18/11/2021 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Audi , #Bmw , #Bugatti , #Mercedes-Benz , #Mg , #Opel
Das deutsche Auto
Par Jean-Philippe Thery
Après la Trabant 601 et la Mercedes SLS AMG, c’est la troisième fois consécutive que je vous parle de voiture allemande. Mais ce coup-ci, je fais dans le genre holistique.
Ça fait un peu plus d’un mois que je suis à Berlin.
Et je ne surprendrai personne à constater que dans la capitale allemande, il fait plus froid qu’à Rio. Surtout le matin quand en sortant de la station du U-Bahn, on longe les immeubles à l’architecture soviétique -et pour cause- qui bordent l’Alexander Platz, formant une espèce de couloir où les vents venus de je ne sais où adorent s’engouffrer. Ça n’a pas l’air de déranger les locaux qui se restaurent volontiers en terrasse sans la moindre considération pour l’indicateur du thermomètre fricotant avec le zéro, quand ils ne se déplacent pas à vélo dans une tenue que le Carioca de service jugerait totalement indécente en dessous de 25 degrés. Moi, je fais plutôt marrer mes collègues qui me rappellent volontiers que nous ne sommes qu’en novembre, et que je n’ai rien encore rien vu.
Heureusement pour les déracinés climatiques auxquels j’appartiens, à l’intérieur des bâtiments, il fait chaud. Grâce à des réseaux de chauffage performants – du moins tant que Loutchenko ne ferme pas le robinet d’un gaz dont les Allemands font grande consommation- mais aussi aux ouvrants, ou plutôt devrais-je dire, aux fermants. Parce que pour les avoir régulièrement manipulés depuis mon arrivée, je vous prie de croire qu’une fenêtre allemande, c’est du sérieux. Quand on arrive d’un pays où les ouvertures -bien nommées celles-là– essayent tant bien que mal de coulisser dans des profils en aluminium extrudé malgré plusieurs millimètres de jeu pour n’offrir en bout de course qu’une barrière symbolique aux intempéries, poussières, degrés centigrades et autres types d’entrées, je puis vous assurer que c’est le genre de détail auquel on prête attention.
J’ai d’ailleurs eu besoin d’une brève formation -gentiment assurée par une collègue de bureau manifestement touchée par mon infortune thermique- pour comprendre toutes les fonctionnalités de l’objet. C’est ainsi que j’ai découvert qu’en pointant la poignée d’ouverture vers le haut, il était possible d’entre-bailler la fenêtre de mon bureau verticalement -comme apparemment toutes celles du pays- ce qui permet de restituer une température plus amène à une pièce surchauffée sans se prendre de grands courants d’air froids dans la figure. Dans le jargon des menuisiers spécialisés, on appelle ça un oscillo-battant.
Qu’il me soit donc permis de rendre ici un vibrant hommage à ces ingénieurs méconnus qui garantissent mon confort thermique comme celui de millions de gens, en permettant aux fenêtres du pays de sortir plusieurs fois par jour de leurs gonds sans dérailler. Si ce n’était que moi, ces gars-là auraient droit à une médaille décernée pour service rendu aux cérémonies de clôture de chaque COP, en considération pour les milliers de tonnes équivalent pétrole qu’ils nous font économiser en plus de nous garder au chaud. Mais pas sûr que les fans de Greta fassent preuve d’une telle ouverture d’esprit.
Et puisqu’il est normalement question d’automobile dans cette chronique, laissez-moi vous rappeler qu’en dehors d’en être pourvue, la bagnole doit beaucoup aux fenêtres auxquelles elle a emprunté le châssis, puisque telle est l’origine d’un mot désignant le cadre dans lequel s’ébattent les vantaux qui la composent. Mais ça, je vous l’ai déjà raconté, et tel n’est pas le propos du jour. Parce qu’en fait, je me demande tout simplement si les Allemands ne construisent pas leurs voitures comme ils font leurs fenêtres.
