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30/01/2025 - #Renault , #Alpine , #Ferrari , #Jeep , #Mclaren , #Peugeot , #Ford , #Cadillac , #Chevrolet

Ceci n’est pas un musée

Par Jean-Philippe Thery

Ceci n’est pas un musée
L’Uirapuru, vous connaissez ? (Crédit : Jason Vogel)

“Isto não é um museu”. Si un certain peintre surréaliste était encore parmi nous, c’est probablement ce qu’il dirait du CARDE…

L’Uirapuru, vous connaissez ?

Les ornithologues parmi vous auront sans doute reconnu le Troglodyte Arada, oiseau amazonien dont le chant particulièrement mélodieux inspira une des plus belles légendes du folklore brésilien. Parce que l’amour qu’il éprouvait pour la fille du cacique lui était interdit, le jeune guerrier d’une tribu indienne demanda aux dieux Tupã de le transformer en oiseau. Fasciné par son chant merveilleux, le cacique se perdit en forêt en tentant de le capturer, laissant ainsi à l’Uirapuru le loisir de donner la sérénade tous les soirs à sa belle.

Quant aux amateurs d’automobiles exotiques, ils se souviendront peut-être de la curieuse GT produite à São Paulo par la Sociedade Técnica de Veículos Ltda (STV) en 1966 et 1967, reprenant le projet de la Brasinca 4200 GT lancée deux ans plus tôt. Dotée d’un 6 cylindres Chevrolet de 261 pouces cube développant de 160 à 177 chevaux selon les versions, celle dont les Brésiliens aiment à penser qu’elle inspira le design de la Jensen Interceptor britannique avec sa lunette arrière caractéristique était capable de 206 km/h, vitesse proprement hallucinante dans un pays alors essentiellement motorisé par la "Fusca", appellation locale de la VW Coccinelle. Trop chère à produire, c’est malheureusement le chant du cygne que poussa rapidement la belle Uirapuru, dont à peine 77 exemplaires au total furent construits, incluant les vingt-troid 4200 GT assemblées par Brasinca, un break de chasse et trois cabriolets.

Celle que j’ai eu le loisir d’admirer il y a deux semaines était juchée au sommet d’une structure évoquant un cajueiro, autrement dit l’anacardier produisant la pomme de cajou, fruit jaune-orangée connu chez nous pour la noix du même nom qui en constitue la graine, particulièrement prisée à l’heure de l’apéritif. Pointant son long capot vers le ciel, cette Uirapuru-là exhibe fièrement sa carrosserie peinte aux couleurs du plumage de celui dont elle emprunte le nom, même si datant de 1964, celle-ci est en fait probablement une 4200 GT assemblée sous l’égide de Brasinca. Un détail qu’ignorera volontiers le visiteur, s’intéressant plutôt au décor accueillant la scène conçu par trois artistes indigènes. Evoquant la forêt amazonienne, celui-ci ne manque pas de surprendre par la technique utilisée, puisque réalisé par 200 crocheteuses de la région de Brasilia.

Oubliez cependant les napperons ornant la table basse de Mamie tant l’effet produit est saisissant. Il l’est tout autant vu de haut à l´étage, permettant de mieux admirer le bolide et faisant regretter le torticolis attrapé au rez-de-chaussée en essayant d’en saisir les détails. Également hébergée dans le spectaculaire hall d’entrée, la Tucker 48 semble de prime abord un peu incongrue dans cet univers tropical. Mais en dehors du fait qu’on ne boudera pas son plaisir à contempler de près le troisième des 51 exemplaires construits, racheté à Georges Lucas himself (réalisateur du film contant l’histoire de la marque), ce serait oublier un peu vite que Tucker eut aussi son histoire brésilienne.

