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16/02/2023

Fossile

Par Jean-Philippe Thery

Fossile
Les dinos dans leur habitat naturel à Ottawa (Crédit : Website, musée canadien da la nature. https://nature.ca/fr/)

Aujourd’hui, je dresse un bilan carbone et je rends un hommage qui ne fera pas plaisir à tout le monde.

Quand j’étais petit, je voulais être paléontologue.

Bon évidemment, à l’âge des culottes courtes, j’ai surtout imaginé devenir pompier, pilote de course ou encore commandant de bord, et même "Brand Manager" dans l’industrie automobile (euh non, ça c’est ce qui m’est arrivé pour de vrai). Il n’empêche, bien avant qu’Hollywood ne porte les diplodocus et vélociraptors à l’écran, et à l’époque de mes premiers cours de biolo, j’ai véritablement songé à entrer en paléontologie.

Ça m’est revenu il y a quelques mois dans le très beau musée de la nature d’Ottawa (prononcez "Od´ouah" si vous ne voulez pas avoir l’air d’avoir débarqué dans l’Ontario la veille). Une visite que je vous recommande chaudement si vous passez dans le coin, même si je vous déconseille d’y aller tout de suite, vu qu’en c’moment y fait plutôt frette dans la capitale canadienne, tabarnak ! (je sais, le Québec est à 200 bornes, mais j’avais envie).

N’hésitez donc pas à y emmener vos enfants -si vous en avez-, lesquels adoreront la salle des dinosaures où ces charmantes bestioles sont reproduites avec -du moins l’imagine-t-on- un réalisme saisissant. Mais pour ceux qui préfèrent les trucs attestés au carbone 14, sachez que le squelette du Daspletosaurus torosus -premier cousin du célèbre Tyrannosaures rex- qui vous accueille à l’entrée de la galerie des fossiles est lui parfaitement authentique, comme 80% des pièces qui y sont présentées. Un score inhabituellement élevé même dans les établissements spécialisés en animaux obsolètes.

Bon, je n’aurais sûrement pas fait un très bon scientifique gratouilleur de squelettes obsolètes, mais le musée ottavien m’a tout de même rappelé à quel point le fossile est un gars formidable. Non seulement parce que sans lui, Steven Spielberg n’aurait jamais pondu Jurassic Park ou que Daenerys Targaryen ne serait pas devenue la mère des dragons, mais aussi parce qu’il nous permet accessoirement d’imaginer ce qu’était notre chère planète à l’époque du Mésozoïque, de 66 à 250 millions d’années en arrière. Et des millions d’années, c’est précisément ce qu’il faut pour que parvienne jusqu’à nous le résultat du lent processus de minéralisation de la matière organique constituant les êtres (autrefois) vivants, auquel seuls 0,01 à 0,1% de ces derniers ont droit.

Bref, le fossile c’est cool, à condition de le conserver en l’état. Une règle qui s’applique aussi à la grammaire du substantif, puisqu’en adjectivant, on a vite fait de donner dans le gros mot. Comme pour l’énergie fossile, désignant des trucs comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel, tellement dégoûtants qu’il faut les récupérer dans des gisements de matière organique (donc carbonée) en décomposition.

Et si comme moi vous pensiez que le pétrole provient de restes des 99,9% de pauvres dinos qui n’ont pas eu la chance d’être anoblis par minéralisation, il va vous falloir réviser votre chimie. Parce que sachant qu’il faut environ 650 millions d’années pour que les restes de plantes, bactéries et champignons mais aussi de quelques animaux se transforment en liquide énergétique, autant vous dire que vous n’êtes pas prêt(e) de faire le plein au jus de triceratops ou de ptérodactyle siffleur.

De quoi donner le vertige à nos cerveaux pas vraiment conçus pour traiter de tels ordres de grandeur. Enfin, ça dépend de l’unité, parce que 650 millions d’euros, j’arrive encore à appréhender. Mais l’équivalent de 20 millions de générations humaines, 2.100 période de présence de l’homo sapiens sur la planète, ou 237 milliards de journées (et des poussières) ça nous dépasse. Et pourtant, nous activons tous deux zones cérébrales pour manipuler les nombres, entre celle située au milieu des lobes pariétaux droits et gauches, et le gyrus angulaire qui traite les stratégies apprises, la première permettant d’effectuer les calculs mentaux avec la table de multiplication mémorisée à l’aide de la seconde. Mais rien à faire : 650 millions d’années mettent les neurones en échec et les synapses en court-jus.

