23/04/2020 - #Renault , #Audi , #Mazda , #Morgan , #Nissan , #Opel , #Peugeot , #Porsche , #Fiat , #Ford
Déconfinable
Par Jean-Philippe Thery
En ces temps d’introspection forcée, je vous propose une balade en voiture ouverte. Sur un mode principalement nostalgique, parce que je ne suis vraiment pas sûr de vous convaincre.
Je me souviens. Une Fiat Barchetta jaune venue d’Allemagne, au sommet du Mont Ventoux. Photo de rigueur à 1912 m d’altitude au pied de la station hertzienne, avec deux modèles identiques. Celle que je conduisais était bleue.
Je me souviens. Loin devant le pare-brise vertical, les ailes volutés et voluptueuses, le bosselage des phares. Un jeune chevreuil qui s’arrête un instant sur le bord de la route. Le cervidé semble apprécier le contraste de la carrosserie noire et des roues fil rouges de la Morgan Plus 4, puis repart.
Je me souviens. Le haussement d’épaules d’un passant incrédule, à Versailles. Regard censeur sur la capote ouverte de la Renault 19 16V, dont le "bleu Sport 449" brille au soleil d’hiver. Dehors il fait zéro. Vitres relevées, chauffage à fond.
Je me souviens. La MX5 prêtée par Mazda pour le Week-end. "Bruxelles" me dit mon ami Thomas en découvrant les lettre EEC de l’immatriculation. On part sur le champs, et on s’interdit de la fermer.
Je me souviens de bagnoles déconfinées, et c’est doublement la faute de Facebook. D’abord à cause des algorithmes nostalgiques qui vous balancent des souvenirs-anniversaires aléatoires.
La semaine dernière, J’ai pris dans la figure un jour d’avril 2010, lorsque j’emmenai sur le Circuit d’Interlagos la réplique de Porsche 550 Spyder que je venais de m’offrir. La plus récente au milieu d’une trentaine de congénères, elle passa le cap des 200 km parcourus, quelque part entre le S de Senna et le virage du "Laranjinha".
Et puis Facebook, ce sont aussi ces posts qui pullullent dernièrement, comme un symptôme inéquivoque du ras-le-bol d’être enfermé, et qui vous lancinent la même question : Quel est le premier truc que vous ferez lorsque le confinement prendra fin ?
En ce qui me concerne, je n’en ai sincèrement pas la moindre idée. Pas sûr d’ailleurs que ce jour-là arrive vraiment, du moins pas tel qu’on l’imaginait. On finira évidemment bien par en sortir, mais alors nous rêvions d’ouvertures soudaine des grilles et de grandes embrassades dans des rues, parcs ou abribus enfin reconquis, on nous annonce une espèce de liberté surveillée avec levée progressive des interdictions géolocalisation de nos smartphones en guise de bracelet électronique.
Peu importe, parce que si je ne sais pas ce que je ferais, je n’ai aucun doute sur ce que je voudrais faire, si seulement le Spider habitait encore mon garage.
Il y a, pas très loin d’où j’habite, cette petite route serpentant à l’assaut de Tijuca, la plus grande forêt urbaine au monde. Y retrouver la sensation de rouler dans une voiture ouverte. Regarder les arbres au-dessus d’un toit qui n’existe pas. Sentir les effluves d’essence provoquer mes narines. Ecouter les borborygmes du moteur presque sans filtre, juste derrière moi. Et puis m’arrêter dans les hauteurs, au petit kiosque de la "Vista Chinesa" et me donner le temps de regarder les reliefs de Rio se jeter dans la mer. Prendre la vue comme prétexte, pour retarder les plaisirs du retour.
L’automobile est née ainsi, ouverte à tous les vents, même si elle s’acheta très vite une "conduite intérieure" dès 1894, grâce à Louis Renault. Une expression délicieusement surannée pour une automobile dont le propriétaire pouvait se glisser au volant, protégé des éléments par un toit, privilège refusé à l’employé casquetté d’un Coupé-chauffeur.
Certains pourtant ne purent se résoudre à se calfeutrer pour piloter leur machine. On leur inventa donc le cabriolet.
Enfin, pas tout à fait. Comme pour la plupart des vocables désignant un type de carrosserie, "cabriolet" trouve son origine dans le monde odorant des véhicules hippomobiles, qualifiant une "voiture légère et rapide munie d’une capote mobile, le plus souvent montée sur deux roues et tirée par un seul cheval". Le terme serait né au XVIIe siècle, même si le concept ne prit véritablement son essor que dans la deuxième moitié du XVIIIe, lorsqu’il devint la coqueluche d’une certaine société parisienne. Les bobos de l’époque en quelque sorte, dont le véhicule favori eut droit aux honneurs de la plume de Victor Hugo. "Ces malles étaient des cabriolets à deux roues, tapissés de cuir fauve au-dedans […] et n’ayant que deux places, l’une pour le courrier, l’autre pour le voyageur", nous explique-t-il dans Les misérables.
Quant à l’étymologie du mot, elle nous surprend par son évidence :
"Cabriolet, c’est un mot drôle.
Son origine, s’il vous plaît ?
Mettez un "t" à cabriole,
Et vous aurez cabriolet."
Cet épigramme joyeux, composé à l’intention du véhicule de Louis XVI, nous rappelle que le mot s’est constitué par analogie avec le petit de la chèvre, dont les sautillements désordonnés s’apparentent aux soubresauts d’un équipage ne bénéficiant pas des confortables suspensions équipant les berlines et autres limousines. Avouez que ce soir, on se couchera moins bêêêêêtes.