J’en conviens, je fais dans le cliché. Mais alors façon Leica, de ceux dont le boitier est usiné dans un bloc d’aluminium massif. Parce que quels que soient les avis des uns et des autres sur la question, il est impossible de nier la réputation flatteuse dont jouissent les automobiles non pas d’outre-mais-de-ce-côté-du-Rhin, puisque j’y habite désormais. Et pour rester dans le même registre, il est bien connu que les Anglaises pissent l’huile (tant qu’elles en ont), les Italiennes ne sont guère branchées question électricité et les Françaises rouillent, tout ça pendant que les Allemandes résistent aux outrages du temps et aux autres. Et si l’on peut mélanger les cartes à loisir s’agissant des trois premières, la "Deutsche Qualität" protège leur cousine Germaine motorisée de toutes ces infamies.
Ce n’est que justice nous dirons certains, puisque ce sont les Allemands qui ont inventé l’automobile. Sauf que les Français ne sont pas d’accord, non seulement parce qu’ils sont Français mais aussi parce que le 12 février 1884, Monsieur Delamare-Deboutteville déposa le brevet d’une machine mue par un moteur à combustion interne, qu’il fit rouler la même année du côté de Cailly en Normandie, un an avant que le tricycle Benz ne pointe le bout de son guidon. Sans évoquer le fait que la voiture d’Edouard -son petit nom-disposait de 4 roues, d’un moteur bicylindre et d’un espace de chargement digne d’un utilitaire, quand le drôle d’insecte de Karl tremblotait sur ses trois roues sous les coups de butoir d’un unique piston, n’offrant même pas à ses deux passagers l’espace suffisant pour un bagage cabine.
Tout ça sans évoquer l’ère qui précéda l’avènement de l’essence de pétrole, laquelle vit rouler le Tilbury électrique de Charles Jeantaud dès 1881, et le Fardier de Nicolas Joseph Cugnot plus d’un siècle auparavant, une espèce de charrette mue par une cocotte-minute géante. Comme l’engin profita de ses premiers tours de roues en 1769 pour emplafonner le mur du jardin de son inventeur sans personne à bord, on lui doit également le premier accident automobile de l’histoire de l’humanité, ainsi que la primauté de la voiture autonome.
Voilà de quoi nous caresser le coq dans le sens des plumes, tant qu’on ne demande pas à l’homme de la rue ce qu’il sait d’Edouard, Charles et Joseph, alors que le nom de famille de Karl est associé à celui de l’une des marques les plus connues existant sur cette planète. Sans doute parce que nos compatriotes ont manqué de ce qui me semble expliquer au moins en partie le succès et la réputation de la voiture Allemande : la persévérance. Cette même persévérance qui a permis aux responsables d’Audi de hisser la marque au niveau de BMW et Mercedes après trente ans d’efforts, ou qui se manifeste dans l’homothétie stylistique dont les marques concernées sont friandes, dont on moquera volontiers le coté poupée russe tant qu’on ignorera les statistiques commerciales comme son évidente contribution à la construction de leur image de marque.
Pourtant, l’Allemagne n’a pas toujours monopolisé le haut de gamme automobile. Il fut en effet un temps où le gentleman motorisé désireux de rouler élégamment s’adressait plus volontiers à des marques comme Bugatti, Delage ou Hispano-Suiza, tant l’aura du luxe à la française l’emportait encore sur la réputation pourtant déjà bien établie de l’ingénierie teutonne. Certes, les monstrueuses "flèches d’argent" signées Mercedes-Benz ou Auto-Union et largement subventionnées par un gouvernement en mal de publicité, s’étaient chargées de passer le message en raflant la presque totalité des Grands Prix disputés dans les années précédant la Seconde Guerre Mondiale. Mais il faudra attendre plusieurs années après le conflit pour que s’affirme la suprématie des marques allemandes dans le haut de gamme mais pas que.
Bon, ça n’a pas non plus été que facile. Parce que si Mercedes renoua rapidement avec la production de voitures de luxe, ces dernières firent sérieusement ombrage aux modèles concurrents de BMW dont les moteurs V8 et la conception antédiluvienne n’étaient plus au goût du jour. Et si le constructeur munichois s’imposa une violente descente en gamme avec l’Isetta, les 150.000 exemplaires du célèbre "pot de yaourt" qui trouvèrent preneurs de 1955 à 1962 ne firent que creuser son déficit, celui-ci n’échappant à l’humiliation d’une faillite et d’une reprise par le rival étoilé que par la grâce de la "Neue Klasse", qui mit enfin du beurre dans les kartoffeln à partir de 1961. Quant à la maison de Wolfsburg, elle vécut trop longtemps avec la voiture du peuple qui l’avait fait naître, avant que la Golf ne la remplace avec le succès que l’on sait et qu’elle n’entame une longue montée en gamme l’éloignant chaque fois d’avantage de ses origines roturières. Ah, j’ai oublié Opel. Le problème, c’est que les clients aussi.