D’abord parce que celle portant le numéro de série 1035 fut importée à São-Paulo où elle réside toujours, même si passablement modifiée avec le soubassement, les composants mécaniques et le tableau de bord d’une Cadillac 62. Mais aussi parce que le Brésil, seul pays avec le Japon hébergeant un exemplaire de la marque (et désormais deux) en dehors de son territoire d’origine, reçut la visite de Preston Tucker qui tenta en vain d’y lancer le projet d’une voiture de sport baptisée Carioca, après le procès qui mit fin à son aventure industrielle.

Quoiqu’il en soit, le ton est donné. Le CARDE (prononcer "Cardé") refuse le simple qualificatif de musée par la voix de son Directeur Luiz Goshima dans la vidéo de présentation diffusée avant la visite. CARDE pour "Carros, Arte et Design", dont j’imagine que toute traduction est inutile. Elle le sera d’autant moins si lors de votre prochain passage au Brésil, vous avez -ou vous donnez- l’opportunité de visiter le superbe bâtiment qui l’abrite, faisant honneur à la tradition locale en matière d’architecture moderne. A seulement trois heures -d’automobile évidemment- de São Paulo, celui-ci est enchâssé dans une forêt d’araucarias surplombant Campos do Jordão, petite ville montagnarde située à 1.600 mètres d’altitude et faisant penser à une station de sports d’hiver, mais sans la neige. Et s’il fait la part belle à l’automobile, le CARDE propose aussi les œuvres d’artistes et designers brésiliens, mais également venus d’ailleurs dresser le portrait d’un pays en construction et reconstruction permanente, comme de ses habitants.

Mais surtout, le CARDE situe l’automobile dans l’histoire d’un pays dont les habitants ont trop souvent tendance à oublier qu’ils en ont une, lorsqu’ils se comparent un peu vainement à la "vieille" Europe. De la fin du XIXe siècle lorsque Santos-Dumont y importa la première automobile -une Peugeot- à nos jours, le visiteur se voit ainsi proposer une balade au cours des différentes époques qui ont constitué le pays. Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du défunt musée de la Colline de la Défense, mais qui m’a aussi remis en mémoire un ouvrage publié il y a une quinzaine d’années par un professeur de l’Université du Massachusetts. Dans "Autos and Progress : The Brazilian Search for Modernity", Joel Wolfe rappelle le rôle primordial que joua l’automobile dans la construction d’un sentiment d’unité nationale, quand les autorités durent imaginer et réaliser le réseau routier reliant les grandes cités du pays, afin de "libérer" les premières voitures qui s’y trouvaient prisonnières, et de leur permettre de parcourir le Brésil.

Je dois pourtant à l’honnêteté d’avouer avoir consacré l’essentiel de mon temps de visite aux autos, et pas seulement parce que mon épouse avait d’autres projets pour la journée. En effet, comment résister aux attraits d’une Cord L-29 superbement restaurée dans sa robe rouge flamboyante ? Ou à ceux de l’Isotta-Fraschini Tipo 8A Cabriolet d’Orsay offerte par le richissime Henrique Lage à la cantatrice italienne Gabriella Besanzoni dont il était fou amoureux. Et que dire de la limousine Duesenberg Model J, modèle superlatif d’une marque elle-même au firmament du luxe, ou encore des deux Pierce-Arrow, dont une attelée à une caravane de la marque. Et même s’il nous est parfois donné de les admirer en Europe, je n’allais pas non plus ignorer les supercars plus récentes dont les Mercedes 300 SL en version roadster avec hard-top, Aston-Martin DB5, Ferrari F50 et l’inévitable McLaren Senna ne constituent qu’un échantillon. 