Oui mais. Je crains que la voiture à cabri, ce ne soit fini. Parce que si comme moi vous aimez les automobiles qui se découvrent, l’époque ne vous donne guère de raison de sauter de joie. Je me demande en effet si le Coronamachin n’est pas en train de tuer les autos (pourtant) munies de capote. C’est d’autant plus plausible que nous serions face à un cas de comorbidité, puisque la catégorie n’affichait déjà pas une grande forme avant que ne se déclenche l’épidémie.
Les chiffres dont je dispose sont sommaires, mais pas moins significatifs. En France, le segment regroupant les coupés et cabriolets représentait environ 70.000 unités en 2010, contre à peine 20.000 l’année dernière. En Europe, il s’est vendu moins de 200.000 voitures décapotables en 2014, contre presque 260.000 en 2010, très loin des 360.000 unités réalisées en 2003, année record pour le segment.
Et la situation ne s’est sans aucun doute pas arrangée si l’on en croit la liste des portés disparus sur la dernière décennie : Citroën C3 Pluriel, Ford Focus Coupé-Cabriolet, Opel Astra Twintop, Renault Wind et Mégane CC, Peugeot 207 et 308CC, VW Eos et New Beetle Convertible. Comme vous l’avez probablement déjà remarqué, ce sont les modèles les plus abordables, issus des segments B et C, qui n’existent quasiment plus.
Le résultat, c’est qu’un chèque de moins de 30.000 euros ne vous donnera aujourd’hui accès qu’à deux versions de la MX5, ou à une Fiat 500C dont on admettra que le toit ouvrant en toile emportant la lunette arrière ne justifie pas totalement l’appellation "Cabriolet" qu’elle utilise pourtant.
Histoire de remuer le couteau dans la capote, j’apprends en écrivant ce billet que l’antédiluvien roadster Nissan 370Z n’est plus disponible à la vente, et que l’Audi A3 nouvelle génération n’aura pas de version ouvrable. En rappelant qu’en décembre dernier, c’est la Fiat 124 Spider, clone latin de la MX5 qui sortait de la liste des tarifs européens de la marque après seulement 4.000 exemplaires vendus.
Autant vous le dire tout de suite, c’est de votre faute. Combien d’entre vous ont-ils en effet passé commande d’un cabriolet, ne serait-ce qu’une fois dans votre vie d’automobiliste ? Certes, un contexte de plus en plus autophobe n’incite pas toujours à l’hédonisme automobile, ni à l’achat de voitures plaisir. Mais songez-y un instant. Une voiture découvrable ne constitue-t-elle pas la meilleure des réponses possibles au 80 sur les routes nationales ? Avec un cabriolet, vous aurez les cheveux au vent (enfin, pas moi), les odeurs de foin coupé dans le nez (les pollens aussi) et l’impression de rouler plus vite que ne l’indiquait le compteur (surtout avec des acouphènes dans les oreilles).
Je sais, je sais. Certains d’entre vous me feront remarquer que le supplément de poids dû aux renforts de carrosserie et au toit rigide de certains modèles ne sont pas vraiment en phase avec les dernières tendances liées aux émissions de CO2. Ils ajouteront qu’avec les investissements colossaux nécessités par les normes dépollution et le développement des gammes électriques, les constructeurs n’ont plus vraiment les ressources pour jouer de l’ouvre-boîte. Arguments retenus.
D’autres me feront remarquer que VW vient de lancer le T-Roc en version plein-air, et que l’espoir est donc permis. Objection votre honneur : je joins au dossier les tarifs de l’engin, ainsi que les résultats commerciaux du Murano Crosscabriolet, et de l’Evoque sans toit flottant, qui en disent long sur le potentiel d’une catégorie illégitime, à base de manipulation génétique entre SUV et capote.
Quant à ceux qui invoqueront je ne sais quelle nécessité familiale ou le contenu du caddie du samedi au Carrouf à faire rentrer dans le coffre pour se justifier, je répondrai que ma filleule et son petit frère ne sont pas sortis traumatisés des nombreux trajets effectués sur la banquette d’une Mini Cabriolet, somme toute plus confortable selon eux que les places Arrière du Coupé RCZ qui a suivi. Inutile d’appeler la DDASS pour dénoncer le comportement irresponsable de leur mère, ils ont déjà quitté le cocon familial depuis longtemps, pour des raisons qui n’on rien à voir avec les choix automobiles du foyer.
J’en conviens, il m’est arrivé d’avoir des arguments plus convaincants. Et j’ai conscience de l’inutilité de ma démarche dans l’environnement récent, qui devrait inciter plus encore les constructeurs à élaguer leur gamme de tout ce qui ne contribue pas à combler les déficits en cours de creusement. Sans compter que malgré les envies de plein air exprimées sur les réseaux sociaux, je vous soupçonne de vouloir plus que jamais vous isoler dans l’habitacle de vos conduites intérieures, commande de clim sur la version recyclage.
Mais vous ne pourrez pas dire que je n’ai pas essayé. Je vous enjoins d’ailleurs une dernière fois d’acquérir une voiture déconfinable, avant qu’il ne soit trop tard. Sinon, ne venez pas vous plaindre lorsque je vous narguerai avec mes ballades en forêt de Tijuca, quand j’aurai repris un Spyder.