Avec les énergies carbonées rien n’est d’ailleurs plus facile que d’attraper le tournis. Tenez, saviez-vous par exemple que nous (les humains) consommons journellement 95 millions de barils de pétrole, soit 441 millions de fois le plein de la Fiesta 1976 qu’utilisait ma grand-mère ? Et que si on mettait bout à bout ces mêmes fûts au bout d’un an, on pourrait faire 692 fois le tour de la terre ?

Voilà qui explique comment nous avons brûlé 14 milliards de mégatonnes d’équivalent… pétrole des années 1880 à l’an 2000. Et si vous imaginiez que celui qu’on appelle l’or noir a remplacé le charbon, sachez que la consommation de ce dernier a été multiplié par 1,5 de 1970 à l’an 2000, pour s’établir à 2,16 Mtep. Allez, une bonne nouvelle : elle a baissé de 7,5% depuis les années 80.

En fait, le fossile craint quand il se la joue combustible. Pas étonnant dans ces conditions que certains considèrent qu’il soit grand temps qu’on cesse d’y recourir en mettant fin à ce qui a manifestement constitué une erreur tragique dans l’histoire de l’humanité. Ceux-là nous expliquent que l’homme nouveau y pourvoira bientôt, vivant chichement mais heureux en mode full décarboné, renouvelable et local. Et qu’on limitera autant que faire se peut l’usage de ces machines diaboliques que constituent les aéronefs, bateaux de croisière et automobiles, ces dernières n’étant guère autorisées qu’en modes électrique et collectif. 
A voir. 

Parce que je suis d’autant moins convaincu que ce monde formidablement vertueux que certains appellent de leurs vœux advienne, qu’il me paraît constituer l’équivalent énergétique et contemporain de ce que fut mythe du bon sauvage. "L’homme naît frugal, c’est le pétrole qui le corrompt", aurait sans doute écrit Rousseau, s’il s’était un tant soit peu intéressé aux hydrocarbures. Mais j’anachronise, et je ne devrais pas écrire des trucs pareils. Car si certains venaient à les lire, je serais aussitôt rangé dans la catégorie des fossiles. Du genre pas cool né au siècle dernier, même si en ce qui me concerne, c’est plutôt la déminéralisation qui me guette en vieillissant.

Mais perdu pour perdu, j’ose l’impensable en forme d’hommage aux énergies fossiles. Parce qu’on peut réécrire l’histoire autant qu’on le voudra, il n’en restera pas moins que sans le charbon, le pétrole et tout ce qui sent le gaz, nous n’en serions pas là. C’est peut-être d’ailleurs le seul truc qui mettra tout le monde d’accord, même si je vais paraître totalement hors mode en avouant qu’il m’arrive de trouver formidable ce monde que nous avons façonné à notre façon carbonée. Personne ne m’ôtera par exemple de l’idée qu’une automobile c’est formidable, et qu’en elle comme dans toutes les machines que nous avons créées, réside tout le génie humain.

La mauvaise nouvelle, c’est que notre dépendance aux énergies fossile n’est pas prêtre de s’arrêter, quand bien même nous réussirions à les substituer partiellement, ou a en réduire notre consommation. On a déjà vécu ça au XIXe siècle, quand l’ouverture massive de mines de charbon a provoqué une demande sans précédent de bois pour en étayer les galeries. Et rebelote quelques années plus tard quand l’acier nécessaire à la fabrication des voitures mues par l’essence de pétrole a exigé sa dose massive de coke. Et comment croyez-vous que ça se passe avec la fabrication de modèles zéro-émissions, même s’il ne s’agit pas ici de remettre en cause le bienfondé de leur existence.

Imaginer la fin de notre dépendance aux énergies fossiles, ça consiste à se projeter soit quelque part au XVIIe siècle, soit dans un futur que l’état actuel de nos technologies ne permet pas encore d’imaginer, même si on espère bien que la génialité de l’être humain y pourvoira. Dans l’attente, rien n’interdit de se mettre au boulot, qu’il s’agisse de faire évoluer les comportements, ou de donner à l’homme en blouse blanche les moyens de bosser. Mais on est aussi en droit de ne pas se raconter d’histoires, et de se rappeler que la bien nommée transition énergétique constitue par nature un processus lent. Et que rien ne sert de vilipender celles auxquelles nous devons énormément, sans doute pour longtemps encore.

Au fait, le terme d’énergie fossile est un abus de langage, retenu par simple analogie temporelle entre deux process de transformation qui n’en finissent pas. Les dinosaures -ou ce qu’ils sont devenus- d’Ottawa et d’ailleurs peuvent donc reposer en paix : on ne leur fera pas porter le chapeau.

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Réactions

Que deviendrait tout ce pétrole sous nos pieds si on arrête de l'exploiter ?
Quel gâchis !
Mais je garde en mémoire les déclarations de Christophe de Margerie, et je suis rassuré.

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