La France est également très présente, qu’il s’agisse d’évoquer le "Paris des Tropiques" qu’était Rio de Janeiro au début du XXe siècle, ou de l’irruption des Arts Nouveau puis Déco dans la capitale carioca. Mais aussi sur quatre roues, dès l’extérieur avec une Chenard & Walcker de pompier, grâce à la fascinante Hispano-Suiza 1911 présente depuis plus d’un siècle au Brésil, à la Voisin C3L Coupé Chauffeur de 1927 présentée "dans son jus", sans oublier les Citroën ID19 et DS break. Avec une mention spéciale pour la très originale salle façon Scalextric présentant deux des 822 Willys Interlagos -dont une fixée au plafond- qui n’est autre qu’une Alpine A108 produite sous licence. Et pas n’importe lesquelles s’agissant des autos de l’"Equipe Willys" (en Français dans la texte) qui a notamment vu les débuts d’un certain Wilson Fittipaldi. Leur livrée jaune à bande verte reprenant les couleurs du pays m’a rappelé qu’elle a été choisie par Renault Classic lors de la restauration de l’exemplaire que j’ai rapporté en France il y a quelques années.

Le "gringo" de passage portera également un intérêt particulier à la production nationale démarrée en 1956 para la "Romi-Isetta", version locale de la célèbre microcar assemblée à Santa Bárbara d’Oeste et presque simultanément par la DKW-Vemag Camioneta. Bien sûr, la Fusca n’est pas oubliée avec plusieurs exemplaires exposés, alors que dans une salle dédiée, les Ford Maverick et Escort XR3, VW Gol GTi et Passat TS, ainsi que la Chevrolet Kadett GS rappellent que les versions sportives n’étaient pas négligées par les constructeurs locaux. Quant à l’espace consacré à Gurgel, s’il ne comporte que deux modèles de la seule marque 100% brésilienne de grande diffusion, ils témoignent de l’esprit créatif de l’ingénieur João Augusto Conrado do Amaral Gurgel qui la fonda. A mi-chemin entre mini-jeep et buggy, la X-12 utilise la carrosserie plastique propre aux productions de la marque, alors que l’Itaipu proposait une motorisation électrique sur un utilitaire léger reprenant le nom de la principale centrale hydraulique brésilienne. 

Si le coût d’entrée de 120 reais (Un peu moins de 20 euros) peut sembler inhabituellement élevé dans le contexte brésilien, il est justifié par l’exceptionnelle qualité du CARDE. Mais aussi parce que les fonds ainsi récoltés sont destinés à la Fondation Lia Maria Aguiar (une des héritières de la Banque Bradesco) laquelle finance différents projets destinés aux enfants et jeunes adultes défavorisés de la région, dont le CARDE fait désormais partie intégrante en formant certains d’entre eux à la restauration automobile, ou encore à guider les visiteurs en leur contant l’histoire des modèles exposés. Voilà un bon motif pour se délester de 450 réais de plus (soit 72 euros) afin de ramener dans ses bagage le superbe ouvrage réalisé par et sur ce "non-musée", même s’il représente à lui seul 10% du poids autorisé pour une valise en soute. En même temps, difficile de trouver un "coffee table book" plus exotique pour l’amateur d’automobile…

A bord de la Dauphine me ramenant vers le parking visiteur, l’un des trois taxis d’époque mis à disposition pour réaliser ce court trajet, je n’ai pu m’empêcher de songer à l’indéniable dimension surréaliste d’un projet comme le CARDE. Parce qu’il est volontiers iconoclaste lorsqu’il repeint de couleurs chamarrées une automobile dont les survivantes sont rares ou qu’il permet aux visiteurs de signer la carrosserie d’une Cord 812 transformée en livre d’or, mais aussi parce que dans un pays dont les élites supposées oublient trop souvent d’attribuer les ressources nécessaire à la préservation de la mémoire, on ne s’attend pas forcément à trouver un lieu qui n’a absolument  rien à envier aux établissements du genre qu’il m’a été donné de visiter en différents coins de la planète. Et puis, avouons que la façon joyeuse et optimiste de parler d’automobile qui est la sienne tranche quelque peu avec le discours ambiant de la vieille Europe.

"Ceci n’est pas un musée" aurait probablement déclaré Magritte s’il avait pu visiter le CARDE. Et il aurait eu raison : c’est beaucoup mieux.

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