobile est quasiment en libre-échange avec les États-Unis" et dispose d'avantages comparatifs.
Ce blocage entre les deux alliés historiques pose aussi la question de la stratégie européenne vis-à-vis de la Chine, relève Tobias Gehrke, à l'heure où les composants chinois sont de plus en plus intégrés dans le processus de fabrication des véhicules électriques sur le continent.
"Les chaînes de productions européennes sont dangereusement dépendantes de la Chine", estime-t-il, jugeant que "se focaliser sur ces dépendances est dans l'intérêt économique de l'Union européenne et pourrait convaincre Washington que l'Europe est un allié nécessaire face à la Chine".