20/03/2025 - #Tesla
Court-circuit
Par Jean-Philippe Thery

Aujourd’hui, je vous parle d’une tronçonneuse qui joue les disjoncteurs à contre-courant…
Le camion qui collecte les poubelles de ma rue est électrique.
Je le sais pour l’avoir vu un matin de la fenêtre de ma chambre, alors que je l’ouvrai pour ma séance quotidienne de "Lüftung". Parce qu’elle s’apparente à un véritable cérémonial en Allemagne, la pratique a droit à un article en 12 chapitre sur Wikipédia, même si elle est résumable en un mot puisqu’il s’agit ni plus ni moins que d’aérer. Le geste pourra d’ailleurs sembler paradoxal quand on observe le type d’ouvrant à triple vitrage et double articulation qui constitue ici la norme, dont la largueur, la complexité des profils formant le châssis et l’épaisseur des joints témoignent du soin des ingénieurs à garantir une parfaite étanchéité. Mais c’est peut-être justement cette efficacité qui explique l’impérieuse nécessité qu’on ressent ici de renouveler régulièrement les airs confinés.
Bien entendu, les vertus isolantes des fenêtres germaniques s’étendent également à l’acoustique, ce qui me laisse à penser que même équipée d’un diesel, la benne à ordures motorisée n’aurait probablement pas incommodé mes oreilles. D’autant plus que les pelleteuses assurant la réfection de la Petersburgerstrasse tout proche où j’attrape mon tram me rappellent tous les matins que l’encapsulage dont on pourvoie de nos jours les moteurs à huile lourde les rend particulièrement discrets. Mais peu importe puisque rien ne m’ôtera de l’idée qu’un camion poubelle électrique, c’est vraiment une très bonne idée.
Itou pour une partie des bus qui circulent à Berlin, ressemblant à de grosses chenilles jaunes vus de haut, et dont j’observe de la fenêtre de mon bureau les gros packs de batteries disposés sur le toit. Un positionnement au prime abord contre-intuitif, qui s’explique pourtant par la nécessité d’un plancher plat garantissant un accès à bord pour tous, mais aussi par des impératifs de sécurité en cas de collision, puisque celles-ci ne se produisent que rarement en hauteur. Quoiqu’il en soit, on ne peut que louer l’absence d’émissions de ces engins-là, qu’il s’agisse de décibels ou de particules plus ou moins fines, mais aussi des camions, vans ou minivans sillonnant la ville par la force -certains diront la magie- des électrons. Bref, des véhicules de flottes.
On imagine en effet volontiers un utilitaire muni de batteries, quand effectuant quotidiennement des trajets en circuit court d’une distance inférieure à son autonomie, il retrouve le soir venu ses congénères autour d’un point de charge lente auprès duquel il s’abreuvera toute la nuit en (dis)continu. D’autant plus qu’avec un coût d’utilisation au kilomètre qui permet de compenser un montant à l’achat plus conséquent que celui de son équivalent thermique, l’équation du "Total Cost of Ownership" bien connue des responsables de flottes -y compris les moins anglicistes- s’avère particulièrement favorable. Viser en priorité les véhicules de flotte urbaine dans la promotion de l’électrification automobile, voilà qui paraît avoir du sens, n’est-ce pas ?
Mais pas pour Donald.
On savait le candidat Trump peu amateur de "BEV" malgré son amitié toute récente avec Elon, grand ordonnateur du DOGE (Department Of Government Efficiency) et fantasque patron de Tesla. On se doutait donc bien que l’interrupteur correspondant aux programmes mis en place par son prédécesseur afin de promouvoir ce genre de véhicule allait vite se retrouver en position "off" comme c’est effectivement le cas de la "National Electric Vehicle Infrastructure" (NEVI) par lequel la FHWA (Federal Highway Administration) participait à hauteur de 80% au coût d’acquisition, d’installation et de raccordement au réseau de chargeurs. Une disposition qui visait notamment à améliorer le maillage des bornes électriques dans les zones économiquement moins intéressantes pour les opérateurs.
Mais on était loin d’imaginer ce que serait l’une des premières mesures annoncées en la matière par l’homme qui fit sien le slogan "drill, baby drill" créé à l’occasion de la campagne présidentielle de 2008 par Michael Steele, alors sénateur du Maryland. Or, s’il est bel et bien question de creuser, ce ne sont point des puits destinés à faire jaillir du concentré de dinosaure, mais la tombe des 8.000 chargeurs pour VE, victimes des coupes sombres à la tronçonneuse de Musk. Au jeu des 8.000 bornes, ce sont en effet les utilisateurs de celles qui ont été installées sur les parkings des différents bâtiments de l’administration fédérale qui sont perdants, puisque désormais priés d’aller se faire recharger ailleurs.