Quoiqu’il en soit, si je vois autant de V8 biturbo les samedi après-midi sur le Kufürstendamm, si les camionnettes parmi les plus chères au monde portent un nom de voiture de sport ou si BMW annonce que ses 6 en ligne et 8 en V perdureront jusqu’en 2030 quand ses concurrents amputent leurs blocs moteurs, c’est que ces gars-là ont forcément réussi quelque chose que les autres n’ont pas su faire. En même temps, leur copains européens les ont bien aidés, entre une vignette de pare-brise française massacrant les "grosses cylindrées", une taxation italienne sanctionnant durement les plus de 2 litres, ou une "horsepower tax" britannique incitant les motoristes de sa grâcieuse majesté à développer des motorisations longue course plus adaptées à des machines agricoles qu´à une voiture de standing.
Le résultat, c’est qu’à de rares exceptions près, la voiture de luxe c’est allemand, et que celles des segments plus modestes bénéficient par halo d’une réputation qui peut faire la différence au sein du shopping basket des acheteurs potentiels. Dans ces conditions, comment en vouloir aux constructeurs du pays de manifester parfois une certaine arrogance dans leur communication quand la simple évocation de l’origine géographique de leurs produits constitue à elle seule un des meilleurs arguments publicitaires qui soient ?
Une superbe qui culmina avec le slogan pour le moins explicite utilisé par Volkswagen de 2007 à 2015, quand toutes ses campagnes étaient siglées "Das Auto". Ou comment tout dire de façon définitive en un substantif et son article défini : "la bagnole c’est nous, puisqu’on est allemand". Bon, c’était à l’ère pré-Dieselgate, quand VW ne s’était pas encore lancée dans le tout électrique dans l’espoir d’expier ses péchés mal catalysés. Il n’empêche, la fière devise a dû faire grincer quelques dents chez Mercedes, chez qui on estima sans doute qu’elle leur revenait de droit. Dans un registre plus modeste, Opel France tenta la même logique en 2018 avec ses "German days" -en anglais dans le texte- pour essayer sans doute de nous rappeler qu’elle aussi était allemande.
Mais le plus intéressant, c’est quand les constructeurs "étrangers" s’essayent aux mécanismes de la Germanitude pour tenter d’assurer leur propre promotion. Un ressort que Renault semble particulièrement affectionner pour l’avoir utilisé plusieurs fois, en commençant dès 1987 par la 21 2L Turbo rattrapée par quatre hélicoptères de la Polizei sur autobahn -et en vidéo- afin que l’un de poursuivants assermentés puissent s’entretenir avec son conducteur des 175 chevaux du moteur "tout électronique" et du freinage ABS "bien-zûr". Rebelote en 1993 avec une 19 immatriculée à Wiesbaden s’affichant sur panneau 4x3 ponctué d’un triomphant "cet été, on a vu beaucoup de voitures étrangères en France".
En 2011, c’est la "qualité version française" de la Mégane qui était mise en avant par un vendeur baragouinant moitié en français, moitié en allemand, histoire de parodier une énième campagne d’Opel essayant de nous rappeler ses flatteuses origines.
Pour amusantes qu’elles soient, ces historiettes ne m’en paraissent pas moins traduire l’inquiétant complexe que le constructeur au losange a longtemps cultivé à l’égard de son voisin frontalier, contribuant sans doute à renforcer l’image qu’elles prétendaient moquer gentiment. Et puis, ce n’est peut-être pas non plus très sympa pour le consommateur français qui se voit ainsi rappeler que son image ne vaut pas mieux que celle des constructeurs gaulois, puisqu’on lui concocte des campagnes dans lesquelles il est réputé moins exigeant que son alter-ego outre-Rhin. Sauf sans doute, quand il achète une voiture allemande.
Enfin j’dis ça, j’dis rien. Sur ce sujet comme sur d’autres, chacun voit midi à sa fenêtre…
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