10/03/2025 - #Renault
Industrie : des blocs moteurs aux obus, la métallurgie automobile s'intéresse à la guerre
Par AFP
(AFP) - Economie de guerre ? En France, des industriels de la métallurgie sous-traitants de l'automobile ou du ferroviaire en difficulté, réorientent une partie de leur production vers l'acier de guerre et les obus.
Le groupe landais Europlasma a dans cette optique confirmé jeudi qu'il était candidat à l'acquisition des Fonderies de Bretagne, sous-traitant de Renault en cessation de paiement, qui fabrique des pièces de moteurs en fonte.
Si son offre de reprise est retenue, Europlasma, créé en 1992 autour de la dépollution et de la fabrication de pièces forgées, compte se "diversifier dans le domaine de la défense afin de répondre à un enjeu de souveraineté nationale et à une demande croissante à l'échelle européenne", a indiqué le groupe.
Ce virage, en plus de ses activités automobiles, devrait lui permettre d'assurer la "préservation de 240 emplois", soit "plus de 80% de l'effectif actuel", avance-t-il.
En 2021, Europlasma avait acheté les Forges de Tarbes, seul fabricant français de corps creux, l'enveloppe métallique des obus de 155 millimètres utilisés par les canons français Caesar qui se sont imposés sur le champ de bataille ukrainien contre la Russie.
Depuis le début du conflit, la France a livré 30.000 obus de ce type à Kiev, et l'objectif pour 2025 est d'en livrer 80.000 unités, indiquait le ministère des Armées dans son bilan Economie de guerre, année 2 publié le 1er janvier.
Dans l'oeil du cyclone
Valdunes, le dernier fabricant français de roues ferroviaires, en redressement judiciaire fin 2023, a également été repris par Europlasma, et partiellement réorienté en mai 2024 vers la fabrication de corps creux.
Au total, "la France a triplé sa capacité de fabrication d'obus depuis 2022", a souligné l'ancien ministre délégué auprès du ministre des Armées Sébastien Lecornu, Jean-Louis Thiérot, dans le Nouvel Obs jeudi.
Souffrant des "incertitudes" du secteur automobile en Europe, le fabricant de roulements à billes suédois SKF, avait indiqué en octobre à l'AFP son intention d'orienter une partie de ses usines françaises vers la défense en se positionnant pour les appels d'offres du char du futur européen, le programme franco-italo-allemand MGCS (Main Ground Combat System).
Il ne s'agit pas pour autant d'un mouvement général de reconversion vers la défense de l'industrie automobile en surcapacité, bousculée par le virage électrique qui a besoin de moins de fonte d'acier, prévient néanmoins Vincent Charlet, économiste du groupe de réflexion La Fabrique de l'industrie.
"Il est trop tôt pour le dire, on est dans l'oeil du cyclone", dit-il à l'AFP : "La fabrication d'obus ne se substituera jamais de manière significative à l'automobile qui est l'épine dorsale de l'industrie européenne".
"Mais pour un sous-traitant intrinsinquement menacé et disposant d'un outil de production performant, pivoter vers d'autres fournisseurs est plutôt astucieux", ajoute-t-il.
Usines sous cocon
Il attire l'attention sur les "défis de compétitivité" que devront relever les industriels du civil tentés par la guerre.
"Souvenez-vous de l'épisode des masques durant l'épidémie sanitaire. On s'est mis à en fabriquer à toute vitesse et 12 mois plus tard personne ne les achetait, car ils étaient trop chers", dit M. Charlet.
Car l'armement terrestre est "en concurrence sur les prix face à des fournisseurs de pays à très bas coûts pour du matériel d'infanterie ou des munitions", fait-il valoir, contrairement à l'autre pôle de l'industrie de défense française lié à la dissuasion nucléaire, un "vaste ensemble de très haute technicité" comportant "les fabricants de la bombe, des avions, des sous-marins, et des bateaux qui la transportent".
Mercredi, en annonçant des soutiens financiers "communs massifs" en Europe pour "acheter et produire sur le sol européen des munitions, des armes, et des équipements", Emmanuel Macron a souhaité que ces opérations "accélèrent" la réindustrialisation dans les régions.
Mais pour M. Thiérot, l'un des points faibles de la France est "la sous-capitalisation" de ses PME.
Il plaide pour le développement d'"usines sous cocon": "Au lieu de fabriquer dès maintenant des millions d'obus au coût exorbitant, on pourrait investir dans une usine que l'on maintiendrait en veille, et que l'on activerait si une situation de crise l'exige. L'idée est de bâtir une industrie capable de monter en puissance très vite, sans pour autant sacrifier l'économie civile".