Pourtant, l’application de ce qui semble davantage procéder d’un pétage de plomb que du fruit d’une mûre réflexion ne semble pas devoir se traduire par une de ces économies promues par celui que certains considèrent désormais comme un "fElon" à la cause de l’électrification. Aux coûts de désinstallation -à moins qu’on ne laisse les bornes en question rouiller sur pied- s’ajouteront en effet ceux liés à l’annulation auprès de différents opérateurs des abonnements en cours à laquelle la General Services Administration (GSA) qui gère le parc immobilier concerné devra procéder. Espérons pour eux que ses employés échapperont aux réductions d’effectifs à la mode dernièrement à Washington, puisqu’il leur faudra également prendre en (dé)charge la revente des différents VE précédemment acquis par l’Etat fédéral, ainsi que l’annulation des commandes en cours. Une liste de véhicules dont le nombre n’a pas été révélé, mais dont je suis curieux de savoir quelle est la proportion de Tesla. Sans même évoquer l’infortune des employés fédéraux ayant fait l’acquisition d’un BEV à titre personnel précisément parce qu’ils disposaient d’une structure de charge sur leur lieu de travail, dont on imagine volontiers qu’ils n’intéressent que modérément le signataire en grande série d’"executive orders".
Allez savoir pourquoi, cette affaire-là m’a rappelé un certain ouvrage intitulé "Psychologie de la connerie" que j’ai lu il y a quelques années, dans lequel l’objet principal de l’étude est décrit comme un acte portant préjudice à la communauté sans pour autant se traduire par un bénéfice personnel pour son auteur. Certes, on pourra toujours faire valoir que le débranchement abrupt de quelques milliers de chargeurs innocents par le POTUS caresse dans le sens du poil un électorat auquel son idole ne cesse d’adresser des remerciements en forme de "treats" (friandises) quand les opposants ont droit à leur lot régulier de "threats" (menaces). Il n’en reste pas moins difficile de trouver un sens à cette décision-là, surtout quand son promoteur s’affiche au volant d’une Tesla pas encore flambante mais neuve, histoire de soutenir une marque en perte de vitesse depuis que son emblématique patron s’adonne sur scène à de bizarres pantomimes. L’histoire ne dit pas si les chargeurs installés sur le parking de la Maison-Blanche seront épargnés…
Ceux qui me font la gentillesse de me lire régulièrement savent que ma conception de l’électrification automobile et de comment la promouvoir fait appel au Marketing plutôt qu’à la contrainte, à la séduction de préférence à de coûteuses incitations à l’achat abondées par le contribuable. Pour autant, je ne récuse pas loin s’en faut l’utilisation du denier public s’agissant du développement de l’infrastructure de charge, particulièrement dans un contexte où les opérateurs "purs" (ceux dont la recharge constitue l’activité unique ou principale) peinent à trouver la rentabilité. Si les VE ont en effet besoin de chargeur, les chargeurs ont besoin de VE, et l’Etat me paraît être dans son rôle lorsqu’il contribue à des investissements nécessairement réalisés en amont, dans cette nouvelle version du jeu de l’œuf et de la poule.
Si, comme j’en formulai récemment le vœu dans ma chronique du 13 février dernier intitulée "Allons zenfants de la batterie", on restituait la charge de l’électrification aux Chefs de produit, force est de constater que les flottes urbaines seraient désignées comme cible prioritaire des clients potentiels du VE. Pour tous les arguments que je viens d’énoncer mais aussi parce que, vu de ma fenêtre, la cohabitation avec un nombre croissant d’utilitaires propres et silencieux parait constituer une bien meilleure publicité que l’inutile débat dans lequel s’est malheureusement perdue la voiture électrique. De ce point de vue, la mesure adoptée par le nouveau locataire de la Maison-Blanche est décidément totalement absurde.
Sur ce, je vous laisse, puisqu’il est temps pour moi d’aller attraper mon tramway quotidien. Considérant qu’à l’heure du "Lüftung" comme d’y recourir, en matière de transports publics, c’est la Watt que j’préfère.